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Isabelle Adjani : "Carole Matthieu a consumé toutes ses réserves, c'est ce qui m'intéressait dans ce personnage"

Revoilà Isabelle Adjani au cinéma. Dans "Carole Matthieu" de Louis-Julien Petit, qui sort en salle mercredi, elle incarne un médecin du travail voué corps et âme à des salariés humiliés par un système inhumain.

Article rédigé par Thierry Fiorile
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Isabelle Adjani (Paradis Films)

Revoilà Isabelle Adjani au cinéma dans Carole Matthieu, un film de Louis-Julien Petit qui sort en salle mercredi 7 décembre. Investir un personnage sans limite, Isabelle Adjani l'a fait sans relâche depuis le début de sa longue carrière. Mais si sa Reine Margot restera à jamais dans le souvenir des cinéphiles, elle montre aujourd'hui une autre facette de son immense talent.

Carole Matthieu est un personnage totalement habité, un volcan, mais qui se consume de l'intérieur. Médecin du travail à la Melidem, entreprise de télé-vente, elle est au quotidien confrontée à des méthodes de management monstrueuses.

Louis-Julien Petit adapte ici librement Les visages écrasés, roman de Marin Ledun sorti quand les suicides liés au travail se multipliaient, comme à France Telecom. Carole Matthieu assiste impuissante à la destruction des salariés par des méthodes managériales d'une violence inouïe. Elle va déraper, se perdre dans ce combat perdu d'avance. La performance d'Isabelle Adjani, sept ans après La journée de la jupe, est bouleversante, même si Louis-Julien Petit surcharge son film d'effets de mise en scène et de montage, défaut de jeunesse.

Franceinfo :  Qui est vraiment Carole Matthieu, le personnage que vous incarnez dans le film ?

Isabelle Adjani : C'est une femme qui est entièrement dévouée à la cause des autres, au point d'oublier sa propre vie, mais qui reste confinée à une marge de manœuvre très réduite avec sa patientèle, puisqu'un médecin du travail n'a que très peu de temps. Elle se sent impuissante. C'est quelqu'un qui a des convictions altruistes, humanistes, qui se bat, mais qui se bat alors qu'elle est elle-même dans un état très défait, très abîmé. C'est une femme qui est à bout, assez borderline dans sa manière d'évoluer pendant ces quelques jours où on va la suivre et la voir combattre pour la dernière fois.

Quelque chose en elle est déjà mort. Elle a consumé toutes ses réserves et ce qui m'intéressait dans ce personnage, c'était justement cette ambiguïté. Ce n'est pas un personnage fort qui se bat, c'est un personnage faible qui se bat. Le statut des médecins du travail est une imposture. Elle est supposée être là comme référence pour les gens qui ont besoin d'elle, mais elle est réduite par l'entreprise à l'impuissance. Elle est elle-même en train de se suicider, face à des gens qui sont au bord du suicide, et dont elle essaie d'empêcher le passage à l'acte. 

Carole Matthieu va déraper, mais vous le jouez en retenue. Il fallait le préserver, ce personnage ?

Quelque chose étant mort en elle, un grand silence s'est fait en elle. Et elle mène cette lutte en étant économe de la démonstration de sa colère, colère qui l'a entièrement consumée. Elle a besoin de tout ce qui lui reste de forces pour aller jusqu'au bout de ce combat, et elle est à l'économie. Dans sa direction d'acteur, Louis-Julien Petit était formel par rapport à ça. Ni un geste, ni un mot, ni un ton au-dessus de ce qu'il lui reste comme réserve, la réserve étant son moteur unique.

Ça rend d'autant plus crédible la façon dont elle va déraper...

Elle est devenue spectatrice d'elle-même, sans être schizophrène, mais elle a une inclinaison schizoïde, une capacité de dédoublement qui s'est mise en place à titre d'auto-protection. Elle va projeter son acte. On peut aussi se demander en regardant le film si c'est l'effet de son imagination ou si elle passe réellement à l'acte. Mais le besoin de passer à l'acte est là, et c'est l'élément majeur. Il faut qu'il se passe quelque chose, même si c'est quelque chose de terrible, de répréhensible, d'irréversible, qu'elle regrettera. Mais il fallait qu'elle fasse exploser ce qu'elle a construit. 

C'est un personnage qui doit en évoquer d'autres dans votre carrière ?

Oui, mais elle est habitée par l'abence, pas par la présence. Cétait un terrain de jeu très intéressant, j'ai adoré le faire.

Vous êtes aussi très investie dans ce film.

Oui, bien sûr. Je co-produis avec Lisa Benguigui, la productrice principale. Que ce soit moi ou les autres acteurs, de Corinne Masiero à Pablo Pauly, on a tous vécu une rencontre avec ce film, avec la même motivation, avec le même engagement. On ne s'est pas retrouvés sur ce film par hasard. Les gens cachent souvent leur désarroi. Pour eux, se plaindre c'est aller vers la perte de leurs ressources, de leur emploi, et ce film leur rend hommage. Il dit aussi qu'on sait que ce n'est pas facile de vouloir arrêter l'enfer. Il ne suffit pas de le vouloir, et c'est ça qui doit changer. Le vouloir devrait être suffisant, pour se libérer, s'affranchir, retrouver sa liberté et sa dignité humaine.

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