"Henri" de Yolande Moreau, les grandes errances des petites gens
Pour son deuxième long métrage, Yolande Moreau reste fidèle aux gens modestes. Elle nous emmène dans la région de Charleroi, en Belgique où un couple (Pippo Delbono et Lio) tient un café dans un quartier populaire. On sent que les ambitions de la jeunesse ont été déçues. Les photos et les coupes de l'ancien coureur cycliste prennent la poussière dans la salle de café et la beauté de Rita commence à faner. Henri s'échappe de la réalité en élevant des pigeons voyageurs. Soudainement, Rita meurt. Henri n'a plus que ses copains de bistrot (Jackie Berroyer et Simon André) et commence à noyer sa solitude dans la bière.
Road-movie
Survient Rosette (Candy Ming). Pensionnaire d'un foyer de personnes handicapées mentales, la trentenaire fragile vient aider Henri dans le café. Juste légèrement retardée, la jeune fille s'attache à son patron qui ne fait rien pour l'attirer vers lui. La suite tient du road-movie vers les plages de la mer du Nord.
Les petites gens
Yolande Moreau est à son aise avec les petites gens. Le grand public l'avait découverte dans la troupe des Deschiens avec laquelle, déjà, elle s'inspirait des personnes les plus modestes de la société. Dans "Henri", elle les peint avec une tendresse dépourvue de toute ironie, même si l'humour n'est quand même jamais loin.
Délicatesse
Tout est juste dans ce film. Rien n'est trop. La réalisatrice peint avec beaucoup de délicatesse ces portraits d'êtres humains qui ne trouvent pas leur place dans un monde trop grand pour eux. Il ne savent pas comment ça marche, ils improvisent leur vie, les espoirs de la jeunesse sont oubliés. Il y a très peu de différence finalement entre les pensionnaires de l'institution pour personnes déficientes mentales et les autres, celles du dehors. Tellement peu que lorsque les sentiments s'en mêlent, ce n'est pas forcément Henri qui prend les initiatives mais Rosette dont l'élan n'est bridé par aucune convention.
Jamais malsain
Si certains personnages sont parfois triviaux, on chante des refrains cochons dans le café et dans l'institution, la relation entre le quinquagénaire à la dérive et la jeune déficiente mentale n'apparait jamais malsaine. Yolande Moreau a su conserver à chacun sa part de dignité. Aucun plan du film ne prête à contestation. Malgré les cinquante ans d'Henri et son embonpoint de buveur de bière, malgré la faiblesse affichée de la jeune femme, la relation n'est jamais malsaine. Il faut dire que tout ici est mesuré au gramme près.
La compagnie de l'Oiseau-Mouche
Les pensionnaires de l'institution de personnes handicapées mentales sont interprétés par les comédiens de la Compagnie de l'Oiseau-Mouche, un Centre d'Aide par le Travail artistique situé à Roubaix et dont les membres ont déjà interprété nombre de pièces de théâtre et de films. Le regard que porte sur eux Yolande Moreau est lui aussi emprunt de dignité, elle ne leur dénit aucun attribut de l'humanité. Eux-aussi chantent la gaudriole, eux-aussi expriment leurs envies sexuelles et leur besoin d'amour.
Henri et Rosette, chacun à la frontière de son monde, finiront bien pas effacer les différences.
Complète réussite
Yolande Moreau avait déjà co-signé un film ("Quand la mer monte", 2004 avec Gilles Porte). Pour cette première réalisation portant sa seule signature, elle fait un sans faute. Le rythme est juste, la direction d'acteurs parfaite et le casting idéal. L'utilisation de la musique tombe toujours à pic sans jamais être redondante. On chercherait sans la trouver une seule raison de ne pas soutenir ce film émouvant sans mièvrerie. Vite, vite, le suivant.
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