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Festival international du film d'histoire : la Terre dans tous ses (mauvais) états

Jusqu'au 27 novembre 2023, au cinéma Jean Eustache de Pessac, ce ne sont pas moins de 60 films, fictions et documentaires autour du thème de la Terre et de ses misères qui seront projetés. Le Festival international du film d'histoire, un laboratoire sur grand écran de notre avenir.
Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 11min
"Le Temps des forêts" de Francois-Xavier Drouet raconte l'industrialisation et la déforestation des forêts françaises. (MKBO)

Chaque année, le Festival international du film d'histoire à Pessac, dans la banlieue bordelaise, laboure un thème à l'aune du cinéma. Documentaires et fictions racontent l’Histoire. "Masculin/Féminin", "La fin des colonies" ou "Les années 70" ont été les propos des années précédentes. Toute la semaine, cette année, c'est la Terre qui est au centre des écrans. Vaste et dramatique sujet. Des alertes aux solutions, des paysans sans terre aux forêts dévastées, autant d'angles que racontent les réalisateurs de cinéma. Panorama d'une sélection à l'écoute de notre Terre.

"Les Colons" de Felipe Gálves Haberle

Le film d'ouverture du festival, Les Colons du Chilien Felipe Gálves Haberle fait le récit méconnu du massacre des populations autochtones de la Terre de Feu. Et cela reste tabou dans les livres d'Histoire des jeunes élèves chiliens. Nous sommes en 1901, c'est un désert de pierraille entre la cordillère des Andes et l'océan Atlantique. Un désert, mais le sous-sol est riche en pétrole. Le projet politique est clair, l’aristocratie blanche cherche à "civiliser" ces territoires. Trois cavaliers sont engagés par un riche propriétaire terrien, José Menendez, pour déposséder les populations autochtones de leurs terres. Sous la forme d'un western lent et contemplatif, ce road-movie qui traverse des paysages désolés, mais majestueux, raconte la tragique expédition conclue par le génocide des autochtones Selk’nam, appelés Onas par les Blancs, dans le Chili du début du XXe siècle. Dans certaines régions du globe, la colonisation aurait-elle été annonciatrice de la crise climatique ? C'est la question qui surgit à la vision du film.

Pour le réalisateur Felipe Gálves Haberle, le lien est clair. Le massacre des Indiens et le pillage des terres ont conduit à la dramatique situation écologique de la région. À l'origine : l’appât du gain. "La Terre de Feu est une terre où l'homme blanc a trouvé une opportunité de profit, en transformant ces étendues en terre de pétrole et de mécanique, en détruisant le sous-sol, par l'intérêt économique. Il y a un lien entre le sacrifice humain et écologique : cent ans après, nous voyons que tout a été pillé des sous-sols de ces terres après le massacre des premiers habitants", déclare-t-il à Franceinfo Culture.

Sortie française : le 20 Décembre 2023 

Le cinéma, lanceur d'alerte depuis 1973

À travers la programmation du festival, on découvre que l'avenir de cette bonne vieille terre qui prend feu a été très tôt dans l'esprit des scénaristes et réalisateurs. Pour François Aymé, commissaire général du Festival, les cinéastes se sont emparés de ce destin bien avant les politiques. "Je vais citer Soleil vert (1973) par exemple que l'on programme, ce film est contemporain de la publication du rapport de Rome, donc on remarque que le cinéma s'est emparé dès la première grande alerte mondiale de ce sujet."

Avec Soleil vert, la dystopie rime avec le récit visionnaire. Le 26 juin 1974 sort sur les écrans français le film de Richard Fleischer avec Charlton Heston. Soleil vert imagine le New York de 2022. Les hommes ont épuisé les ressources naturelles. Sur une Terre dévastée et surpeuplée, ils se nourrissent d’aliments synthétiques. La ville souffre de la canicule. Toutes ressemblances avec aujourd’hui seraient purement fortuites et ne pourraient être que le fruit d'une pure coïncidence.

Après la science-fiction, le 7e Art américain est devenu lanceur d'alerte dès le début des années 2000 en s'emparant des scandales écologiques. "Les États-Unis ont cette capacité à être à la fois les plus gros pollueurs – c'est un raccourci – et à avoir très tôt un cinéma alerte. Des films comme Dark Water où le réalisateur Todd Haynes rappelle opportunément qu'une société (le géant de l'industrie chimique DuPont) depuis des décennies connaissait les effets dévastateurs du Téflon pour avoir réalisé des tests sur des animaux et avoir eu connaissance de malformations d'enfants de femmes ayant été exposées", nous rappelle François Aymé. C'est aussi le cas de Erin Brockovich, seule contre tous, présenté au Festival, réalisé par Steven Soderbergh et sorti en 2000. Oscar pour Julia Roberts, deux millions et demi de spectateurs en France. Une histoire de combat solitaire et de lutte contre la toute-puissante société qui empoissonne l'eau potable de Hinkley, un village perdu de Californie, et provoque une épidémie de cancers.

En France, ce serait Coline Serreau

Présidente du jury du Festival international du film d'histoire, Coline Serreau pourrait être, aux côtés de Pierre Jolivet ou de Cyril Dion (avec qui elle a travaillé), la réalisatrice précurseure qui a abordé dans son cinéma les thématiques du dérèglement climatique et des rares solutions apportées. En 1996, sort sur les écrans français un curieux objet, La Belle verte, un conte cocasse et utopique avec Vincent Lindon et Marion Cottillard. C'est une farce. Si à l'époque, le journal Le nouvel observateur parle de film bio, radical et jubilatoire, l'accueil est mitigé. Le film évoque, avant l'heure, le végétarisme, un monde pollué, invivable, le public et la critique ne semblent pas convaincus. Coline Serreau déclare dans un ouvrage paru chez Actes Sud en 2009 : "Le film sort. Échec cuisant. Personne n’aime, personne ne va voir, les critiques me ridiculisent, le métier ne comprend rien à cet ovni".

Quand nous la rencontrons, la colère n'est pas tombée : "Je peux vous dire que La Belle verte a été vraiment massacrée exprès par les médias parce que ça parlait de choses qui était trop embêtantes. Et puis, c'est le public qui est venu, des "réunions belle verte" se sont créées et enfin sur internet, ce sont des centaines de milliers, voire des millions de spectateurs maintenant qui regardent le film et qui comprennent ce qu'il y a derrière et ce qui est subversif dans ce film. (...) Il y a une très belle phrase de Brecht qui dit : 'Ce qui est important, c'est ce qui est devenu important'."

Un cinéma de solution

En 2010, la réalisatrice repart au front. Mais cette fois-ci dans le mode documentaire. Solutions locales pour un désordre global recense les causes, mais surtout les bonnes idées et les solutions à la catastrophe annoncée. Mais là encore, Coline Serreau ne décolère pas : "Il y a treize ans, nous proposions des solutions, hélas, nous avons encore perdu trop de temps. Je continue à être totalement persuadée qu'on peut très bien réparer cette Terre, mais qu'il faut changer tout. Il faut changer notre manière de nous alimenter, notre manière de consommer (...). Ça peut être très douloureux aussi pour les gens. On s'y est pris tard, on n'a pas expliqué ce que c'était qu'une alter croissance, une autre croissance." Aux côtés de Coline Serreau, nombreux sont les documentaristes à labourer notre improbable avenir et à présenter leurs films au festival.

François Aymé le souligne et leur rend hommage. "Les documentaristes accomplissent un travail de fond extraordinaire, avec honnêteté et rigueur scientifique. Marie-Monique Robin, notamment dans son récent film La Fabrique des pandémies, montre le rapport entre la déforestation et le développement des pandémies et elle le lait avec un nombre de scientifiques qu'elle a rencontrés dans le monde entier, c’est-à-dire qu’elle a accompli un travail monstrueux de recherche journalistique et scientifique."

L'espoir pour les forêts par François-Xavier Drouet

Au Festival, tous les maux de la terre sont projetés. Si la déforestation est souvent racontée, plus rare est l'inquiétude de la "malforestation". Parcourir les routes de France, des Landes au Morvan, et s'extasier devant la merveilleuse forêt française, cache un saccage organisé. C'est ce que François-Xavier Drouet raconte dans son documentaire Le Temps des forêts. Les images sont effrayantes, filmées comme au cinéma, la violence de la destruction saute aux yeux. Depuis 30 ans, la mécanisation a pris le pouvoir dans les forêts. Ces monstres mécaniques, filmés au ras du sol, sont les symboles du saccage. Ils détruisent les sols, écrasent le lit les ruisseaux et, au final, la "coupe rase" anéantit paysage et écosystème.

Mais l'espoir demeure. En Slovénie ou en Suisse, les coupes rases sont bannies et des plantations plus respectueuses sont mises en place, pourtant la productivité ne faiblit pas. Et surtout en Limousin, territoire que le réalisateur François-Xavier Drouet connaît bien, des actions de résistance existent. Il nous explique que "là où un seul forestier proposait la futaie irrégulière, c’est-à-dire une gestion forestière avec une diversité des essences et une diversité d'âges et de travailler par succession d'éclaircies pour garder un couvert forestier continu plutôt que de tout raser tous les 40 ans (NDLR, la coupe rase), maintenant, ils sont dix". Paradoxalement, les changements climatiques et les dangers de sécheresse et de parasites pour nos forêts pourraient les sauver : "Il va falloir choisir le type de forêt la plus résiliente aux changements climatiques, on va se poser la question du choix des essences. En tout cas, la coupe rase doit être bannie. Une forêt mélangée à laquelle on prélève des arbres, mais que l'on ne rase pas tout d'un coup, c’est évident qu'elle sera plus résistante aux changements climatiques et cela les forestiers le savent", conclut François-Xavier Drouet. Une graine d'espoir.

Festival international du film d'histoire. Cinéma Jean Eustache, 7 rue des Poilus, 33600 Pessac

Programmation ICI

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