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Festival du film d'histoire de Pessac : Julie Gayet parle des violences faites aux femmes et de son rôle de présidente du jury documentaires

Alors que des marches se sont déroulées à Paris et dans les régions contre les violences faites aux femmes, l’actrice, productrice et réalisatrice Julie Gayet a pris la parole au Festival du film historique de Pessac. 

Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
L'actrice, réalisatrice et productrice française Julie Gayet. (YOHAN BONNET / AFP)

Les marches contre les violences faites aux femmes - organisées partout en France par le collectif Nous toutes - ont rassemblé quelque 49 000 personnes à Paris et 100 000 dans toute la France samedi 23 novembre. La veille, l’actrice, productrice et réalisatrice Julie Gayet s’exprimait sur le sujet lors d’une rencontre avec le public menée par le journaliste du Monde Thomas Wieder.

Elle a ensuite accordé un entretien à FranceInfo Culture où elle s’est exprimée sur son rôle de présidente du jury documentaires au 30e Festival du film historique de Pessac.

Julie Gayet engagée sur les violences faites aux femmes

Thomas Wieder : Que signifie cette marche du samedi 23 novembre, qu’est-ce qu’elle veut dire, deux ans après l’explosion de l’affaire Weinstein, et aujourd’hui avec le témoignage d’Adèle Haenel et la nouvelle accusation contre Polanski. En deux ans, les choses ont-elles évolué ?

L'actric, productrice et réalisatrice française Julie Gyet et le journaliste Thomas Wieder au 30e festival international du film d'histoire de Pessac le 22 novembre 2019. (Jacky Bornet / FranceInfo Culture)

Julie Gayet :
Je ne sais pas si les choses ont progressé dans la société, ou s’il s’agit d’une prise de conscience. Si je me suis lancée dans la production, c’est à cause d’Agnès Varda qui par le passé posait ces questions-là, ou Delphine Seyrig. Elles nous ont ouvert des portes. Mais qu’est-ce qui se passe avec les nouvelles générations aujourd’hui ? J’ai réalisé en 2013 un documentaire sur cette nouvelle génération pour savoir ce qu’elle en pensait, comme Valérie Donzelli qui sort le 18 décembre Notre Dame, ou Catherine Deneuve, Maïwenn, Céline Sciamma… Je leur ai posé la question "qu’est-ce qu’un film de femme ?" Spontanément, la réponse était, "on en a marre de répondre à cette question". Et puis est arrivé la campagne présidentielle aux États-Unis, où Trump se permettait de dire à la face du monde "quand on est connu, cela permet de vous prendre par la chatte". Il rétablissait ainsi un rapport de force homme-femme, en valorisant la masculinité qui s’exprime dans les grosses bagnoles ou la célébrité… J’étais en plein tournage de ce documentaire quand il a dit cela, et je me suis dit que ce n’était pas possible de laisser dire cela, qu’il fallait changer ce rapport de force.

Là-dessus, arrive l’affaire Weinstein. Aux États-Unis, c’est le producteur qui a le pouvoir, en France, c’est le réalisateur. Et ici, Léa Seydoux a parlé, l’affaire Brisseau existe, d’autres ont parlé et elles ont eu du mal à retravailler depuis. Avec Weinstein il y a eu #MeToo qui a libéré la parole. Conséquence de #MeToo : 30% de plaintes supplémentaires et l’explosion des associations qui ne peuvent pas recevoir toutes ces femmes qui parlent désormais

Aux États-Unis, les actrices notamment, ont réagi avec plus de méthodes, créant des think-tank par exemple, elles ont investi des fonds, afin de donner aux femmes qui n'en ont pas les moyens  la possibilité de porter plainte, d’avoir des structures d’accueil…Alors on s’est dit en 2018 avec Céline Sciamma, Rebecca Zlotowski et Toni Marshall qu’en 2020 on arriverait à la parité dans le cinéma. On a donc créé la Fondation des femmes. Ce que l’on veut, c’est qu’il y est une parité 50/50 des sélectionneurs dans les festivals par exemple. 

C’est pourquoi on avait fait cette opération ruban blanc aux Césars 2019. Tout le monde avait dit, oui on va donner de l’argent pour les associations de protection des femmes et au finish, personne n’a rien donné et les César ne portent pas notre action dans leur cœur. Donc, nous, comédiennes, avons créé le collectif "Maintenant on agit" avec différentes actions en France pour lever des fonds, car l’argent reste toujours le nerf de la guerre. Et c’est aussi pourquoi il y a le défilé du 23 novembre, à Paris et un peu partout en France. Pourquoi le féminicide augmente en France alors qu’il diminue ailleurs ? On en est là.

L'actrice, productrice et réalisatrice Julie Gayet à la manifestation contre les violences faites aux femmes du 23 novembre à Paris. (DOMINIQUE FAGET / AFP)

Quel est votre regard sur la nouvelle affaire Polanski, est-ce une question éthique ou est-ce une histoire privée que d’aller voir ou non son dernier film, J’accuse ?

Je crois en la justice, et c’est ce qui m’a touché d’abord dans le témoignage d’Adèle Aignel (qui ne vise pas Polanski). Il a fallu que cette femme arrive à un certaine notoriété pour affronter celui qui en a abusée, car au moment des faits, elle n’avait aucune reconnaissance, elle n’était pas connue. Je ne suis pas pour autant pour la violence qui se retournerait contre les hommes. Ce n’est pas parce que j’appelle à défiler que je dis que la vindicte doit prendre le dessus, et que l’on ajoute de la violence à la violence.

Le problème avec Polanski c’est qu’il a déclaré qu’il se sentait comme Dreyfus, une victime de la justice. Il a ainsi fait l’erreur de rouvrir la voie à ce qui le poursuit depuis maintenant des lustres. Je considère qu’il est un immense réalisateur mais qu’il plane au-dessus de lui, dans sa vie, des suspicions qui s’ajoutent aux drames qui jalonnent son passé, d’enfant juif qui a perdu ses parents dans la Shoah, à l’assassinat de sa femme Sharon Tate dans les circonstances qu’on connaît.

Ce qui importe ce sont les faits, dans le cinéma ou ailleurs, et de faire en sorte que ces choses-là ne se reproduisent pas. Mais fermer les cinémas, interdire un film, c’est contre ce que je pense profondément. Chacun choisi d’aller voir ou non le film. Dreyfus peut être un très bon film contre l’antisémitisme, pédagogique, pour les scolaires et l’ensemble des spectateurs. Mais je ne peux pas me dire, il ne s’est rien passé.

Julie Gayet, présidente du jury documentaires à Pessac

FranceInfo Culture : Qu’est-ce qui vous a fait accepter d’être présidente du jury documentaires au Festival du film historique de Pessac ?

Julie Gayet : Pour marquer le coup des 30 ans du festival, d’autant que cela faisait longtemps que je voulais venir. Malheureusement cela a coïncidé avec une autre actualité, cette marche contre les violences faites aux femmes de samedi à laquelle je participe. De plus, avec la polémique autour de Polanski qui sort un film historique important sur l’affaire Dreyfus, tout cela est un peu difficile à gérer.

Revenons donc au cinéma et son rapport à l’Histoire dans le cadre de ce 30e Festival du film d’histoire et votre rôle dans cet anniversaire. 

Je ne suis pas une experte, une historienne mais je lis beaucoup d’essais, d’essais historiques entre autres, plus que des romans dont je me suis nourrie longtemps. L’Histoire constitue pour moi, comme productrice, un intérêt croissant par rapport à la "petite histoire". Les deux peuvent se croiser avec bonheur d'ailleurs, comme dans le film que j’ai produit L’insulte, où un conflit de voisinage entre un Israélien et un palestinien ouvre sur tout le conflit israélo-palestinien. On est allé aux Oscars avec ce film, et c’était vraiment une belle expérience. Ce croisement entre la petite et la grande histoire, la résilience aussi, m’a donné envie d’aller vers le film historique.

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Après on m’a proposé les enregistrements du procès de Mandela. Et là, on découvrait que la figure iconique de Mandela n’était pas seule dans le processus qui l’a conduit en prison mais qu’ils étaient dix en tout. Donc, je me suis engagé dans la production de Le Procès de Mandela et les autres (2018) qui comporte de nombreuses scènes reconstituées en animation, puisque nous n’avions pas d’images, seulement les enregistrements sonores du procès. Aujourd’hui, j’aimerai beaucoup faire un film sur Richelieu. J’en ai d’ailleurs parlé avec Bertrand Tavernier, dont j’avais beaucoup aimé Que la fête commence qui se passait à la même époque.

Vous êtes productrice de documentaires et de fictions, mettez-vous ces deux approches du cinéma sur le même plan ?

Oui, absolument et j’y ajoute l’animation. Pour moi, c’est toujours du cinéma. J’ai horreur que l’on fasse des différences, même si l’on est obligé de se conformer à des festivals d’animation purs, ou de documentaires purs, mais on a pu voir que dans des grands festivals, à Berlin comme à Cannes que des documentaires remportaient des prix. Mais 9/11 de Michael Moore qui a remporté une Palme d’or à Cannes constitue une exception, et Thierry Frémaux (directeur artistique du festival) l’a justifiée à l’époque par la prépondérance de l’actualité sur le reste. Mais en conséquence, il a retiré le documentaire pour les palmarès futurs et a créé "L’œil d’or" qui a récompensé par exemple Village, Villages d’Agnès Varda que j’ai aussi produit. Mais il ne fait pas partie du palmarès officiel, c’est un prix à part. Et je milite pour qu’un prix du documentaire figure au palmarès officiel de Cannes. Par exemple Mondovino, qui a été projeté à Cannes, sur le monde du vin – et on est à Pessac, donc on peut en parler -, est à l’opposé de 9/11 dans ses intentions, ce qui ne l’empêche pas de constituer un film majeur sur le vin, d’accord, mais aussi la mondialisation.

Par contre, je fais la différence entre un documentaire tourné pour le cinéma et la télévision. Je viens de produire un documentaire sur le football féminin pour le cinéma, et je coproduits aussi un film pour la télévision sur le même sujet, mais ce ne sont pas les mêmes approches, ni les mêmes moyens, ni le même résultat. Par ailleurs, au cinéma, les films voyagent et j’aime ça. Ma maison de production s’appelle Rouge International, cela veut bien dire ce que cela veut dire.

Pourquoi Rouge comme nom de société de production ?

Parce que je voulais un nom qui soit prononçable à l’international, Rouge, c’est facile à dire aux États-Unis, en Russie ou au Japon. Et c’est féminin, comme le rouge à lèvres, le vernis à ongles, nous avons le Moulin rouge… C’est une couleur politique aussi, engagée, féminine. Car ce n’est pas facile d’être une femme et de produire.

Vos projets en ce moment ?
Il y a donc ce documentaire sur le football féminin, et après, j’ai acheté les droits d’un livre de Catherine Poulain, Le grand Marin (Ed. L’Olivier). On va tourner dans le grand-nord du Québec l’histoire d’une femme qui part faire de la pêche en haute-mer avec des hommes. J’ai pris également les droits d’un livre qui s’appelle Le Chemin des morts de François Sureau, dont on parle beaucoup en ce moment. Cela se passe en 1983, c’est donc un film historique, sur les réfugiés politiques. L’histoire d’un homme qui intègre le Conseil d’Etat, qu’on connaît mal, et qui s’occupe de la commission des réfugiés politiques, où il va être confronté au sort des Espagnols après l’époque franquiste, alors que l’Espagne demande le retour dans le pays des réfugiés politiques des années 30.

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