Reportage Festival de Cannes 2024 : une journée avec Sophie Dulac, grande figure du cinéma indépendant en France

Que fait-on au Festival de Cannes quand on est Sophie Dulac ? Rencontres, projections, montées des marches, pépites à découvrir… Nous avons passé quelque temps à ses côtés, entre le Palais des festivals et la Croisette.
Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Sophie Dulac dans le Tea Lounge de l'hôtel Carlton de Cannes, le 17 mai 2024. (LCA / FRANCEINFO CULTURE)

Sophie Dulac. Une sacrée dame du cinéma en France. Productrice, distributrice et exploitante (cinq salles à Paris), patronne d'un festival parisien. Beaucoup pour une seule personne, et c'est aujourd'hui un cas unique dans le cinéma indépendant. À Cannes comme ailleurs, elle est tout cela à la fois et il est peu probable qu'elle veuille se défaire de l'une de ses casquettes. "Disons que je me démultiplie, j'arrive à avoir le don d'ubiquité", s'amuse-t-elle.

Nous la savons très occupée, elle a pourtant accepté très vite le principe de partager un peu de son temps cannois, ainsi que sa vision de cette grande messe internationale.

Les sélections, une reconnaissance du travail accompli

Ça commence par un rendez-vous en terrasse sur une petite place en face du Palais des festivals. Le matin, peu après l'heure de pointe du début des projections, l'atmosphère y est encore paisible, ce qui n'est pas pour lui déplaire. Ce qui se joue à Cannes ? "C'est d'abord la reconnaissance du travail accompli, quand on est invités au Festival [en sélection]. Pas tant par rapport au public, parce qu'il est un peu à côté de tout ça, mais par rapport aux professionnels et aux exploitants."

Vingt ans qu'elle vient chaque année dans la Mecque du 7e art. "Ça reste gratifiant." Surtout quand, comme cette année, l'on arrive avec quatre films dans sa besace. "J'ai un peu fait le deuil (mais j'ai peut-être tort ?) d'une Palme d'or parce que compte tenu des films que je fais, je pense que je ne serai jamais sélectionnée pour la Palme. En revanche, cette année, on a Cannes Première (Rendez-vous avec Pol Pot), Cannes junior (L'Enfant qui mesurait le monde), Cannes Classics (Il était une fois Michel Legrand) et la Semaine de la critique (Les Filles du Nil) ! Entre le film documentaire, le film classique, le film junior, les premiers films, notre travail, c'est cette fameuse diversité que nous proposons chez Dulac Distribution et qui est reconnue par quatre sections différentes."

Émotions cannoises

Le film de Rithy Panh, Rendez-vous avec Pol Pot, est sûrement sa vitrine. Le réalisateur franco-cambodgien a beau être régulièrement invité au festival depuis Les Gens de la rizière en compétition en 1994, cela reste une "consécration" de le voir projeté dans la prestigieuse sélection Cannes Première. Une partie du temps cannois de Sophie Dulac gravite d'ailleurs ces jours-ci autour de ce réalisateur qu'elle "adore" : montée des marches avec lui ("émouvante", dit-elle), "petit cocktail sur le Palais", soirée sur la terrasse avec l'équipe du film. N'en demandez pas plus à Sophie Dulac question mondanités, elle n'est (vraiment) pas preneuse. Mais elle apprécie en faire profiter ses équipes. Comme cette assistante de programmation de son festival, qu'elle a comblée avec une place pour les marches d'Emma Stone (pour le film Kinds of Kindness).

Autre film, autre bonheur. Le film égyptien Les Filles du Nil est projeté à la Semaine de la critique. "Il a obtenu une standing ovation de dix minutes, avec des jeunes filles qui ne sont jamais sorties de leur village du sud de l'Égypte, qui font du théâtre et qui sont arrivées à Cannes. Et donc j'imagine leur émotion à elles de se retrouver dans cet endroit-là", nous dit ravie Sophie Dulac.

Le cinéma est un petit milieu

Évidemment, Cannes, ce sont les rencontres, dans le train avant d'arriver, en terrasse, dans les couloirs du Palais des festivals, car "tout est concentré ici sur dix jours". D'où la possibilité de croiser "d'éventuels talents et d'éventuels réalisateurs avec lesquels on peut travailler un jour". "En fait, c'est un tout petit milieu, le cinéma, c'est une toute petite niche : donc on a parfois le sentiment que tout le monde se connaît et qu'on va faire des affaires avec tout le monde. Ce n'est pas vrai. C'est un milieu où dix personnes parlent à dix personnes. C'est très difficile aujourd'hui pour des jeunes talents qui arrivent sur le marché de se faire une place, de trouver un producteur, d'avoir quelqu'un qui vous répond au téléphone". Cannes offre donc un trésor d'occasions.

Y a-t-il des affaires à faire au festival ? Côté distribution, "il y a peut-être encore des films, à la Quinzaine ou à la Semaine de la critique, qui n'ont pas de distributeurs. Là, on est à l'affût, on regarde, on cherche". Mais évidemment Sophie Dulac n'est pas venue seule et passe de moins en moins de temps, par exemple, au Marché du film situé au sous-sol du Palais des festivals. "C'est surtout mon équipe et mon directeur de la distribution qui fait les rendez-vous professionnels, je les accompagne de temps en temps, mais j'ai un peu le beau rôle. Je prends des cafés avec des journalistes, je vais voir des films."

Coups de cœur

Certains de ces films vont attirer son attention. "Le plus important, c'est l'émotion. Je cherche quelque chose qui me parle. L'année dernière, il y avait ce fabuleux film, The Zone of Interest, j'y pense encore. J'aurais adoré le distribuer par exemple. Malheureusement, le minimum garanti était beaucoup trop élevé, je n'aurais pas pu y aller. Pas de regret. Pour les autres, il faut toujours que je me dise : c'est un film pour moi, c'est un film que je veux défendre. Parfois, même si le film n'a pas forcément un potentiel économique extrêmement puissant, je me dis, il faut qu'on le voie."

Fin d'après-midi. Nous prenons un café au Carlton, haut lieu des rencontres cannoises, où les stars s'affichent. Sophie Dulac, elle, préfère la discrétion, malgré son rôle de fait dans l'économie du 7e art. "Je suis dans l'être, le paraître ne m'intéresse pas. Pour moi, le cinéma est un vrai business qui doit m'apporter quelque chose que j'arrive à partager. Parader, ce n'est pas mon style".

Rien n'est acquis

De la même manière, elle nourrit la conviction que rien n'est jamais acquis dans ce métier, transmise notamment par son grand-père, Marcel Bleustein-Blanchet, fondateur de Publicis. "Les bouddhistes ne disent pas autre chose quand ils estiment que rien ne doit jamais être parfait, sinon c'est le chaos. Nous, c'est pareil. Heureusement qu'on a encore de la marge de réussite, qu'on peut se planter sur un film, ça peut arriver, comme on peut réussir, que ce soit en exploitation, que ce soit en distribution. Au contraire, je crois que le challenge est de se dire : le prochain film, c'est celui-là qui va faire un million d'entrées."

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