Cannes 2019 : plongez au cœur du Marché du film, la face cachée du festival
Voici l’autre facette de Cannes, réservée aux professionnels : le Marché du film, poumon économique du Festival, qui fête ses soixante ans cette année. Reportage.
Le Marché du film fête ses 60 ans cette année. Intégré au Festival de Cannes en 1959, il n’était au début qu’un échange informel de quelques dizaines de professionnels pour négocier l’acquisition et la vente des droits des films, après les projections dans une salle unique.
Il réunit aujourd’hui environ 12.500 accrédités (c’est l’estimation d’ici la fin du Marché). 800 films y sont présentés (3000 si l’on compte aussi les projets non encore aboutis), aux 1400 séances de projections dans 33 salles de Cannes. On estime le volume d’affaires généré à 800 millions de dollars ! "Le Marché du film de Cannes est, de loin, le premier du monde", avance Jérôme Paillard, son directeur que nous rencontrons sur place.
Pas de glamour
"Le Festival de Cannes a deux pieds", poursuit l’homme : "un pied artistique, qui est la sélection, et un pied économique qui est le Marché du film". Mais qu’est-ce précisément que ce marché, comment s’organise-t-il ? Il faut quitter le plancher des vaches, descendre au -1 du Palais des festivals pour découvrir ce monde : l’atmosphère change radicalement, d’un coup, du festival d’en haut. Fini strass, paillettes, smoking et robes longues. Ici le glamour laisse la place à l’efficacité des salons professionnels. Pas de têtes connues. Pas de journalistes non plus, ni photographes.
Ici, l’échange est roi, on est aux aguets, on sert des mains prometteuses, on discute. De part et d’autre des allées du -1, des stands nationaux : la Tokyo film Commission, la Catalan films & tv, Cinema Chili… On y parle français, espagnol, persan, chinois.
Grosse présence américaine
Et anglais, évidemment, beaucoup. Déjà parce que la plus grosse représentation est celle des Etats-Unis. "Ils sont près de 2000, 20 % des participants", précise Jérôme Paillard, et cela ne date pas d’hier. Les relations plus ou moins tendues, selon la presse, entre Hollywood et Cannes ici n’ont pas de répercussion : "De qui parle-ton : des grands studios ? De Netflix ?", se demande le directeur. "En réalité, les studios américains ont quelques dizaines d’acheteurs ici. Ils sont toujours présents, mais ça reste marginal, puisqu’ils ont des filiales dans tous les pays pour distribuer leurs film", explique Jérôme Paillard. "Les Américains qui sont là sont les gros et les petits indépendants, les festivals, les distributeurs, et les producteurs, beaucoup de producteurs".
La deuxième présence dans le Marché est française (15% des participants), puis il y a le Royaume-Uni (10%) et la Chine en 4e place (7% des participants). Au-delà de ce top 4, c’est la dimension internationale tous azimuts qui est bon signe. Si certains pays ont toujours été là comme l’Iran, la présence d’autres est un événement. "La Palestine a réussi à revenir, mais avec des difficultés politiques et économiques très fortes. Tout le monde s’est donné la main pour leur trouver un lieu d’accueil", explique le patron du Marché. "L’Afrique, elle, est présente avec deux pavillons. Il y a toujours eu à la fois des talents et des producteurs. Mais on sent, cette année, qu’un mouvement s’est organisé et on espère qu’il accompagne une vraie renaissance de l’industrie dans le continent", poursuit Jérôme Paillard.
Comment ça marche ?
A l’étage, dans un autre espace du Marché, au Riviera, parmi les vendeurs, les gros producteurs (comme ce stand de Hong Kong Fortune Star qui affiche fièrement ses films à la gloire de de Bruce Lee) côtoient les petites structures indépendantes. Comme cette jeune société allemande spécialisée dans le Moyen-Orient, ArtHood Entertainment, pour la première fois au Marché du film. Wolfgang Döllerer nous explique être ici à la fois pour trouver des co-productions et pour vendre ses films : des longs métrages de fiction iraniens, Leakage ou Goldrunner, ou ce documentaire, Amina, qui retrace le douloureux périple d’une jeune Sénégalaise en Turquie dans l’espoir d’un avenir meilleur.
Un peu plus loin, dans le stand d’Alfama Films, nous croisons une star parmi les producteurs français, Paulo Branco (producteur notamment de films de Christophe Honoré, de Raoul Ruiz ou de Manoel de Oliveira) présent pour "vendre ses films à l’international et parler de projets". Sourire aux lèvres, il est fier d’être le "premier producteur à avoir signé il y a 30 ans pour avoir un espace ici", nous dit-il, c’était alors pour Gemini Films.
Un Marché à la fois organisé et artisanal
"Le marché traditionnel des vendeurs et des distributeurs est assez organisé", explique Jérôme Paillard. "Les premiers savent ce qu’ils ont à vendre et les seconds (à peu près) ce qu’ils peuvent acheter, et tout ça est organisé avec des rendez-vous, des projections, des contrats. En revanche, tout ce qui touche à la production et au business développement des entreprises est moins structuré. Venir au Marché de Cannes est important justement parce qu’on peut s’ouvrir des opportunités y compris dans des chemins qu’on n’avait pas envisagés".
L’échange, encore une fois, provoque la découverte. Et l’intérêt, par exemple, pour l’animation – dont on parle beaucoup cette année -, le documentaire, le blockchain, la VR (réalité virtuelle), des projets de films de genre… "C’est là l’intérêt pour des professionnels de participer au Marché", conclut Jérôme Paillard. "L’information est disponible sur internet mais le brassage, le fait de bavarder, les speed-dating, les petits déjeuners, sont dans ce genre d’événements. C’est très artisanal, et cela impose surtout de sortir de sa zone de confort".
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