Cannes 2019 : "Le traître" de Bellocchio, quand un repenti fait plier la mafia
Le grand cinéaste italien Marco Bellocchio retrouve la compétition cannoise ce 23 mai avec "Le traître" ("Il traditore"), beau drame classique consacré à la figure de Tommaso Buscetta, mafieux repenti qui transforma la lutte contre Cosa Nostra.
Le traître : c’est ainsi que la mafia sicilienne, Cosa Nostra, voit Tommaso Buscetta, dit Don Masino, depuis qu’il a décidé de collaborer avec la justice après avoir vu une partie de sa famille décimée par des clans rivaux. C’est à lui, le premier des grands "repentis" de la mafia, dont les dénonciations ont permis 366 arrestations de taille, que s’est intéressé Marco Bellocchio de retour à la compétition à Cannes, dix ans après Vincere (sur Mussolini).
Hommage au juge Falcone
Buscetta est une figure d’autant plus importante qu’elle est associée aussi au nom de Giovanni Falcone, le célèbre juge auquel il se lie d’amitié, et qui portera à la mafia, grâce à cette collaboration, un coup sérieux mais non définitif car il périra dans un attentat à la bombe à Capaci (sur l’autoroute près de Palerme) le 23 mai 1992. D’ailleurs en sa mémoire, Le traître (Il traditore en italien) sort en salle en Italie ce 23 mai.
Bellocchio s’empare avec ce film d’une trame historique et politique de premier intérêt. Il revient sur la période-clé des "maxi-procès" (ils étaient appelés ainsi) sur la mafia sans éluder les débats qui ont eu lieu autour d’eux. Avec les questions induites par la repentance : sa sincérité (par rapport à la justice) et les rapports du repenti avec sa "famille" d’avant.
Nostalgie de la mafia d’antan
"J’ai été et je reste un homme d’honneur. Ce sont eux qui ont trahi les idéaux de Cosa Nostra" dit le personnage dans le film. Avec sensibilité et à-propos, Bellocchio montre sa nostalgie d’une prétendue mafia idéale d’antan et désigne quand-même Buscetta comme un criminel, évitant ainsi qu’on l’accuse d’en faire un héros.
La description des procès, dans leur théâtralité, vaut également le détour. Ces moments censés être solennels, tournent à la foire. L’attitude de tous ces boss (petits et grands) de Cosa Nostra dans leurs box (leurs cages, faudrait-il dire) devient même cocasse : l’un d’eux se déshabille entièrement par protestation, tandis qu’un autre refuse d’éteindre son cigare et cite du Michel Butor !
Personnages ciselés
Bellocchio sculpte à merveille ses personnages et les acteurs le lui rendent bien. Pierfrancesco Favino (grand comédien malheureusement si peu connu hors d’Italie) campe généreusement l’homme charismatique et bon vivant qu’est Buscetta. Fabrizio Ferracane endosse le rôle du parfait salaud, et Luigi Lo Cascio (bien plus reconnu à l’étranger que les précédents) est tordant en mafieux inintelligible au procès parce qu’il est incapable de parler autre chose que le dialecte sicilien…
Le traître est un film beau, puissant. Et haletant : l’action qui se déroule entre la Sicile, le Brésil (où l’homme s’est réfugié à plusieurs reprises avant d’être extradé) et Rome ne perd jamais son rythme, qui alterne les coups d'éclat (et de feu) et le drame. Mais sa facture reste très classique, avec une photographie soignée et ce qu’il faut de lyrisme, comme Bellocchio sait si bien le faire. En faisant même appel, quand il le faut, à de beaux airs d'opéra.
La Fiche
Genre : Biopic, Drame
Réalisateur : Marco Bellocchio
Acteurs : Pierfrancesco Favino, Maria Fernanda Cândido, Fabrizio Ferracane, Luigi Lo Cascio
Pays : Italie, France, Allemagne, Brésil
Durée : 2h25
Sortie : 6 novembre 2019
Distributeur : Ad Vitam
Synopsis : Au début des années 1980, la guerre entre les parrains de la mafia sicilienne est à son comble. Tommaso Buscetta, membre de Cosa Nostra, fuit son pays pour se cacher au Brésil. Pendant ce temps, en Italie, les règlements de comptes s'enchaînent, et les proches de Buscetta sont assassinés les uns après les autres. Arrêté par la police brésilienne puis extradé, Buscetta, prend une décision qui va changer l'histoire de la mafia : rencontrer le juge Falcone et trahir le serment fait à Cosa Nostra.
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