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Festival de Cannes : prêts à tout pour décrocher une place

Ils sont une quinzaine, voire beaucoup plus selon les jours, postés de longues minutes, parfois des heures durant, devant le Palais des festivals. Ils ont 16, 25 ou 68 ans. En jean baskets ou en smoking et robe longue. Un carton à la main, ils espèrent décrocher une invitation pour une projection ou, le must, fouler le tapis rouge après les stars. Et, le saviez-vous ? Ça marche !
Article rédigé par franceinfo - Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Ambre, 16 ans.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi / Culturebox)

Vous ne pouvez pas les rater : ils sont 10, 15, voire plusieurs dizaines selon les jours, les heures, les projections, une feuille à la main pour tenter d’obtenir une invitation : « Looking for tickets please ». Chercheurs d’autographes ou de selfies avec stars ? Inconditionnels de la montée des marches ? Oubliez ! Ce sont tous des cinéphiles, étudiants, jeunes professionnels ou retraités, prêts à tout pour voir de la bobine… à condition que soit sur la Croisette.

A chacun sa technique

Comment ça marche ? Lorsque les sociétés de production, de distribution et de réalisation présents à Cannes reçoivent quotidiennement leurs lots d’invitations, ils sont censés les utiliser tous au risque de ne pas être réapprovisionnés du même nombre le lendemain. Les billets non utilisés, mieux vaut donc les offrir à ceux qui, on en est certains, s’en serviront et les valideront auprès des guichetiers. Ils seront d’ailleurs donnés en priorité aux détenteurs d’un badge de « Cinéphiles » (qui n’offre seul qu’un accès limité aux films). Il est beaucoup plus rare que des journalistes en distribuent, car leur sésame pour assister aux projections est un badge personnel, sauf pour les montées des marches.

Il y a donc de fortes chances d’obtenir une invitation si vous en réclamez une, encore faut-il savoir la demander. Ambre, 16 ans, presque 17, élève en 1re option cinéma à Annecy, chasse la place toute seule, au milieu de la rue rendue piétonnière, quelque peu éloignée des autres demandeurs. Son carton ne mentionne pas de film particulier, mieux vaut viser large, pense-t-elle – et tous ses camarades de classe ont opté pour la même technique. Devant une autre sortie du Palais, Hugo, Nawfel, Adrien et Léopold, même âge, même classe mais à Strasbourg, ont dégainé leur smartphone avec l’inscription du nom du film car la séance visée est unique. Après une demi-heure d’attente infructueuse, Emeline, Manon et Marion, étudiantes en fac de cinéma à Bordeaux, se sont aperçues que leur feuille réclamant trois places pour le même film ne serait pas efficace.

Attirer l’attention

A peine arrivés de leur campus de l’Ecole des Mines à Aix-en-Provence, Silvestre, Emmanuelle, Hadrien et Clément cherchent en binôme : « Deux places pour The Square pour deux jeunes (futurs) ingénieurs », mentionne le carton. Surtout, deux d’entre eux ont sorti leur atout majeur pour attirer l’attention, l’uniforme d’apparat de l’école.
Les élèves de l’Ecole des Mines de Saint-Etienne (campus d'Aix-en-Provence)
 (photo Lorenzo Ciavarini Azzi / Culturebox)
Antoine et Nicolas, eux, sont de véritables pros. Avec eux, peu importe l’inscription sur leur feuille, pourvu que celle-ci soit visible. Collés dos contre dos de manière à couvrir le plus large spectre, leur truc est de repérer très vite le potentiel donateur et d’attirer le regard, intensément : et ça marche ! En quelques minutes à peine (nous pouvons en témoigner), l’un (plus), l’autre (un peu moins aujourd’hui) collectionnent les invitations et partagent équitablement. « Le matin c’est le meilleur moment », nous explique-t-on, « car les gens demandent surtout des places pour les séances du soir avec les stars et les équipes de réalisation ». 
Nicolas et Antoine.
 (photo Lorenzo Ciavarini Azzi / Culturebox)
Présent toute la quinzaine, le duo d’amis parvient à voir jusqu’à 4-5 films dans la journée ! Rusés et expérimentés, les deux savent également repérer (pour les éviter et ne pas perdre de temps), ceux qui cherchent à vendre les billets. La pratique, interdite par le Festival, existe même si elle est rare, le prix des places allant de 10 à 50 euros selon nos témoignages.

Les scénaristes, la critique en herbe et le policier à la retraite

Mais qui sont ces passionnés prêts à attendre parfois plusieurs heures en une journée pour se faire une toile ? Antoine, 24 ans et Nicolas, 26 ans, eux, sont du métier déjà, mais n’en vivent pas encore. En job alimentaire, le premier fait de la rédaction publicitaire dans une société de marketing, l’autre a choisi coursier. Le reste du temps ils sont auteurs scénaristes pour différentes maisons, et à Cannes ils sont chez eux, les films c’est leur carburant.
Le trio d'étudiantes en cinéma de Bordeaux.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi / Culturebox)
Le gros du contingent d’inconditionnels du cinéma demandeurs de places que nous interrogeons est composé d’étudiants. Il y a nos (futurs) ingénieurs en micro-électronique et nouvelles technologies, tous accros au cinéma, et l’un d’eux incollable sur l’histoire du Festival. Plus communément, il y a surtout des dizaines de futurs professionnels du cinéma. Emeline veut être metteure en scène et si elle accepte de consacrer un budget assez conséquent pour couvrir toute la quinzaine, c’est qu’elle escompte des contacts pour des stages de régie sur des plateaux de tournage. Marion voudrait être réalisatrice dans l’événementiel et s’inspire de tout ce qu’elle observe à l’intérieur et à l’extérieur du Palais des festivals, enfin Manon est une critique de cinéma en herbe, inutile de préciser que la fréquentation des salles de Cannes lui paraît indispensable dans son CV.
Christian, policier à la retraite.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi / Culturebox)
Christian n’est pas étudiant. A 68 ans, c’est un ancien policier qui, après une longue carrière à Paris, s’est installé dans la région pour sa retraite. Depuis l’ouverture du Festival, ses après-midi, c’est ici qu’il les passe, guettant une invitation bleue, la seule qui ne nécessite pas de badge. Légèrement bronzé, toujours impeccable, élégant dans son smoking, très courtois. Parfois l’attente est longue, un peu fatigante sous la chaleur, mais elle fait partie du jeu. « C’est plus motivant de la gagner, sa place. Et puis pendant l’attente il y a l’ambiance, la foule à observer, les belles femmes à admirer, les rencontres, toujours variées, on discute, on échange, on troque même des places ». Loin, pour lui, le temps où il patrouillait, comme ces policiers qu’il observe autour de nous, très nombreux à Cannes, portant le poids du matériel et de la tension du risque attentats.

Eva Longoria, Kristen Stewart et Clint Eastwood

Et puis il y a les lycéens, par dizaines. Comme ceux-ci, de Strasbourg. Accompagnés de deux professeurs par classe, restant groupés le plus souvent, la Croisette est pendant quatre jours leur cour de récréation où ils ont leurs habitudes et leurs techniques pour guetter la place. Fiers d’être là, contents aussi d’en parler, de leur passion, des films qu’ils ont vus, de l’intérieur du Théâtre Lumières, « la salle mythique du Festival », des critiques de films qu’ils ont déjà publiées, pour certains, dans les Dernières Nouvelles d’Alsace.
Les élèves d'une classe de première de Strasbourg.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi / Culturebox)
C’est la magie de la Croisette qui les séduit ici, mais c’est le cinéma avant toute chose. Passant juste devant eux, le comédien et humoriste Kev Adams reçoit de leur part des sourires et un « salut Kev », mais pas plus d’euphorie. « Il ne vous plaît pas ? », nous leur demandons étonnés.  « Si, il est sympa, mais vous savez, aujourd’hui on a eu tellement d’émotions ! On a croisé Eva Longoria, vu et écouté Kristen Stewart, et assisté à une projection « d’Impitoyable » en compagnie de Clint Eastwood en personne. Alors, Kev Adams… ».

(Ce reportage a été réalisé la veille de l'attentat de Manchester)



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