"Enemy" en vidéo : Denis Villeneuve ravive le mythe du doppelgänger
Le film : Doppelgänger, kezako ? Le terme d'origine allemande désigne le double imaginaire d'une personne. Le thème a été particulièrement illustré dans la nouvelle d'Edgar Allan Poe "Metzengerstein" (1832) que Roger Vadim adapta au cinéma dans un des fragments d'"Histoire extraordinaires", avec Alain Delon et Brigitte Bardot. On y voit un jeune officier se battre en duel avec son double, alors qu'en fait, il lutte avec lui-même. C'est exactement le même sujet de "Enemy", actualisé dans le Québec d'aujourd'hui.
Denis Villeneuve décline le thème du double dans sa découverte-même par son héros. La rencontre d'Adam Bel avec Anthony Saint-Clair s'effectue par le visionnage d'un DVD, où l'acteur du film lui ressemble en tous points, jusqu'à la voix. L'acteur n'est-ce pas aussi la voie du double, cette déduction s'accrochant au film dans une construction gigogne ? La narration du cinéaste, qui adapte un roman de José Saramago, est très progressive, parfois déroutante et laissera finalement le spectateur en suspens, lui laissant le soin de combler les vides. Vides qui sont aussi ceux d'Adam, pris sous l'emprise de son double et de visions de plus en plus monstrueuses d'arachnides. Cet homme n'aurait-il pas une araignée au plafond ? L'inquiétante étrangeté
L'étrange récit de "Enemy" baigne dans une lumière glauque, au sens premier du terme : des couleurs jaune-verdâtres qui imprègnent le film d'une grande tristesse. Elles transcrivent celle d'Adam, et la perte de conscience d'un homme qui donne tous les signes de perdre la raison. Mais est-ce bien la clé du film ? Les scènes où Anthony Saint-Clair se retrouve avec sa femme enceinte (encore le thème du double, une femme portant un enfant étant une double personne), hors la présence d'Adam, ne témoignent-elles pas de sa réalité ? De fait, ne serait-ce pas Anthony qui projette son double en Adam ? Denis Villeneuve joue avec le spectateur sans conclure sur aucune direction.
C'est ce qui participe du charme du film. Mais il risque de dérouter certains. Par son sujet, "Enemy" est dans la lignée du "Locataire" de Polanski, de "Faux semblant" de Cronenberg , de "Vertigo" d'Hitchcock et de son quasi-remake "Obsession" de De Palma. Tous flirtent avec le fantastique pour explorer l'âme humaine et ses tourments. Ce à quoi parvient parfaitement Denis Villeneuve si l'on se laisse prendre au jeu (au piège ?) d'un film atypique, qui pose plus de question qu'il n'y répond. Envoûtant.
Bonus : Même s'il est court, le commentaire de François Theurel sur "Enemy" est passionnant. Il rend compte de toute la complexité du film, de ses partis-pris de mise en scène et de son approche en abîme de ses thèmes.
Enemy
De Denis Villeneuve (Canada/Espgane), avec : Jake Gyllenhaal, Mélanie Laurent, Sarah Gadon, Isabella Rossellini - 1h30 - Sortie en salles le 27 août 2014
Editeur : Condor Entertaiment
DVD : à partir de 11,99 euros
Blu-ray : à partir de 14,99 euros
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