"Nulle part en France", un documentaire de Yolande Moreau sur les réfugiés
Quand Arte, qui voulait "un autre regard" sur les réfugiés, l'a sollicitée en décembre, elle n'a d'abord "pas trop compris" ce qu'on attendait d'elle, relevant que "des tas de gens font ça très bien".
Elle avait déjà eu envie de signer l'appel de Calais qui entendait alerter sur le sort des migrants. "Il y avait eu les attentats et les élections et, comme tout un chacun, j'ai été effrayée et consternée par tout ça", confie la comédienne à l'AFP. Alors elle s'est dit : "Faisons-le, après tout mon moyen d'expression c'est de fabriquer des films."
Elle est partie tourner dix jours au mois de janvier, avec une équipe d'Arte et une traductrice d'arabe, essentiellement à Grande Synthe et un peu dans la "Jungle" de Calais, où vivent entre 3.500 et 5.000 migrants.
Un exercice "intimidant et difficile"
"Je pensais filmer de loin, j'avais peur de ce gros truc un peu voyeur, je le sentais très mal (...) L'exercice est intimidant et difficile", admet-elle.Les habitations de fortune, les intempéries, la pluie, la terre qui refuse de sécher, le vent qui souffle les bâches, les bulldozers qui ensablent les tentes, la misère visible des réfugiés. Ils sont en souffrance, ils ont un "nulle part pour patrie".
"J'entends tout le temps : 'On ne peut pas accueillir toute la misère du monde.' Elle me gonfle cette phrase !", s'exclame-t-elle.
Elle ne voulait surtout pas d'un film artistique, même si ses images sont belles de sincérité, ses plans longs et sensibles. "Nous n'étions ni voyeurs, ni méprisants dans notre approche", estime-t-elle.
En France, "on nous hait"
"Je ne voulais pas de commentaires à moi, mais je voulais des mots justes, quand je suis tombée sur des poèmes de Laurent Gaudé", raconte-t-elle. L'écrivain, prix Goncourt pour "Le Soleil des Scorta", a eu envie de faire partie de l'aventure et a rejoint la réalisatrice sur place.Hawré, un Kurde irakien de 28 ans, diplômé en géologie, a fait le long voyage depuis Kirkouk (nord de Bagdad) et espère atteindre l'Angleterre. En France, "il y a une telle haine, c'est incroyable ! On nous hait et on le ressent".
"La peur de l'autre est de plus en plus palpable chez nous, comme le révèle la montée du Front national", souligne Yolande Moreau. La France est-elle "carrefour ou citadelle ?" interroge-t-elle dans le film.
"Parmi les réfugiés, il y a plein de gens très bien. Ce qu'il leur arrive est horrible", poursuit-elle, "alors j'ai voulu leur laisser la parole".
Un bénévole apporte des gâteaux tous les dimanches
Des bénévoles se sont aussi livrés à la réalisatrice comme cet ouvrier au franc-parler qui apporte aux migrants des gâteaux tous les dimanches : "Il y a deux solutions, ou on les laisse partir en Angleterre ou on les euthanasie mais les laisser dans la boue sans rien ce n'est pas normal !"."C'est monsieur tout le monde qui s'exprime là, j'aime bien ça", confie celle qui interpréta "Séraphine" au cinéma.
Une mère kurde, avec ses quatre enfants, qui se plaint de "répression", espère voir ses enfants grandir en Europe où "leurs droits seront respectés".
Sur le sort des femmes dans ces camps, Yolande Moreau remarque que "c'est très compliqué" pour ne pas dire dangereux "dans ce contexte essentiellement masculin".
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