Découvrez le documentaire "L'Opéra" de Jean-Stéphane Bron, remarquable incursion dans l'antre de l'institution
C'était avant la grève et avant le confinement. Sorti en 2017, "L'Opéra" de Jean-Stéphane Bron racontait de l'intérieur le fonctionnement de l'institution lyrique et de danse parisienne. Un magnifique documentaire à voir ou revoir pendant une semaine.
France.tv/culturebox ainsi que le site de l'Opéra de Paris mettent en ligne à partir de ce lundi à 19h30 le documentaire de Jean-Stéphane Bron L'Opéra, qui sera disponible gratuitement (et à n'importe quelle heure) pendant une semaine. L'occasion de découvrir cette incroyable incursion dans la grande maison de la musique et de la danse, non sans une certaine nostalgie.
Deux tremblements de terre et une succession
Car depuis la sortie de ce film en avril 2017, l'institution qui fêtait récemment ses 350 ans a été secouée par deux véritables tremblements de terre : la grève la plus longue de son histoire contre la réforme des retraites (commencée en décembre 2019), qui a entraîné notamment 85 annulations de spectacles. Et puis la crise sanitaire qui a provoqué l'arrêt complet des représentations. Un cataclysme.
Son directeur général Stéphane Lissner déclarait le 5 mai dernier que l'Opéra de Paris se retrouverait "sans fonds de roulement et un déficit autour de 40 millions d'euros", car l'institution "s'autofinance à plus de 60%". Un fardeau dont héritera à partir de 2021 l'Allemand Alexander Neef, le successeur de Lissner, contraint de quitter pour dépassement de la limite d'âge.
Pour ne pas perdre le lien avec son public, depuis le 17 mars, l'Opéra de Paris propose toutes les semaines la retransmission d'un spectacle en collaboration avec France.tv/culturebox. Et c'est dans ce cadre que se situe la diffusion de ce documentaire du réalisateur suisse Jean-Stéphane Bron.
Incursion humaine, sociale
Le récit démarre en l'été 2015 et couvre la première saison de Stéphane Lissner à la tête de l'institution. Une année durant, la caméra de Jean-Stéphane Bron ira les voir. Ceux de la direction, mais les autres aussi. Surtout les autres, à tous les étages de cet imposant immeuble de l’opéra Bastille, comme dans l’autre site, historique, de l’opéra parisien, le palais Garnier. Dans les coulisses, les couloirs, sur la scène où l’on répète. Dans les loges de maquillage, chez les perruquiers. Avec les costumiers, les femmes et les hommes qui font le ménage, le chef de chant, le metteur en scène, le décorateur, le chœur… Bienvenue dans cette ville dans la ville.
Huit ans après le film de Frederick Wiseman, La danse (consacré uniquement au Ballet), L’Opéra de Jean-Stéphane Bron est un regard curieux, ému et parfois amusé sur l'avant et l'après représentation, sur le travail de l’ombre qui permet la lumière. Ce qu’il nous montre n’est pas le spectacle lui-même, mais la vie sociale, humaine de vaste lieu. Jamais des passages d’opéra ou de ballet ne sont montrés plein cadre dans ce film, ils sont toujours vus par le prisme du travail, par l’œil d’un professionnel, par la coulisse. Et la magie de ce film est là.
Un œil tout neuf
Quelques personnages principaux nous servent de guide : il y a donc Stéphane Lissner, homme d’équipe plongé dans les mille rouages de la production d’opéra, homme à l’écoute autant qu’habile négociateur. Mais aussi homme solitaire, que l’on voit par exemple regarder la première de Moïse et Aaron de Schönberg isolé devant son poste.
Il y a Mikhail Timoshenko, un jeune baryton-basse originaire d’un petit village de Russie, sélectionné pour entrer à l’Académie de l’Opéra de Paris, le programme destiné aux jeunes artistes mi-étudiants mi-professionnels. Bougrement doué, beau gosse, curieux de tout, Micha est surtout l’œil tout neuf par lequel le spectateur du film découvre l’univers de l’opéra.
Voici également Philippe Jordan, le directeur musical de l’institution. Il est ici celui qui fait tourner la machine artistiquement, il est à toutes les répétitions, il est la transmission, il est l’écoute, mais il est aussi l’efficacité, d’ailleurs sa corpulence apparaît ici très musclée pour faire face à toutes ses tâches.
Tout le monde sur un pied d’égalité
D’autres figures, plus ou moins récurrentes, peuplent ce film. Comme la régisseuse de scène, celle qui, depuis sa cabine, donne les "tops", c’est-à-dire qu’elle indique aux services lumières, accessoires, machineries, etc. à quel moment intervenir dans le spectacle. Elle est à l'origine de quelques scènes d'une grande poésie qu’on vous laisse découvrir. D’autres personnes rencontrées dans le film sont de véritables stars, comme Benjamin Millepied, qui a été pendant un an et demi directeur de la Danse, ou encore Jonas Kaufmann, l’un des ténors les plus célèbres au monde, filmé pendant une répétition orchestre. Mais leur présence n’est que très fugace. Ici, de toute manière, tout le monde est traité sur un pied d’égalité.
La mise en scène de Jean-Stéphane Bron est à la fois dynamique et sensible. Le montage images du film donne le rythme. Mais parallèlement à celui-ci, un montage son, constitué de musiques additionnelles, offre comme une seconde narration, qui permet de prendre une jolie distance, souligner une tension, mettre du suspens ou renforcer un sentiment joyeux.
Confrontation
Comment se passe une négociation avec les syndicats après un préavis de grève qui menace la tenue d’une production ? Comment discute-t-on avec le chœur à propos de son positionnement sur scène, en carré ou en diagonale ? Comment dire au téléphone à Benjamin Millepied qu’un successeur potentiel lui a déjà été trouvé ? Le regard toujours très sobre de la caméra porté sur la confrontation sociale est l’un des intérêts de ce film. Aujourd'hui, après le conflit social qu'a connu l'Opéra, il n'en a que plus de force.
La fabrication artistique aussi révèle des perles : le remplacement d’un baryton dans la production des Maîtres chanteurs, deux jours avant la première demande aux équipes de l’Opéra de Paris une réactivité qui transparaît ici dans toute sa fluidité : magique ! Le casting d’un taureau prévu sur la production de Moïse et Aaron est lui, montré avec poésie et humour…
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