De ses sketchs sur VHS à "Nicky Larson", comment Philippe Lacheau est devenu l'un des patrons de l'humour français
En trois films, l'acteur-réalisateur a rassemblé plus de 9 millions de spectacteurs et pas mal de critiques. Et son nouveau long-métrage "Nicky Larson et le parfum de Cupidon", qui sort mercredi, pourrait l'installer parmi les valeurs sûres de la comédie made in France. Un aboutissement pour celui qui rêve de ça depuis tout petit.
Effervescence près de la tour Eiffel. Nous sommes en 2006 et le bruit court que le couple Brad Pitt-Angelina Jolie s'est installé à Paris avec ses enfants. Les paparazzi planquent dans le quartier, les fans arpentent les rues à la recherche d'une photo ou d'un autographe. Parmi eux, Philippe Lacheau, 26 ans, tente sa chance. "Il est absolument fan de Brad Pitt, se rappelle son amie Reem Kherici. Il a passé un après-midi dans le quartier en espérant voir le couple, il a littéralement fait la chasse aux 'Brangelina'". En vain. A l'époque, Philippe Lacheau fait ses classes dans "Le Vrai Journal' de Karl Zéro, sur Canal+.
Plus de dix ans plus tard, l'humoriste de 38 ans à la mèche blonde est devenu une star de la comédie made in France. Mercredi 6 février, le public pourra découvrir au cinéma son quatrième film en tant que réalisateur, Nicky Larson et le parfum de Cupidon, adaptation du manga japonais City Hunter créé par Tsukasa Hojo, qui a fait les belles heures du "Club Dorothée" dans les années 1990.
Pour entrer dans la veste bleu ciel du détective à la gâchette facile, obsédé par les femmes, il a pris du muscle et sa mèche est devenue brune. Cette comédie d'action est "son film le plus ambitieux", selon son producteur Marc Fiszman. Un accomplissement pour celui qui réalisait des films amateur avec son frère et ses potes.
Parodie du "Soldat Ryan" et naissance de la "bande à Fifi"
Car avant de s'attaquer à Nicky Larson, Philippe Lacheau a bataillé. Très tôt, l'enfant rêve de cinéma et de filmer. Son père Gérard, assureur, et sa mère Huguette, couturière, se font prêter de l'argent pour lui offrir sa première caméra. Il a 14 ans et son petit frère Pierre devient alors son premier acteur. "Depuis que j'ai 4, 5 ans, il me filme. Il n'avait personne sous la main, j'ai été sa première 'victime'", rit le benjamin. A grand renfort de perruques ou de rouge à lèvres, Pierre Lacheau est de tous les tournages, dont par exemple une parodie d'Il faut sauver le soldat Ryan.
Bientôt le cercle s'agrandit, la résidence de La Celle-Saint-Cloud où la famille vit, dans les Yvelines, devient un décor à part entière. A cette époque, Julien Arruti, un voisin, n'a pas encore la fièvre du cinéma comme Philippe, mais il participe à ces tournages. C'est au collège que les deux deviennent inséparables. "Julien a deux ans de plus que moi, mais à cause des redoublements, on s'est retrouvés dans la même classe", s'amuse Philippe Lacheau. Le duo devient trio avec l'arrivée de Tarek Boudali, camarade de classe de BTS de Julien.
Quand on était gamins, Philippe était déjà leader sur nos tournages. Maintenant, il est un peu moins con (rires), mais il n'a pas bougé. On est devenus une famille, une famille qu'on a choisie.
Julien Arrutià franceinfo
Ainsi naît "la bande à Fifi". A 20 ans, Philippe Lacheau tente de passer par la case télévision. "Je voyais émerger Jamel Debbouze, José Garcia, Les Nuls… Du cinéma, ils en faisaient tous. Je me suis dit que j'allais essayer de faire comme eux", raconte-t-il au Parisien. Il démarche les vedettes de la télévision dans la rue ou envoie les VHS de ses sketchs aux chaînes. Michaël Youn, alors présentateur du "Morning Live" sur M6, émission-phare du début des années 2000, le met dans la lumière.
A 7 heures du matin, ma mère m'appelle : 'C'est M6 au téléphone, Mickaël Youn veut te parler, il va diffuser un de tes sketchs'. Je comprends rien du tout à ce qui se passe.
Philippe Lacheauà franceinfo
Quelques minutes après ce coup de fil, son sketch Matt et Rick, deux flics qui en ont dans le pantalon est diffusé sur le petit écran. "Quand tu vois le niveau du truc, c'est un beau message d'espoir pour tous ceux qui veulent faire du cinéma", rigole-t-il aujourd'hui.
Avant le grand écran... le petit
Bonne pioche. En 2001, il entre chez Fun TV, où il rencontre Reem Kherici : "Philippe avait vu que j'étais un peu folle. Avant, dès qu'il avait besoin d'un personnage féminin, lui ou les autres mettaient des perruques, mais il avait besoin d'une fille". Elle intègre véritablement la troupe trois ans plus tard, alors que la bande fait des sketchs dans "Le Vrai Journal" de Karl Zéro sur Canal+. "Il avait besoin de rajeunir son public, explique Pierre Lacheau. Il a dit à Philippe : 'Tu as carte blanche, tu te mets dans une cave et tu fais ce que tu veux'". Ainsi naît la pastille "La Cave à l'info", où s'enchaînent parodies de films et de séries, tel que L'Homme qui valait 3 milliards.
Après "Le Vrai", "Le Grand Journal" présenté par Michel Denisot devient leur lieu de représentations quotidien, jusqu'en 2007. "Comme il y avait toujours plein d'invités venant du monde du cinéma, on leur demandait des conseils", raconte Tarek Boudali. Mais le septième art attendra encore un peu. La troupe s'essaie au théâtre dans Mais qui a tué le mort ?, une pièce produite par Dominique Farrugia. "On pensait que ça pouvait déboucher sur une adaptation", se rappelle Reem Kherici. Mais en 2009, Philippe Lacheau et ses acolytes reviennent sur le petit écran, sur W9, pour l'émission "Chut, chut, chut !", où un membre doit se plier à un défi douloureux sans perturber le silence qui règne dans une bibliothèque.
Lorsque l'aventure W9 s'arrête, Philippe Lacheau fourmille d'idées pour le grand écran : une parodie de Titanic, une autre de Mission : Impossible... Il démarche tous les producteurs de la place de Paris. La réponse est toujours la même : non, car le projet est trop cher ou parce que la bande n'a jamais fait de cinéma.
Ça a été difficile, j'ai douté. En plus, durant cette période où il ne se passait rien, c'était difficile d'être créatif. Mais c'était impossible que je fasse autre chose de ma vie.
Philippe Lacheauà franceinfo
A cette époque, les films "found footage", fondés sur un enregistrement vidéo, comme Cloverfield ou Paranormal Activity, cartonnent. "Fifi" décide d'écrire une comédie sur ce principe. C'est le point de départ de Babysitting. "C'était sa dernière chance de faire du cinéma", confie aujourd'hui son frère Pierre. Ses comptes sont bientôt dans le rouge vif, sa voiture est en vente et Philippe Lacheau hésite à faire de même avec son appartement au Chesnay. Mais un dîner va tout changer.
"Vous verrez, ce film va passer tous les ans à la télé"
En 2012, avec son amie comédienne Géraldine Lapalus, il dîne chez Marc Fiszman. Le courant passe et un mois après, le script de Babysitting sous le bras, il le relance. "Le scénario m'a tout de suite convaincu, je n'avais aucun doute et je disais : 'Vous verrez, ce film va passer tous les ans à la télévision pendant dix ans', retrace le producteur. Mais les financeurs étaient réticents, disaient qu'il fallait laisser le 'found footage' au cinéma d'horreur et aux Américains. A l'époque, la notoriété de Philippe posait aussi problème puisqu'il ne passait plus à la télévision".
Malgré le soutien du producteur, puis d'un second, Christophe Cervoni, le destin du film est sinueux. "On ne savait pas si le film allait se faire. Un jour, on nous annonçait qu'on tournait, le lendemain, c'était l'inverse", retrace Pierre Lacheau. Finalement, l'équipe obtient le feu vert. Sur le plateau, l'ambiance est studieuse. Marc Fiszman se souvient de "mecs qui buvaient un verre d'eau, mangeaient une demi-entrée et retournaient bosser". Le tournage se termine en août 2013, avec un jour d'avance.
Six mois plus tard, le film est sélectionné pour le Festival international du film de comédie de l'Alpe d'Huez. Il y triomphe, reçoit le Prix du public et le Prix spécial du jury. "Au début de la projection, j'étais terré au fond de mon fauteuil, se souvient Philippe Lacheau, mais j'ai commencé à aller mieux quand j'ai entendu les premiers rires". Des applaudissements se font même entendre pendant la séance. "On n'oubliera jamais ce jour-là, confie Tarek Boudali, c'est comme si on nous avait dit 'C'est bon, vous avez votre place dans le cinéma français'".
Il a vécu ce succès comme un soulagement, comme quelqu'un qui a gagné au Loto. Il savait que c'était un métier avec peu d'élus.
Reem Kherici, actrice-réalisatriceà franceinfo
Le film à l'humour très potache attire 2,3 millions de spectateurs dans les salles. Depuis, le nom de Lacheau rime avec succès : la suite, Babysitting 2, fait 3,2 millions entrées, et Alibi.com 3,5 millions. En cinq ans, il tourne quatre films pour étancher sa soif de cinéma.
Paradoxalement, ces millions d'entrées ne lui offrent pas une folle notoriété. "Dans la rue, les gens m'appellent encore 'Babysitting'", sourit-il. "Il se met peu en scène, il existe peu sur les réseaux, il y a encore tout à faire, alors qu'il a vraiment un public fan, souligne une source chez Studio Canal, société qui a distribué Alibi.com. Durant la promotion de ce film, on lui disait de développer des réflexes de communication, mais il n'y pensait pas forcément, il nous disait 'mais moi je ne sais pas faire'". Avec 53 000 followers sur Twitter, il est loin des millions de Kev Adams, Omar Sy ou Jamel Debbouze.
Le but, ce n'est pas d'être le plus connu mais de faire rire les gens et qu'on puisse faire un nouveau film. Nos films sont plus connus que nous et c'est tant mieux.
Philippe Lacheauà franceinfo
Les copains et la famille d'abord
Si Philippe Lacheau a eu du mal à se faire une place dans la "grande famille du cinéma", désormais il peut travailler avec ses monstres sacrés. Didier Bourdon, Nathalie Baye, Christian Clavier ou Gérard Jugnot jouent aujourd'hui sous sa direction. Pas de quoi faire oublier au réalisateur sa "vraie" famille. Ses parents font ainsi toujours un caméo dans ses films. Même lorsqu'il part au Brésil tourner la suite de Babysitting, il les emmène avec lui. "Ils sont venus avec nous pendant deux mois", précise Pierre. Quand il ne voit pas sa mère, Philippe l'appelle deux fois par jour. "Il a toujours besoin d'être entouré de ses proches", éclaire son frère qui écrit avec lui ses scénarios.
Julien Arruti et Tarek Boudali ne disent pas le contraire. Le trio a l'habitude de se retrouver chez Philippe pour travailler. Ou jouer sur la mini-table de ping-pong que ce fan d'Andre Agassi possède. Se vanner aussi. Et la bande s'en donne à cœur joie. Comme sur la conduite, très raisonnable, de "Fifi". "Philippe ne conduit que des automatiques parce que je ne suis pas sûr qu'il ait un jour passé la troisième", chambre son frère.
La bande est tellement inséparable que les projets de tous ses membres sont liés. "On a la chance de travailler entre amis, tant qu'on pourra le faire et que le public nous suivra, on continuera", avance Philippe Lacheau, qui a repoussé des projets pour poursuivre l'aventure avec ses potes. Ensemble, ils ont tout connu, "les bons comme les mauvais moments", insiste-t-il. Parmi les mauvais, il y a les polémiques qui ont accompagné la sortie d'Epouse-moi mon pote. Le film de Tarek Boudali sorti en 2017, dans lequel joue Philippe Lacheau, a été taxé d'homophobie. "Les blagues qui sont faites tendent à surfer sur les stéréotypes qu'on a sur les homosexuels", avait ainsi réagi le président de SOS Homophobie, Joël Deumier, sur BFMTV.
Pour l'adaptation de Nicky Larson, les critiques ont aussi été nombreuses, même si le projet avait été adoubé par le créateur du manga, Tsukasa Hojo.
Ça m'a attristé. Sur 'Epouse-moi...', c'est complètement injustifié, soit les gens n'ont pas vu le film, soit ils sont de mauvaise foi. Et pour 'Nicky...' c'était notre première adaptation, on a découvert que des puristes refusent que tu touches à leur manga culte.
Philippe Lacheauà franceinfo
Pas de quoi effrayer Sony, distributeur du film, qui a rassuré l'équipe en rappelant que l'annonce de l'adaptation de Spiderman par Sam Raimi avait elle aussi été mal reçue, tout comme le 'reboot' de Jumanji. Il a tout de même fallu convaincre les sceptiques lors d'une grosse tournée promotionnelle en province, qui a été bénéfique. "Je reçois des messages d'excuses, des mea culpa", se réjouit-il.
Comme on dit, « Y’a que les cons qui ne changent pas d’avis ». Excuses à @PhilippeLacheau d’avoir jugé un peu trop vite, son adaptation de #NickyLarson est très réussie et franchement hilarante ! https://t.co/BkjDymdfA0
— Mondociné (@Mondocine_net) 17 janvier 2019
A la veille de la sortie du film, Philippe Lacheau découvre la pression d'être très attendu. "Il l'a toujours eue, corrige Tarek Boudali, mais c'est vrai que cette fois, c'est un peu plus parce que c'est une adaptation, parce que c'est une comédie d'action et parce que c'est un gros budget". "Je pourrais me dire 'c'est mon quatrième film, donc je vais mieux gérer, mais c'est faux... souffle Lacheau, je me suis tellement investi que je suis obligé de flipper". Marc Fiszman, le producteur, lui, ne se fait pas de souci. "C'est un blockbuster à la française, ça va cartonner", prophétise-t-il. "Cela lui permettra alors d'obtenir, conclut son frère, un nouveau ticket pour le tour suivant".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.