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De Marcel Carné à Aki Kaurismäki, le cinéma aime Le Havre

Son esthétique déroutante intrigue, rebute, ou charme, parfois. L'Unesco a inscrit son centre ville sur sa liste du patrimoine mondial. Pourtant, combien de voitures passent leur chemin une fois le pont de Normandie franchi ? Les avenues sont larges, les immeubles d'une modernité emblématique des années 50. Les terminaux pétroliers jouent les verrues. Mais, les cinéastes s'y précipitent, ses habitants ne jurent que par elle, le maire la trouve lumineuse. La ville du Havre méritait bien un détour signé Culturebox.
Article rédigé par franceinfo - Vanessa Fize
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Le Havre
 (Nicolas Thibaut / AFP)

Vu du Havre

Il n'est pas cinéaste, mais cinéphile. C'est une des mémoires du Havre. Le rockeur Little Bob est à la fois fier et admiratif : Haki Kaurismäki a filmé sa ville. Il raconte ses impressions à France 3 Haute Normandie :

 

 

Bande annonce de "Le Havre" d'Aki Kaurismaki :

 

 

Un Finlandais échoue au Havre, avec bonheur

Aki Kaurismäki a braqué les projecteurs du cinéma mondial sur Le Havre, avec un film éponyme remarqué à Cannes et dans bien des festivals. Pour aboutir à ce choix, le réalisateur finlandais est parti en voiture. Il a suivi la côte des Pays-Bas à Gênes. Une dizaine de villes portuaires ont retenu son attention. Le choix final fut évident, comme il l'expliqua au journal Le Monde : "je suis tombé amoureux du Havre, de ses lumières qui séduisaient déjà Manet, de ses quartiers ouvriers, de ses docks, de son port... J'ai donc donné son nom à mon film et j'espère avoir réussi à en faire le personnage principal."

 

Le Quai des Brumes, bande annonce :

 

 

T'as d'beaux yeux tu sais...

Le Quai des Brumes de Marcel Carné fut un des premiers films tournés au Havre, en 1938. Le drame se noue sur le port. Un déserteur de l'armée coloniale s'apprête à embarquer pour l'Amérique du Sud. Sa rencontre avec une jeune femme va bouleverser son destin.

30 ans plus tard, c'est Gérard Oury qui s'installe sur les docks, avec une réplique grandeur nature de la Statue de la Liberté (Elle trône aujourd'hui sur un rond point, près du Havre). Le tournage du "Cerveau" fait sensation dans la presse locale et nationale. Il faut dire qu'apparaissent à l'affiche Jean-Paul Belmondo, Bourvil, David Niven... On aperçoit aussi un monument de l'histoire havraise : le paquebot France.

 

Bande annonce de Disco, de Fabien Ontoniente :

 

 

Changement de décor

Depuis l'invention du cinéma, plus de 70 films ont été tournés au Havre, plaçant la ville dans le groupe de tête des plus prisées par le septième art. Ce phénomène ne fait que s'accentuer. Ce n'est plus seulement le port qui attire, mais un esthétisme hors norme dû à la reconstruction des années 50, moderne, fonctionnelle, et austère (signée Auguste Perret). C'est aussi une forme d'image de cité endormie, où le désoeuvrement devrait primer. Fabien Ontoniente s'en moque dans "Disco",  François Desagnat et Thomas Sorriaux font de même dans "La beuze", avec Mickael Youn.

 

Bande annonce de "38 témoins" de Lucas Belvaux, avec Yvan Attal :

 

 

Lettres de noblesse

Le cinéma indépendant (mais pas renié en salles) se tourne à son tour vers le Havre. Il y eut "la Fée", ovni signé Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy.  "Tournée", de Matthieu Amalric, "Le Havre", d'Aki Kaurismaki, ou plus récemment encore les "38 Témoins" de Lucas Belvaux avec Yvan Attal. Ce dernier film est une adaptation du roman de David Decoin, "Est-ce ainsi que les femmes meurent ?". L'histoire est inspirée d'un fait divers américain des années 60. Une femme avait été tuée en plein rue dans le Queen's. Ses cris avaient attiré l'attention de 28 témoins. Aucun n'était intervenu ou n'avait prévenu la police. Un porte-conteneur pour ligne d'horizon, une avenue déserte au petit matin : Le Havre endosse le rôle de "décor".

 

Projection de "38 témoins" au Havre, reportage de France 3 :

 

 

Petit écran 

A la télévision aussi, on redécouvre La Havre. Dernier exemple en date, le tournage de la série "Deux flics sur les docks". Les deux premiers épisodes, tournés début 2011, ont été diffusés à l'automne sur France 2. Les deux flics en question sont incarnés par Bruno Solo et Jean-Marc Barr. La suite est en cours de fabrication au Havre. Ces personnages ont été créés d'après l'oeuvre littéraire de Graham Hurley. Il s'agit d'une série de six thrillers sociaux, dans l'esprit, selon Bruno Solo, de Ken Loach. Autant dire que la ville du Havre sied bien à cette ambiance. 

France 3 Haute Normandie a suivi le tournage et propose sur Culturebox une série de reportages, dont celui-ci :

 

 

Elle fut un port emblème des liaisions transatlantiques, une cité moderne, un peu inhumaine, une aventure populaire, une cité redécouverte. La ville du Havre intrigue le cinéma, et le septième art le lui rend bien... Au fait, Raymond Queneau et Jean Dubuffet ont grandi au Havre, preuve que la ville porte un terreau fertile aux oeuvres les plus originales.

 

Le Havre
 (Christian Cariat / Paris Normandie)

 

La lumière de la ville

Ce n'est pas une politesse, mais une curiosité pas encore tout à fait assouvie. Nous avons demandé au maire du Havre, Edouard Philippe, le secret de sa ville...

 

Culturebox : Qu'est-ce qui fait, selon vous, le succès du Havre au cinéma ?

Edouard Philippe : La lumière. Ici, elle est réellement exceptionnelle. c'est elle qui a attiré les premiers peintres impressionnistes. La première toile du genre, "Impression, soleil levant", de Claude Monet, a été peinte au Havre. C'est notamment  la situation particulière, en estuaire, qui apporte cette caractéristique prisée des artistes comme Boudin, Monet ou Pisaro. Ensuite, la ville forme un décor fort. Il y a d'abord la zone portuaire, cette architecture typique des années cinquante. Enfin, et il ne faut pas s'en cacher, nous faisons tout pour accueillir au mieux les réalisateurs et équipes de tournage, nous simplifions au maximum leur travail. Nous avons créé pour cela un bureau d'accueil des tournages, pour le cinéma, la télévision, et la publicité.

 

Culturebox : Qu'avez-vous ressenti en voyant votre ville filmée par Haki Kaurismäki, ou par d'autres ?

Edouard Philippe : C'est à la fois très curieux, et très agréable, de voir sa ville devenir un décor de film. On reconnait des visages de Havrais parmi les figurants, en même temps ce qui est montré ne correspond pas forcément à la réalité. Dans le Kaurismäki, il y a un ton très décalé, intemporel, dans "38 témoins", c'est plus réaliste, plus typé, l'image est aussi plus dure. Ca fait partie du jeu, y compris quand dans "Disco" on se moque de la ville.

 

Culturebox : L'image du Havre change, depuis une quinzaine d'années, avec l'inscription au Patrimoine Mondial de l'Unesco, et ces films. Qu'est-ce qui a changé pour les Havrais ?

Edouard Philippe : Leur regard a changé. Ils ont toujours aimé leur ville sans l'aimer. L'image qu'elle leur renvoyait leur déplaisait. Aujourd'hui ce qui est mis en avant est la qualité de vie, réelle. La plage est en plein centre ville, il y a un essort économique, une reconnaissance de cette architecture qui a longtemps été honteuse. On vit bien au Havre. La désindustrialisation, la disparition du paquebot France sont loin. Il faudra plus de temps, en revanche, pour changer les regards extérieurs sur la ville. C'est une chose qui prend du temps, mais nous y contribuons en mettant en avant nos qualités, sans mentir.

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