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Coffret Youssef Chahine : automne arabe

Quatre films du plus grand réalisateur égyptien et un des plus grands cinéastes tout court. Un coffret consacré aux années 1958-1976, qui en augure d’autres, tant Youssef Chahine ne peut se résumer à quatre films. Imbibé de cinéma, Chahine synthétise toutes ses influences pour en faire un cas unique. Hymne à l’Egypte sur plus de 40 ans de carrière, les films de Chahine parlent de chaque époque comme si elle prédisait la nôtre et touche l’universel.
Article rédigé par franceinfo - Jacky Bornet
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4min
Coffret DVD Youssef Chahine
 (Pyramide Vidéo)

« Gare centrale » (1958), « La Terre » (1969), « Le Moineau » (1973), « Le retour de l’enfant prodigue » (1976) composent ce coffret qui voit pour la première fois la sortie de ces films en en DVD.

Considéré par d’aucuns comme « la conscience cinématographique du monde arabe », Youssef Chahine, formé aux Etats-Unis, atteint la notoriété en 1958 avec « Gare centrale ». Si le film semble dans ses premières minutes sous l’influence du néo-réalisme italien, décrivant le quotidien des petites gens et petits métiers de la gare du Caire, il s’affirme rapidement d’une originalité propre, où se joue non seulement un discours social, mais politique, sous l’impulsion d’un scénario travaillé par le désir frustré d’un indigent qui va commettre un crime.

Tout Chahine est en gestation dans ce film inaugural qui installe des constantes à venir : la dénonciation des injustices sociales, la place de la femme dans la société égyptienne, des personnages hauts en couleurs, une intrigue à suspense, une place privilégiée donnée à la musique, une mise en images somptueuses… Chahine s’affirme dès ses débuts comme un immense cinéaste aux composantes éclectiques.

Avec « La Terre », Youssef Chahine compose en 1969 une fresque épique dont l’ampleur de la mise en scène n’est pas sans rappeler un David Lean. Tournée après un séjour en URSS, le film reprend le titre d’un classique du cinéma soviétique et en évoque le lyrisme pastoral déstabilisée par le conflit entre les paysans d’un village du delta du Nil et un potentat local qui met main basse sur l’irrigation des terres.

Situé dans les années 30, sous une monarchie égyptienne dominée par la tutelle britannique, « La Terre » traite des revendications indépendantistes, de la répression qui en découle, du mépris des élites envers le peuple, avec une mise en images spectaculaire et en toile de fond une intrigue sentimentale, la musique étant toujours omniprésente. S’il sortait aujourd’hui, « La Terre » serait sans doute qualifié de parabole du printemps arabe, sous le jour de la lutte indépendantiste égyptienne.

Avec « Le Moineau », sorti en 1973, Chahine affirme son propos politique en dénonçant la corruption des élites par le biais du détournement des machines d’une usine, ainsi vidée de ses ouvriers, alors que se prépare la guerre des six jours contre Israël dans le Sinaï en 1967.  Représentatif de la contestation de la fin des années 60/début des années 70, « Le Moineau » traduit la colère de Chahine contre l’impréparation du gouvernement égyptien pour faire face à son puissant voisin qui va le laminer dans une guerre-éclair, soldée par la perte d’une partie de son territoire. S’ajoute à ce contexte la poursuite d’un bandit, la dénonciation du musellement de la presse, tant et si bien que la barque est trop chargée et que le scénario y perd en cohérence, ce qui se répercute sur l’ensemble d’un film qui y perd en conviction communicative et se noie dans son ambition.

« Le Retour du fils prodigue » (1976), par la désillusion que provoque le retour d’un fils au sein d’une grande famille égyptienne en pleine décadence, après 12 ans de prison, marque la distance qu’opère Chahine par rapport aux utopies passées. Que cela soit sa promise qui lui est resté fidèle, l’ouvrier qui voyait en lui la promesse d’un monde plus juste, ou son neveu qui comptait sur lui pour faire des études à l’étranger, tous se retournent contre lui, incarnation de leurs illusions perdues. Film pessimiste, il n’en est pas moins plein de verve et un des plus musicaux du cinéaste. Il n’en demeure pas moins plus laborieux que les deux premiers titres de ce coffret consacré au maître égyptien.

De nombreux bonus accompagnent les quatre disques, sous la gouverne de Thierry Jousse (Les Cahiers du cinéma) qui préface chacun des films. Plusieurs documentaires et entretiens explorent la filmographie du cinéaste lors d’entretiens avec Chahine et ses collaborateurs qui évoquent ses méthodes de travail et son implication politique qui, selon lui, ne pouvait passer que par le langage cinématographique. Un livret d’une trentaine de pages complète cette rétrospective jusqu’ici inédite.

Coffret Youssef Chahine
« Gare centrale », « La Terre », « Le Moineau », « Le Retour de l’enfant prodigue »
Pyramide vidéo
49,99 euros

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