Cinéma : comment le "Dunkerque" de Christopher Nolan réconcilie les Dunkerquois avec leur histoire
"Dunkerque", le film évènement de Christopher Nolan, sort mercredi. Franceinfo est allé à la rencontre des Dunkerquois pour une plongée dans leurs souvenirs de cet épisode dramatique de la Seconde Guerre mondiale.
Le film évènement de Christopher Nolan, Dunkerque, sort mercredi 19 juillet en salles. Au programme, un retour grand spectacle sur le sauvetage de la fine fleur de l'armée anglaise en mai et juin 1940, lorsque plus de 400 000 Anglais et Français réussirent à s'échapper à Dunkerque du piège tendu par l'armée allemande, qui submergeait alors la France. Le film a été entièrement tourné sur les plages de la ville du Nord. Franceinfo s’y est rendu.
Soixante-dix-sept ans plus tôt, l'enfer
Sur quinze kilomètres, la plage s’étend, infini de sable noyé dans le gris-jaune de la mer du Nord. Ce jour-là, le soleil tape sur les plaisanciers, ravis de tenter quelques brasses. Rien ne manque au bonheur des vacanciers : chaleur, cris d’enfants, clapotis des vagues, cloches joyeuses du petit train touristique qui remonte la digue. Difficile d’imaginer qu’il y a 77 ans, cette même plage a été le théâtre de l’enfer.
C’est là que de mai à juin 1940, des centaines de milliers de soldats attendaient, anxieux, leur évacuation. "À la place des baigneurs de juillet, il y avait alors des milliers de véhicules, de canons abandonnés au milieu des débris, la fumée des raffineries incendiées", explique Onno Ottevanger, de l’office de tourisme de Dunkerque. Des centaines de milliers d’hommes en uniformes kaki faisaient alors la queue sur le sable, attendant d’embarquer sur les gros navires qui mouillaient plus loin. "Lorsqu'il n'y avait plus de bateaux, poursuit Onno Ottevanger, ils rentraient ici dans le quartier balnéaire de Malo-les-Bains ou dans les dunes, puisque la plage n'offrait aucun abri. Quand les avions allemands arrivaient, il fallait bien trouver où s’abriter…"
Pour évoquer ces jours d’apocalypse, une association a installé provisoirement devant la plage trois véhicules de l’époque et des sacs de sables. Un peu partout, des photos du tournage de l’an dernier : le film de Christopher Nolan, en recrutant 1 500 figurants locaux, aura amené les Dunkerquois à renouer avec une histoire occultée car fortement liée dans les esprits à la défaite de 1940.
"C'est comme un souvenir douloureux, analyse Onno Ottevanger. Nous nous sommes retrouvés avec une ville quasiment détruite. Le centre-ville a été rasé à 80% avec de nombreuses victimes civiles. C'est donc quelque chose qu'on a préféré oublier après 1945." Lui-même se dit surpris que ses propres enfants n’aient jamais appris à l’école ce qui s’était passé à Dunkerque.
La jetée, élément essentiel du rembarquement
Au loin, il montre la grande jetée qui barre l’horizon, à la sortie du port, élément historique du rembarquement : "C'est là que plusieurs bateaux ont pu accoster simultanément pour évacuer. On parle de 40 000, voire 50 000 soldats par jour. C'était très efficace !" Amarré dans le port, le Princess Elisabeth, un ancien ferry anglais, paraît bien paisible avec ses deux curieuses roues à aube. Depuis peu transformé en restaurant, le bâtiment a servi au film, mais aussi en 1940 : quatre fois, on le verra faire l'aller-retour entre Douvres et Dunkerque, évacuant un total de 1 673 personnes, dont 500 Français.
Si Christopher Nolan a choisi de tourner dans la ville plutôt que de la reconstituer ailleurs, c’est notamment parce que certaines de ses rues sont demeurées intactes, épargnées par les bombardements et le béton de la reconstruction. Avec ses maisons multicolores de station balnéaire, la rue Belle-Rade a ainsi été de nouveau barrée de sacs de sable l’an dernier. Invité à l’avant-première du film, comme d’autres habitants, Guy Lecluse, a pu reconnaître sa maison en bord de mer dans une séquence. "Les gens vont certainement douter que ça ait pu se passer comme ça, explique-t-il. Mais nous, Dunkerquois, on peut vous dire que cela s'est passé exactement comme cela."
"Quand vous voyez Mossoul, Dunekrque c'était pareil"
Cet avocat, élu dunkerquois, n’avait que cinq ans en 1940, et pourtant, sa mémoire est intacte, marquée par la violence de ces jours sombres. "Le 18 mai, se souvient-il, comme à peu près tous les soirs, nous avons entendu les sirènes. Nous avions alors pour mission de nous rendre aux abris. Je me souviens d'une espèce de bombe qui tombe. Puis du quartier qui explose. C'était des bombes incendiaires, avec son lot de poussière... C'était horrible"
Après la guerre, sa famille a dû repartir de zéro. Comme la ville de Dunkerque. "Quand vous voyez les photos de Mossoul, Dunkerque c’était pareil, s’exclame Guy Lecluse. Aussi, on veut faire passer le message aux jeunes que la guerre, c'est la chose la plus atroce, et qu'il faut l'éviter à tout prix. Et nous tirons un grand coup de chapeau, nous les anciens, à ceux qui ont construit l'Europe de la paix."
En neuf jours, 300 000 soldats anglais et 126 000 français ont été évacués, en grande partie grâce aux soldats français qui ont défendu la poche de Dunkerque jusqu’au bout. Sans les plages de Dunkerque, peut-être n’y aurait-il d'ailleurs jamais eu celles de Normandie…
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