Chine : quand l'État décide de reprendre en main sa jeunesse et ses divertissements
Le gouvernement chinois voit d'un mauvais œil le monde du spectacle, l'économie lucrative des idoles adulées par les fans, les contenus "vulgaires" et les pop stars efféminées. Toutes choses qui ne sont pas en phase avec ses valeurs idéologiques.
"Si j'existe / Ma vie, c'est d'être fan / C'est d'être fan / Sans répit, jour et nuit" : cet extrait de la chanson Fan de Pascal Obispo ne passerait pas ces jours-ci en Chine. Dans le cadre de la reprise en main de sa jeunesse, l'État chinois a décidé d'interdire depuis septembre la "chasse irrationnelle aux stars", c'est-à-dire les classements de célébrités en ligne, les collectes de fonds et autres outils utilisés par les fans chinois pour que leurs idoles restent tendance sur les réseaux sociaux.
Le PC chinois voit d'un mauvais œil le monde du spectacle
Chen Zhichu, lycéenne pékinoise âgée de 16 ans, passait 30 minutes par jour comme des millions d'autres fans chinois à promouvoir en ligne son acteur favori, avant que cette pratique n'entre dans le collimateur du gouvernement qui considère qu'elle promeut des "valeurs malsaines".
"J'avais l'habitude de faire remonter les publications (de l'acteur Xiao Zhan) sur son forum de fans Weibo et d'acheter les produits dont il faisait la promotion", raconte-t-elle. "C'était assez épuisant d'essayer de faire en sorte qu'il reste en tête des tendances chaque jour", avoue-t-elle.
Les fans alimentent la lucrative économie des idoles, dont les médias d'État avaient prévu qu'elle représenterait 140 milliards de yuans (18,7 milliards d'euros) d'ici 2022. Selon ses critiques, la culture des fans est une industrie qui exploite les mineurs et repose sur un engagement gonflé artificiellement sur les réseaux sociaux. Le Parti communiste au pouvoir se sent menacé par un monde du spectacle "qui offre une alternative à son orientation idéologique", observe le sinologue Steve Tsang, de l'université SOAS à Londres.
La mobilisation d'armées de fans en un clin d'œil inquiète Pékin
Mais les autorités communistes s'inquiètent également des idoles pour une autre raison : leur capacité à mobiliser des armées de fans en un instant, dominant souvent les médias sociaux pendant des jours. Or, en Occident, on se souvient par exemple de la façon dont les fans de K-Pop avaient réussi, en juin 2020, à "saboter" un meeting de Donald Trump en réservant massivement des places qu'ils n'avaient pas l'intention d'honorer. "C'est le début d'un mouvement de masse et c'est ce que le gouvernement ne veut pas", estime un professeur de sciences sociales dans une université chinoise qui ne souhaite pas être nommé.
Ces derniers mois, de multiples mesures de répression ont balayé les secteurs de la technologie, de l'éducation et du showbiz. Le régime communiste a limité drastiquement le temps que les mineurs peuvent consacrer aux jeux vidéo au nom de la santé publique.
Dans le viseur également, les contenus "vulgaires" diffusés sur le petit écran et les réseaux sociaux, appelés à privilégier plutôt les valeurs "patriotiques". Fini les émissions de téléréalité inspirées par la pop culture japonaise ou sud-coréenne, certains télécrochets... et surtout les stars de la chanson à l'allure par trop efféminée.
Les pop stars "efféminées" dans le collimateur
Le mois dernier, l'organisme chinois de réglementation de la radiodiffusion a interdit les artistes ayant une "moralité défaillante" et des "opinions politiques incorrectes", ainsi que ce qu'il a appelé les "hommes efféminés" - une esthétique androgyne popularisée par les boysbands coréens et imitée par des idoles chinoises comme Xiao Zhan.
Les experts y voient le signe d'un malaise croissant de Pékin face à d'autres formes de masculinité, à une époque de baisse des taux de natalité et de montée du nationalisme.
Les nouvelles mesures visent aussi à amoindrir l'influence des célébrités dévoyées sur les jeunes et à former une jeunesse plus en phase avec les traditionnelles valeurs socialistes et nationalistes défendues par le président Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir il y a neuf ans.
"Il s'agit d'une politique délibérée destinée à renforcer le contrôle idéologique de la population", observe Cara Willis, spécialiste des médias à l'Université A&M du Texas.
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