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"Ce n'est pas digne d'un président de la République" : Robert Guédiguian "choqué" par les propos d'Emmanuel Macron sur la France, "pays trop négatif"

Le réalisateur, invité de franceinfo à l'occasion de la sortie de son film "Gloria Mundi", estime que le temps des luttes sociales est revenu. "Il faut redescendre dans la rue, refaire de la politique, se réorganiser".

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Le réalisateur Robert Guédiguian, le 14 mai 2018 à Cannes. (LOIC VENANCE / AFP)

"Dire à des gens qui ont du mal à boucler leurs fins de mois qu'ils manquent d'optimisme, ça me semble un peu déplacé." Pour le cinéaste Robert Guédiguian, les mots qu'a tenu Emmanuel Macron devant des étudiants jeudi à Amiens ne passent pas. Le président de la République avait déploré que la France soit actuellement un "pays trop négatif", à quelques jours de la grève interprofessionnelle du 5 décembre. "Je pense que ce n'est pas un propos digne d'un président de la République, estime Robert Guédiguian, je le dis franchement, j'ai été choqué",

Robert Guédiguian était invité de franceinfo, mardi 26 novembre, à l'occasion de la sortie Gloria Mundi, un film soutenu par franceinfo. Une fable sociale autour d'une famille modeste qui peine à s'en sortir. Tourné à Marseille, avec sa troupe d'acteurs habituelle – Ariane Ascaride et Jean-Pierre Darroussin notamment – le cinéaste dresse un constat accablant de la société, autour d'un individualisme forcené : un "film noir, avec des personnages en crise, dans une société en crise".

franceinfo : Les personnages de "Gloria Mundi" sont chauffeur Uber, femme de ménage, vendeuse, précaire, en CDD. Personne ne s'en sort et il va suffire d'un élément déclencheur pour que toutes ces vies basculent. Elle est vraiment comme ça, la France aujourd'hui, ou c'est du cinéma ?

Robert Guédiguian : Non, elle est comme ça pour certains. Évidemment, pas pour tout le monde. Un film n'est jamais exhaustif sur le réel, bien sûr, il choisit. Donc j'ai choisi, parce que j'étais en colère, de mettre l'accent sur ces "pauvres gens", comme disait Victor Hugo, sur les neuf millions de pauvres. Je travaille plutôt sur ces milieux-là parce qu'ils sont les moins visibles.

Est-ce la France des derniers de cordée ?

Oui, je ne sais même pas s'ils tiennent encore la corde, en fait. Je pense qu'il n'y a jamais eu de corde, d'ailleurs. C'est peut-être qu'il n'y a pas de corde depuis 30 ou 40 ans, la corde est rompue.

Vous avez peut-être entendu l'autre jour Emmanuel Macron en appeler à l'optimisme. Il dit que la France ne va pas si mal...

J'ai trouvé ça assez terrible de dire à des gens qui ont du mal à boucler leurs fins de mois qu'ils manquent d'optimisme, ça me semble un peu déplacé. Je pense que ce n'est pas un propos digne d'un président de la République, je le dis franchement, j'ai été choqué. Je pense que ce que fait le président de la République est une restauration du capitalisme. Macron est effectivement un homme de droite, je pense, de manière très forte. On utilise toujours le mot libéral pour désigner ce qui se passe du côté des mœurs, par exemple. Mais en termes économiques et sociaux, c'est de plus en plus évident aujourd'hui, Macron fait une politique de droite.

Il y a autre chose qui est marquant dans votre film, c'est une forme de résignation face à toutes ces injustices. Ariane Ascaride, qui joue une femme de ménage, est incitée à faire grève par ses collègues mais elle refuse. Pourquoi ?

Elle refuse parce qu'elle est à bout des possibilités d'action, pour deux raisons. D'abord, parce que probablement, elle sait comme tout le monde que beaucoup de grèves récentes ont échoué. Donc la solidarité ne fonctionne plus comme avant. Et puis aussi parce que perdre une journée de salaire pour elle, c'est terrible. Je crois que c'est vrai pour beaucoup de gens aujourd'hui. Pour les gens qui travaillent dans le privé, c'est évidemment très difficile aujourd'hui de faire grève, ça l'a toujours été, depuis la nuit des temps.

Pour vous, qui avez milité très longtemps au Parti communiste, c'est la fin d'un combat ? Cela ne sert plus à rien de descendre dans la rue et cela veut dire que vous n'irez pas manifester dans quelques jours ?

Bien sûr, j'irai. Et j'appelle à aller manifester contre la réforme des retraites [le 5 décembre]. Je crois qu'il faut, au contraire, redescendre dans la rue, refaire de la politique, se réorganiser. Il faut reprendre tout ça de toute urgence.

Il y a aussi les jeunes, dans votre film, et un couple, notamment, qui n'est attiré que par l'argent, la drogue et le plaisir. Elle est si désabusée que ça, la jeunesse de France, elle ne pense qu'au fric ?

Elle ne pense pas qu'au fric. Mais pour beaucoup, on lui impose comme seule solution à sa survie une solution individuelle. Une réussite individuelle existe, c'est vrai, mais on ne propose plus quelque chose de collectif, on ne propose plus un projet. L'Europe ne l'a jamais été, le communisme l'a été longtemps mais a failli. Donc, il n'y a pas un projet solidaire. Mais moi je considère qu'une réussite ne peut être que sociale, il ne peut pas y avoir de réussite individuelle.

L'actualité du cinéma, ce sont aussi les mots récents d'Adèle Haenel, les accusations d'agression sexuelle qu'elle a portées. Pourquoi le cinéma a autant de mal à parler de ces affaires ?

Je crois que le monde entier a du mal à parler de ces affaires. Ce n'est pas que le cinéma. Là, du coup, il a rattrapé un peu son retard, grâce à Adèle Haenel, à d'autres aussi qui interviennent, depuis l'affaire #metoo, l'affaire Weinstein. Mais la condition féminine est mal en point dans d'autres secteurs aussi, dans l'Éducation nationale, dans les entreprises, etc. Là où ça se passe le plus, c'est chez les gens les plus précaires. Quand on voit la grève chez Ibis, par exemple, les femmes sont ouvrières, femmes et souvent immigrées, donc c'est l'intersectionnalité des luttes.

Il y a également eu des accusations contre Roman Polanski. Êtes-vous allé voir son film, "J'accuse" ? Comprenez-vous l'appel au boycott lancé contre lui ?

Non, je n'ai pas vu son film, mais je n'ai pas vu de film depuis six mois. Chacun fait ce qu'il veut avec ça, chaque spectateur est libre d'aller voir un film ou pas. Moi, je n'ai pas signé la pétition en sa faveur il y a quelques années. Je ne pense pas que l'art puisse tout se permettre. Dans un monde idéal, la justice aurait fait son travail, sur Polanski comme sur d'autres. Si elle avait fait son travail, peut-être que Polanski n'aurait pas fait ce film-là, donc on n'aurait pas à choisir de le voir ou de ne pas le voir. Ceci dit, je pense qu'aucun réalisateur n'est indispensable.

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