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Cannes 2017 : "Le Vénérable W." conclut la trilogie du mal de Barbet Schroeder hors compétition

Barbet Schroeder, dont la rétrospective complète se poursuit jusqu’au 11 juin au Centre Pompidou, et alors qu’un coffret de cinq de ses films sort chez Carlotta, conclut avec "Le Vénérable W." sa trilogie documentaire du mal, entamée avec "Général Idi Amin Dada : autoportrait" (1974), suivi de "L’Avocat de la terreur" (1984) sur Jacques Vergès. Son nouvel opus est projeté en Séance spéciale.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
"Le Vénérable W" de Barbet Schroeder
 ( Les Films du Losange)

La trilogie du mal

Barbet Schroeder a une filmographie particulière dans le cinéma français. Apparu en 1969 avec "More" sur une musique de Pink Floyd, il passe de la fiction au documentaire, avec un détour par Hollywood ("Le Mystère Von Bullow", "JF partagerait appartement"), réalise le premier film en numérique (2000), "La Vierge des tueurs", pour revenir à une pseudo suite de "More", "Amnesia" (2015). "Le Vénérable W." est un troisième portrait d’homme de pouvoir qui incarne une forme de malignité en la justifiant par la vertu. De politique et militaire chez Idi Amin Dada (président ougandais 1971-79), elle passe par la justice prônée par l’avocat Jacques Vergès, pour s’incarner dans le bouddhisme déviant, nationaliste et génocidaire du moine birman Ashin Wirathu, dit "Le Vénérable W.".

Schroeder a le mérite de dénicher des figures emblématiques pour alimenter son propos depuis 1974, inconnues du commun des mortels (sauf le cas Jacques Vergès). Qui avait entendu parler, avant son dernier film, de ce "Vénérable W.", prêtre bouddhiste vénéré en Birmanie pour ses positions radicales contre les musulmans, allant jusqu’à la politique de la terre brûlée, en incendiant des quartiers et villages d’obédience islamique, et prônant l’assassinat jusqu’aux enfants de leurs ressortissants. Se prêtant avec complaisance aux interviews et à la caméra de Schroeder (comme le faisaient Idi Amin Dada et Vergès auparavant), Ashin Wirathu s’est félicité de la projection du film à Cannes pour la vitrine internationale qu’une telle exposition offre à ses thèses.

Discours serein de haine

Il n’y a pourtant pas de quoi se vanter. L’islamophobie est une longue histoire en Birmanie, avec des mouvements de populations considérables, des lynchages depuis les années 90, et la naissance du mouvement radical 969 (1999) qui incarne selon une numérologie obscure la culture et l’identité bouddhiste. Ashin Wirathu va en devenir le chantre, le grand prêtre avec une influence grandissante, provoquant des émeutes, incendies et assassinats, au point de le faire condamner à 25 ans de prison en 2003. Il sera libéré en 2012 lors d’une amnistie générale. Mais c’est le viol et meurtre d’une jeune birmane bouddhiste qui va mettre le feu aux poudres le 28 mai 2012, il y aura tout juste cinq ans dimanche prochain, jour de la fin du festival, curieuse coïncidence.

"Le Vénérable W." : photo du film
 (Les Films du Losange)
Dès cette date, les violences ne vont que s’amplifier, jusqu’à atteindre en décembre 2016 le bilan de 60.000 réfugiés, de plusieurs centaines de morts, de lynchages, de viols systématiques et de nombreux villages brûlés. C’est cette histoire que retrace Barbet Schroeder avec sa caméra, des archives et le discours serein de haine distillé par Le Vénérable W. Une histoire trop éloignée de nos latitudes pour que l’on s’y arrête, sauf Barbet Schroeder, à l’affût des curiosités et des maux du monde pour nous les révéler. Le plus édifiant est que les mêmes moyens de manipulation sont mis en œuvre à l’encontre de n’importe quelle communauté stigmatisée en Occident. D’ici que cette stratégie aboutisse au même résultat…

Plein feu sur barbet Schroeder

Parallèlement à son dernier film en date projeté à Cannes, Barbet Schroeder connaît une riche actualité. Avec en premier lieu la rétrospective au Centre Pompidou, à Paris, jusqu’au 21 juin de l’ensemble de sa filmographie.
Coffret DVD/Blu-Ray Barbet Schroeder
 (Carlotta)
Par ailleurs, les éditions Carlotta ont publié un coffret rassemblant huit films restaurés 4K de Schroeder en combo DVD/Blu-Ray. Il comprend : "Maîtresse" (1976), avec Gérard Depardieu et Bulle Ogier, thriller sentimental autour du sado-masochisme ; "Koko, le gorille qui parle" (1977), documentaire sur un grand singe ayant appris le langage des signes ; "Tricheurs" (1983), thriller avec Jacques Dutronc et Bulle Ogier, sur l’addiction au jeu et à la tricherie ; "La Vierge des tueurs", thriller avec des acteurs non-professionnels sur les gangs d’assassins de Medellin. Une édition à l’unité de "La Vierge des tueurs" est aussi disponible.

Egalement dans les bacs, "The Charles Bukowski Tapes" (1984) rassemble 50 entretiens de Barbet Schroeder avec le plus célèbre écrivain alcoolique du monde. Seulement la moitié de ces rencontres avait été diffusées à la télévision dans les années 1980. Schroeder tournera par la suite "Barfly" (1987) d’après un scénario de Bukowski, avec Mickey Rourke et Faye Dunaway. Bonne pioche.
"Le Vénérable W." : l'affiche
 (Les Films du losange)

LA FICHE

Genre : Documentaire
Réalisateur : Barbet Schroeder
Pays : France, Suisse
Acteurs : Inconnus
Durée : 1h35
Sortie : 7 juin 2017

Synopsis : En Birmanie, le « Vénérable W. » est un moine bouddhiste très influent. Partir à sa rencontre, c’est se retrouver au cœur du racisme quotidien, et observer comment l'islamophobie et le discours haineux se transforment en violence et en destruction. Pourtant nous sommes dans un pays où 90% de la population a adopté le bouddhisme, religion fondée sur un mode de vie pacifique, tolérant et non-violent.

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