Antonioni revit à la Cinémathèque dans une exposition
"L'Avventura" (1960), "La Nuit" (1961), "L'Eclipse" (1962), ce que d'aucuns ont dénommé avec raison la "Trilogie de la modernité", "Blow up" (1966), "Zabriskie Point" (1969), "Profession : reporter" (1975), "Identification d'une femme" (1982)…, autant de titres qui résonnent dans la tête des cinéphiles comme des films majeurs de la deuxième partie du XXe siècle.
Artiste né
Michelangelo Antonioni naît à Ferrare, dans le delta du Pô, en 1912, dans un milieu ouvrier. Très jeune, la création artistique le passionne, notamment le dessin, la peinture et la musique. Antonioni ne cessera toute sa vie de peindre et de dessiner, menant une double vie de plasticien et de cinéaste. L'influence de la peinture est décelable dans son œuvre cinématographique par un traitement de l'espace extrêmement cadré et organisé, avec des noir et blanc ciselés ou des harmonies colorées sophistiquées.
Jeune violoniste virtuose, il donnera son premier concert à l'âge de neuf ans. Il passera par un lycée professionnel et le bac en poche, il suit les cours d'économie et de commerce de la faculté de Bologne. L'art dramatique le fascine et le jeune étudiant passe ses journées au cinéma. C'est alors qu'il devient critique, d'abord à Ferrare, puis à Rome dans la revue "Cinema". Après l'avoir quittée, il suit une courte formation de cinéaste, toujours dans la ville éternelle. Durant son service militaire, il collabore au scénario d'un film pour l'armée au côté de Roberto Rossellini. Puis profitant de deux permissions, il devient assistant réalisateur sur deux films, dont "Les Visiteurs du soir" (1942) de Marcel Carné. Comme une annonce prémonitoire de son thème majeur : l'amour contrarié.
Du documentaire à la fiction
L'époque étant à Mussolini, puis à la reconstruction de l'Italie, Michelangelo ne voit que le documentaire pour faire ses premières armes de cinéaste. Il réalise ainsi de 1943 à 1950 neuf courts-métrages, dont le premier "Gente del Pô" traite des difficultés sociales dans sa région natale. Luchino Visconti tourne par ailleurs non loin de là son premier film "Ossessione" ("Les Amants diaboliques"), et les deux hommes collaborent en 1945 à deux scénarios qui ne seront jamais tournés.
Passant à la fiction de long métrage en 1950, Michelangelo Antonioni réalise "Chronique d'un amour", premier opus d'une série d'histoires sentimentales, où les amours déçus sont comme un écho à la distance entre l'humanité et une époque à laquelle elle peine à s'adapter. Il dirige dans ce premier essai Lucia Bose, sa première égérie comme actrice, qu'il reprendra dans "La Dame sans camélia" (1953).
Si l'amour tient une grande place dans son cinéma, le thriller a lui aussi droit de cité, les genres se croissant parfois ("Blow Up", "Profession : reporter"). Dans "Les Vaincus" (1952), Antonioni traite de trois histoires criminelles (en France, en Angleterre et en Italie) ayant pour protagonistes des adolescents. "L'Amour à la ville" (1953) est un film à sketches, coréalisé notamment avec Federico Fellini et Dino Risi. "Femmes entre elles" est une véritable réussite, où des amies intimes voient leur relation transformée après le suicide d'une des leurs. D'abord traité sur un ton de comédie enlevée, le film verse dans le drame et une fine analyse des rapports entre femmes et avec les hommes. Une perle.
"Le Cri" (1957) clôt tout un pan de la filmographie d'Antonioni, où il expérimente encore un style qui se cherche, et reste encore confiné à l'Italie. Le film est comme une introduction à ce qui va suivre, où un homme (Steve Cochran), suite à sa séparation avec sa maîtresse (Alida Valli), part avec sa fille sur les routes d'Italie, passant de femme en femme, sombrant dans le désespoir et essayant en vain de la reconquérir. L'errance, l'amour déçu, la séparation, autant de thèmes qui vont nourrir ses prochains films.
La consécration
En 1960, "L'Avventura" fait l'effet d'une bombe en compétition officielle au Festival de Cannes. Le film est sujet à un scandale, comme la Croisette les aime, déchaînant les passions, pour ou contre, décrochant le Prix du jury et ouvrant Antonioni à la reconnaissance internationale.
Cette histoire, où la fiancée d'un homme disparaît sur une île, le poussant à sa recherche avec une amie dont il va s'éprendre, ouvre la fameuse trilogie poursuivie avec "La Nuit" (Ours d'or 1961 à Berlin), et L'Éclipse" (Prix spécial du Jury 1962 à Cannes), tous avec l'actrice qui est devenue la muse du cinéaste, Monica Vitti.
"Le Désert rouge" (Lion d'or 1964 à Venise), toujours avec Vitti, est un peu à part,car en couleurs, avec un discours social, qui frise la politique, sujet rare chez Antonioni, sur le constat de la perte du parti communiste en Italie .
Étrangement, si les films du cinéaste ne connaissent pas un grand succès en Italie, et sont souvent qualifiés d'"élitistes", ils sont depuis les années 50 adaptés en photoromans, genre populaire et italien s'il en est, traduits en France dans "Nous Deux".
Productions internationales
Après son dernier film de cette première époque italienne, Antonioni quitte son pays et part filmer en Grande-Bretagne "Blow Up", avec David Hemming et Vanessa Redgrave, où apparaît brièvement Jane Birkin. C'est la première de trois coproductions internationales, entrecoupées d’un documentaire sur la Chine de Mao.
Film d'anthologie, "Blow Up" remporte la Palme d'or à Cannes en 1967. Antonioni capte le Swinging London comme personne d’autre, avec notamment une scène de concert culte des Yardbirds, et un chorus de guitare électrique de Jeff Beck resté dans les annales, où il détruit son instrument. "Blow Up" met en même temps en avant le monde de la mode, inédit au cinéma, en captant l'époque avec un charme non démenti depuis. Thriller autour d'un photographe ayant découvert un meurtre dans un parc en agrandissant de plus en plus un de ses clichés, le thème a depuis fait plus d'un émule. Brian De Palma le transpose chez un preneur de son dans "Blow Out" (1981), et Ridley Scott dans "Blade Runner" lors d'une scène où Harrison Ford analyse à l'ordinateur une photographie dans laquelle il découvre un indice caché, pour son enquête.
Antonioni capte le monde en mutation et poursuit sa quête en 1970 en allant filmer en Californie la jeunesse américaine dans "Zabriskie Point", sur des musiques de Jerry Garcia, le leader de Grateful Dead, Pink Floyd, des Rolling Stones, Youngblood, Kaleidoscope... Réalisé autour de la contestation dans les campus, le film voit la fuite d'un étudiant avec son amie dans le désert de la mort, après avoir été témoin d’un policier abattu, qui a tué un jeune noir. Le film reçut une critique catastrophique, et un accueil public désastreux. C'est le premier gros échec de son réalisateur. Il sera réhabilité plus tard et aura ses adeptes, parmi lesquels Bruno Dumont qui rend hommage au film dans "TwentyNine Palms" (2003).
Michelangelo Antonioni est ensuite invité en 1972 par Pékin pour y tourner un documentaire au plus fort de la Révolution culturelle. Réalisé en huit semaines, "La Chine" est un film fleuve de 3h30 (en trois parties) et est sorti sous la seule nationalité italienne. Mais il déplait fortement à Mao et à son épouse, il n'est donc pas question de le distribuer dans le pays. Il bénéficiera toutefois d'une diffusion officielle en Chine 30 ans après son tournage.
C'est en Afrique, Allemagne et Espagne qu'Antonioni décide de planter sa caméra, en tournant "Profession : reporter", sorti en 1975, avec Jack Nicholson et Maria Schneider, ce qui le fait renouer avec le succès critique et public. Il met en scène un reporter de la télévision (Nicholson) qui cherche à interviewer un groupe révolutionnaire dans un pays africain non nommé. Sa mission échoue et de retour dans son hôtel, il découvre dans la chambre voisine le cadavre d'un homme qui lui ressemble étrangement. Il décide de prendre son identité pour changer de vie, mais découvre qu'il s'agit d'un trafiquant d'armes recherché.
Pour coller à son sujet, le cinéaste choisit une forme renvoyant au documentaire qu’il connaît bien. Il estime à ce titre que "Profession : reporter" est son "film le plus abouti au niveau de l'esthétique. Je considère également que c'est un film politique puisqu'il traite des rapports de l'individu avec la société", ajoute-t-il.
Retour en Italie
Après avoir tourné en Grande-Bretagne, aux États-Unis, en Chine, en Afrique, en Allemagne et en Espagne, Antonioni rentre en Italie et réalise pour la télévision "Le Mystère d'Oberwald" en 1981, pour lequel il retrouve Monica Vitti dans le rôle principal. Seul film en costumes du cinéaste, il s'agit d'une adaptation de la pièce de Jean Cocteau "L'Aigle à deux têtes", déjà mis en images en 1948 par le poète, avec Jean Marais et Edwige Feuillère. Situé au XIXe siècle en Europe dans un pays imaginaire, mais qui rappelle l'Autriche, le film évoque un amour autant fulgurant que tragique entre un poète anarchiste et une souveraine mise à mal et menacée. Très sophistiqué dans sa forme, "Le Mystère d'Oberwald" reflète un travail inédit sur la couleur qui participe à l'ambiance fantastique, onirique du film, qui fut projeté au Festival de Venise, malgré son origine télévisuelle.
En 1982, Antonioni sort son dernier grand film, même s'il tournera encore jusqu'en 2004, trois ans avant son décès en 2007. "Identification d'une femme" révéla Christine Boisson, interprète principale, aux côtés de Marcel Bozzuffi et de l'icône du cinéma italien, Thomas Milian. Pour son ultime long métrage (il ne tournera plus ensuite que des courts-métrages, un documentaire, et participera à des films à sketches), Antonioni revient à son sujet de prédilection des rapports homme-femme. Il met en scène un réalisateur (Bozzuffi) à la recherche de l'actrice idéale. Christine Boisson et Daniela Silverio interprètent un seul et même personnage, Ida et Mavi, comme s'il interrogeait le mystère féminin. Ce thème majeur de sa filmographie, lié au personnage de cinéaste, la disparition de Ida ("L’Avventura"), la double identité ("Profession : Reporter") identifient "Identification d'une femme" à un film testamentaire.
L’exposition
"Antonioni aux origines du pop" bénéficie d’une très belle muséographie, spatiale, élégante et sobre, en phase avec le cinéaste, conçue par le commissaire de l’exposition Dominique Païni.
Le cinquième étage de la Cinémathèque est occupé par une vaste perspective immaculée, dont les murs sont parsemés de photographies, parfois géantes, d’affiches, de photos de films, de tournages... Des vitrines, dont le design a été conçu spécialement pour l’exposition, contiennent de nombreux documents, scénarios, correspondances épistolaires, livres et disques issus des collections personnelles du cinéaste... Bien sûr nombre d’extraits de films sont dispersés sur le parcours chronologique de l’exposition.
La peinture, très influente chez Antonioni, est présente avec des tableaux de De Chirico, Rothko, Pollock. Mais aussi par la propre production du cinéaste, avec des dessins, et surtout un mur consacré à ses "Montagnes enchantées". Des aquarelles qu’Antonioni photographiait et tirait en grand format, ces reproductions constituant l’œuvre achevée.
"Antonioni aux origines du pop" constitue une évocation émotionnelle du cinéaste qui dépasse la cérébralité à laquelle il est souvent identifié. "Une maison Antonioni", comme l’a définie le commissaire Dominique Païni.
L’exposition est accompagnée évidemment d’une rétrospective du réalisateur, d’un beau catalogue (chez Flammarion), de DVD, d’ateliers, de conférences…
Antonioni aux origines du pop
du 9 avril au 19 juillet 2015
Cinémathèque française
51, rue de Bercy, Paris 13e
Du lundi au samedi (sauf mardi) de 12h00 à 19h00, nocturne jusqu’à 22h00 le jeudi, le dimanche de 10h00 à 20h00.
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