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"J'ai reculé, puis il m'a attrapée" : au procès d'Harvey Weinstein, l'actrice Annabella Sciorra livre le témoignage glaçant d'un viol

Article rédigé par Valentine Pasquesoone - Envoyée spéciale à New York (Etats-Unis)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La comédienne américaine Annabella Sciorra arrive à la Cour suprême de New York, à Manhattan, le 23 janvier 2020.  (JOHANNES EISELE / AFP)

Les procureures ont fait intervenir la comédienne américaine jeudi, afin d'appuyer le chef d'accusation d'"agression sexuelle prédatrice" visant Harvey Weinstein. Annabella Sciorra affirme que le producteur l'a violée dans son appartement de Manhattan, un soir d'hiver de 1993 ou 1994. 

L'actrice est entrée par une porte discrète, digne et marchant calmement, avant de prendre place aux côtés du juge James Burke. Face à elle, la procureure Joan Illuzzi-Orbon débute son interrogatoire : 

"Voyez-vous Harvey Weinstein dans cette salle ? 

- Oui, il porte une chemise blanche et un costume noir."

Imperturbable, Annabella Sciorra, comédienne de 59 ans, pointe du doigt l'homme assis dans cette salle d'audience de la Cour suprême de New York. Son violeur présumé. L'Américaine, réputée pour son rôle dans la série Les Soprano, est venue apporter son témoignage, jeudi 23 janvier, dans le procès pour viols et agressions sexuelles d'Harvey Weinstein à Manhattan. Un premier témoignage clé terrible, visant à prouver l'attitude "prédatrice" du magnat déchu d'Hollywood. Un témoignage que la défense a aussitôt tenté de discréditer. 

"Il s'est mis sur moi et m'a violée" 

D'une voix posée, Annabella Sciorra répond avec volonté aux questions précises de l'accusation. Elle relate sa rencontre avec Harvey Weinstein à Los Angeles au début des années 1990, des échanges professionnels, puis une bascule. Selon ses mots, l'homme insiste pour qu'elle joue un rôle dans un film. Il ne le produira pas si elle refuse, et la poursuivra en justice si elle ne joue pas "immédiatement". La comédienne, pourtant occupée, se sent contrainte d'accepter. Gagnée par la fatigue lors du tournage, elle reçoit dans son appartement new-yorkais un colis destiné, selon son expéditeur, "à la relaxer". Le producteur lui a envoyé du pop-corn, quelques films et du Valium. Un autre paquet suit : il s'agit cette fois d'une boîte de chocolats en forme de pénis. "C'était dégoûtant, inapproprié", tacle Annabella Sciorra. 

La procureure embraye "sur un dîner en particulier", survenu entre novembre 1993 et mars 1994. Le moment précis a échappé à l'actrice alors trentenaire. Elle prend une profonde respiration avant de raconter ce repas dans un restaurant irlandais, puis la proposition d'Harvey Weinstein. Il est autour de 22 heures, ce soir d'hiver, quand "l'accusé [lui] dit qu'il va [la] reconduire chez [elle]." "Avez-vous accepté ?" relance Joan Illuzzi-Orbon"Oui." A son arrivée chez elle, la comédienne se prépare à aller dormir. Elle enfile sa chemise de nuit, mais entend "quelqu'un frapper à la porte". Surprise, elle ouvre. Sa voix tremble un instant à l'évocation de "ce qui s'est passé après". Annabella Sciorra marque une pause, puis débute son exposé douloureux. "L'accusé a poussé la porte, il a commencé à déambuler dans l'appartement pour savoir si quelqu'un était là, et à déboutonner sa chemise", relate la témoin.

J'ai réalisé qu'il voulait avoir une relation sexuelle avec moi, et je ne le voulais pas. J'ai commencé à reculer, puis il m'a attrapée.

Annabella Sciorra

au procès d'Harvey Weinstein à New York

A la demande de l'accusation, la comédienne se lève et mime les gestes du producteur ce soir-là. Elle place ses mains en l'air, croisées au-dessus de la tête, pour montrer comment Harvey Weinstein l'a maintenue de force sur son lit, malgré ses coups. "Il s'est mis sur moi et m'a violée." Joan Illuzzi-Orbon lui demande de répéter pour les jurés. La voix vacillante, Annabella Sciorra n'épargne aucun détail, martelant que l'accusé "a introduit son pénis dans [son] vagin", "s'est retiré" puis "a éjaculé sur [sa] chemise de nuit, en disant : 'J'ai un timing parfait'." 

Un cunnilingus sans son consentement la laisse ensuite, dit-elle, "le corps tremblant, comme si [elle] faisai[t] une crise d'épilepsie". "Que s'est-il passé après ?" reprend Joan Illuzzi-Orbon. "L'accusé est parti, et je me souviens juste de m'être réveillée sur le sol, avec ma chemise de nuit autour de la taille." "Et ensuite ?" enchaîne la procureure. "Je voulais faire comme s'il ne s'était rien passé…" confie Annabella Sciorra après quelques secondes de silence.  

"Avez-vous tenté de le griffer ? Avez-vous crié ?" 

Ce traumatisme aura pourtant des effets dévastateurs. L'Américaine dit s'être isolée. Elle commence à boire et se scarifie "beaucoup", étalant son sang sur un mur qu'elle peint en rouge. Lorsque Harvey Weinstein refait surface, lors d'un tournage à Londres quelques mois plus tard, et frappe à sa chambre d'hôtel, Annabella Sciorra demande à changer d'établissement. Elle appelle service de chambre et concierge quand il se présente une nouvelle fois à sa porte à Cannes, en 1997, en sous-vêtements et une lotion pour bébé à la main. 

Une fois terminée la déposition d'Annabella Sciorra, l'avocate principale de la défense, Donna Rotunno, se livre avec poigne à l'exercice du contre-interrogatoire. A plusieurs reprises, elle interroge la sincérité de l'actrice, rappelant que celle-ci ne se souvient ni du jour, ni du mois des faits qu'elle relate. "Vous êtes une comédienne professionnelle, n'est-ce pas ?" interroge l'avocate à la veste noire, non sans sous-entendus. Subtilement, Donna Rotunno glisse un extrait daté d'une interview télévisée, au cours de laquelle Annabella Sciorra plaisante sur le fait de mentir. 

Alors qu'elle décortique le témoignage de l'actrice des Soprano, la défense d'Harvey Weinstein met en avant sa responsabilité et ses choix lors de ses interactions avec le producteur. Sa décision, par exemple, d'accepter qu'il la reconduise à son hôtel alors qu'ils venaient de se rencontrer. Son choix de le recontacter après cette rencontre, ou de consommer le Valium qu'il lui avait offert. "Harvey Weinstein vous a-t-il donné un verre d'eau pour prendre ce médicament ?" questionne Donna Rotunno, avant de s'attaquer au soir du viol présumé.

Quand vous allez à ce dîner, Harvey Weinstein a déjà menacé de vous poursuivre en justice. Mais vous vous dites : 'oui, bien sûr, je vais aller à ce dîner'.

Donna Rotunno, avocate d'Harvey Weinstein

lors du procès

D'un ton sec, l'avocate élève la voix et multiplie les questions, insistant sur la réaction d'Annabella Sciorra pendant et après les faits. "Vous avez demandé au portier pourquoi il l'avait laissé entrer ? Vous avez porté plainte ? Vous n'avez pas demandé à Harvey Weinstein ce qu'il faisait là ? Comment il était entré ?" "Non, répond posément Annabella Sciorra. Il a poussé la porte d'un grand coup." "Vous avez tenté de le griffer ? Vous avez crié ?" poursuit l'avocate. A chaque réponse de l'actrice, Donna Rotunno réplique. "Vous avez continué de crier ? Quand vous vous êtes réveillée, êtes-vous allée voir la police ? Etes-vous allée à l'hôpital ? Avez-vous appelé les urgences ?" "Non", répète Annabella Sciorra.

Devant l'accusation, l'actrice confiait, quelques heures plus tôt, ne pas avoir su qualifier ces faits de viol à l'époque. "Je pensais qu'il était un gars normal, gentil..." Et Annabella Sciorra d'ajouter, face à la défense : "Je ne me souviens plus de grand-chose l'année qui a suivi mon viol, car le traumatisme était extrême."

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