"Vivre libre ou mourir" : une remarquable BD retrace l'histoire du rock alternatif français des années 80

Multipliant les points de vue, cet album documentaire raconte l'histoire du punk rock français par la voix de ceux qui ont vécu et porté ce mouvement de la jeunesse durant une décennie. Le dessin, précis et inventif, sert idéalement ce récit qui palpite à chaque page.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6min
Extrait de la couverture de l'album "Vivre libre ou mourir - Punk et rock alternatif en France 1981/ 1989" de Arnaud le Gouëfllec (scénario) et Nicolas Moog (dessin) paru chez Glénat (2024). (EDITIONS GLENAT)

"Pas si facile de raconter et de dessiner l’histoire du 'rock libre hexagonal' des années 80", remarque Loran de Bérurier Noir en préface de ce formidable album, et "encore moins de faire ressentir l’esprit" d’une jeunesse rebelle en effervescence qui voulait "construire un autre monde".

Ardu, et pourtant Arnaud Le Gouëfflec (scénario) et Nicolas Moog (dessin) l’ont fait. Et ils s’en acquittent si bien que cette BD est un véritable document sur une décennie de scène rock alternative française, aussi riche qu’un bouquin de 300 pages.

Un document, parce que Vivre libre ou mourir - Punk et rock alternatif en France 1981-1989 donne la parole à d’innombrables acteurs de ce mouvement, de Didier Wampas à Spi d’OTH, de Jean-Yves Prieur, fondateur de Bondage Records, à Marsu, manager de Bérurier Noir, en passant par l'écrivaine et réalistarice Virginie Despentes, le documentariste et journaliste David Dufresne, Eric Debris de Metal Urbain, Olivier des Sheriff, ou Eric Sourice des Thugs. Tous fouillent ici leurs souvenirs pour raconter cette histoire bouillonnante.

La génèse, l’avènement et la fin du groupe phare Bérurier Noir constituent le fil rouge de ce récit choral chronologique. Mais les auteurs laissent largement respirer l’ensemble de la scène – Camera Silens, Al Kapott, Les Collabos, Kochise, les Trotskids sont ici évoqués, au même titre que les plus célèbres OTH, Ludwig Von 88, Parabellum, Garçons Bouchers, Négresses Vertes ou Mano Negra.

Un récit choral avec du recul

Un récit d’autant plus intéressant et nécessaire que tous ceux qui s’expriment ici le font avec recul, sans jamais tomber dans l’embellissement auquel pousse parfois la mémoire nostalgique et sélective d’une jeunesse révolue.

Ainsi de cette remarque choc et profondément honnête d’Olivier des Sheriff : "Les années 80, c’est pourri de chez pourri, tu sais. Pas de matériel, des bastons… Je ne sais pas si je reconstruis le souvenir ou pas… que des merdes. Mais c’était la vie qu’on voulait."

Une planche de l'album "Vivre libre ou mourir - Punk et rock alternatif en France 1981/ 1989" de Arnaud le Gouëfllec (scénario) et Nicolas Moog (dessin) paru chez Glénat. (NICOLAS MOOG - EDITIONS GLENAT)

Sous l’auto-détermination créative de cette jeunesse idéaliste en rupture couvait aussi la drogue, l’alcool, la déchéance, et certains en ont payé le prix fort, parfois de leur vie. "Plein de groupes étaient sous héroïne et on ne supportait pas ça", rappelle Loran de Bérurier Noir. "Dans les Bérus, on ne prenait aucune drogue avant de jouer, rien, même pas une goutte d’alcool."

Une chose est sûre, le punk a été pour tous ceux-là bien plus que de la musique. Une ligne de conduite politique tout autant qu’artistique, et une philosophie, celle du "Do It Yourself"( Fais-le toi même). D’ailleurs, "alternatif, ça ne voulait pas dire grand-chose. (… ) C’est un mot qui a été inventé pour nommer un truc dont on ne savait pas ce que c’était exactement", souligne Eric Sourice des Thugs. "Le rock alternatif c’est l’équivalent du punk rock anglais, un truc qui déboule et qui pète tout", complète Marsu. Quel que soit le nom qu’on lui donne, cette scène ne demandait rien à personne et cultivait une indépendance farouche.

L’idée était de tout faire soi-même. "Pas de labels ? On monte des labels. Pas de salles ? On joue dans des squats. Pas de médias qui parlent de ce que tu fais ? On crée des fanzines", résume Jean-Yves Prieur. Et pour se prémunir contre les bandes violentes, les Bérus montaient aussi leur propre service d’ordre, particulièrement vigilant sur les signes extérieurs de racisme ou d’accointance avec l’extrême-droite. Rétrospectivement, Loran déplore d’ailleurs "le laisser aller" de la Souris Déglinguée à ce niveau-là. La montée du FN, mais aussi la Marche pour l’égalité et contre le racisme (dite "Marche des beurs"), la mort de Malik Oussekine : Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog prennent soin de rappeler régulièrement le contexte socio-politique.

Un trait vif et précis qui dit beaucoup avec peu

Dans cette radiographie du mouvement alternatif, la place des femmes n’est pas oubliée. Les Titis, dont l’implication a beaucoup fait pour la flamboyance des concerts des Bérus et pour l’identification des filles à ce groupe révolté, témoignent. "Dans le punk, la femme (…) pouvait quitter le rôle de la pin-up de base et développer son côté masculin, souligne Mistiti. Dans la danse, j’ai défoulé ma haine, ma colère."

De son côté, Virginie Despentes se souvient des Titis comme de" figures importantes, cruciales", mais aussi d’avoir été marquée par l’écriture au style particulier de cette scène, citant notamment les textes de Géant vert, Tai-Luc de La Souris Déglinguée, Spi d’OTH ou Vérole des Cadavres.

Une planche de l'album "Vivre libre ou mourir - Punk et rock alternatif en France 1981/ 1989" de Arnaud le Gouëfllec (scénario) et Nicolas Moog (dessin) paru chez Glénat (2024). (NICOLAS MOOG - EDITIONS GLENAT)

Audacieux, vivant et réussi, cet album l’est aussi pour ses dessins, qui font palpiter chaque page. Avec son trait noir, gras et précis, Nicolas Moog cultive une sobriété rigoureuse mais ludique, multipliant les détails malicieux, les clins d’œil (d’après Cabu, d’après Fred…), les caricatures bienveillantes et les trouvailles graphiques qui explosent les cases avec jubilation. En parfait accord avec son sujet, il fait et dit beaucoup avec une belle économie de moyens.

Très complète, cette BD qui débute avec la première vague punk, celle de la fin des années 70, se referme sur l’après Bérus, avec une galerie de portraits type "que sont-ils devenus ?", et sur une discographie commentée. Le punk est "un virus de la pop culture qui se réactive à chaque fois qu’elle sombre dans le divertissement". Si cette définition donnée au début de l’ouvrage dit vrai, la prochaine vague est pour bientôt.

"Vivre libre ou mourir - Punk et rock alternatif en France 1981/1989" d'Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog (Glénat, 22,50 €)

La couverture de l'album "Vivre libre ou mourir" de Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog sur le punk et le rock alternatif en France dans les années 80. (GLENAT)

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