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"Pline", le regard singulier d'un manga japonais sur la Rome Antique
Après "Thermae Romae", manga antique de Mari Yamazaki vendu à 10 millions d'exemplaires au Japon, la dessinatrice (cette fois avec Tori Miki), replonge dans la Rome Antique avec le célèbre naturaliste romain Pline et son "Histoire naturelle". Pourquoi les Japonais se passionnent-ils pour la Rome antique ? Quel est le rapport entre le Japon et Rome ? Des pistes, avec Mari Yamazaki et Tori Miki.
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L'histoire : 79 de notre ère. Le Vésuve entre en éruption. Images frappantes, faisant immanquablement penser à la catastrophe de Fukushima. Pline est alors âgé de 56 ans et commande une flotte militaire basée à proximité du lieu de l'éruption. Il décide de se rendre sur place, s'accordant néanmoins le temps du bain et du repas. C'est en chemin qu'il mourra étouffé par les fumées du Volcan. Euclès, le fidèle scribe de Pline se souvient d'une autre éruption, celle de l'Etna en Sicile 20 ans plus tôt, où il rencontra Pline… Et nous voilà dans les pas du fameux naturaliste romain, ses observations, ses rapports avec Néron, sa vie quotidienne, sa vision du monde et son "Histoire naturelle", l'une des plus anciennes encyclopédies de l'histoire, qui a considérablement influencé des générations de savants qui ont suivi
Pour dessiner ce nouveau manga, pré-publié au Japon dans le magazine culturel Shinchô 45 de Shinchôsha, et paru en France chez Casterman en janvier, Tori Mari s'est offert les services d'un autre dessinateur, Tori Miki (auteur d'"Intermezzo" et de "Charivari"), notamment pour tracer les décors de cette passionnante épopée. "Pline" est à la fois une mise en scène des observations et découvertes de Pline, insatiable curieux de tout ce qui l'entoure, astronomie, géographie, zoologie, botanique, art pictural, sculpture ou phénomènes surnaturels, mais aussi une plongée quasi documentaire dans une Rome, les palais mais aussi bas fonds, ruelles obscures et lupanars, avec en bonus un portrait inattendu de Néron.
"Pline" est servi par un graphisme éblouissant, exécuté à quatre mains, dessins des villes, phénomènes naturels, décors, botanique, le tout magistralement mis en lumière par Tori Miki comme un film hollywoodien. On en regrette presque le petit format du manga, tellement certaines pages sont magnifiques. Invités d'honneur au Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême, ils ont exprimé leur intérêt pour cette période de l'histoire, et les points qui relient la Rome Antique et le Japon.
"Un autre point de rencontre entre Rome et le Japon", poursuit la dessinatrice, "c'est un rapport plus ouvert à la sexualité. Pour les Européens aujourd'hui, avec leurs valeurs chrétiennes, catholiques, la découverte lorsqu'ils voyagent au Japon dans certains quartiers interlopes a de quoi surprendre. On n'est pas loin des lupanars romains", sourit la dessinatrice.
Imprégné de la tragédie de Fukushima, le manga jette un pont entre ces deux terres soumises aux caprices de la nature, "même si en 2011 les effets de la catastrophe naturelle ont été aggravés par ce que l'homme a construit", précise la dessinatrice. "Ce qui m'intéressait, c'était de voir comment les gens réagissent à une catastrophe, comment cela se passait dans la Rome antique, et c'est une des raisons pour lesquelles j'ai eu envie de faire de Pline un personnage de manga. Pour observer les rapports des civilisations à la catastrophe, à la menace de destruction", explique la dessinatrice. "Et ce que l'on constate, c'est le même sentiment d'impuissance face à la catastrophe.
"Quand j'étais enfant, on nous apprenait à lire les textes de l'Antiquité. Pour être éduqué, il fallait lire ces textes. Je me souviens que mon père me disait, 'il faut au moins que tu aies lu "Les villes parallèles", de Plutarque. "Quand j'étais enfant, j'aimais aussi beaucoup les Péplums hollywoodiens et c'est aussi comme ça que j'ai découvert l'Antiquité. C'était une image pas très réaliste, avec des décors très propres très jolis", confie Tori Miki.
La dessinatrice voyage notamment en Syrie pour visiter les sites antiques qui s'y trouvent. "J'ai fait 4 voyages en Syrie, et j'ai pu circuler dans des sites qui sont restés dans un état de conservation extraordinaires, mais qui faisaient partie du paysage normal des habitants. Un jour je me souviens que j'étais en train d'observer une habitation qui datait de l'Antiquité romaine et devant il y avait du linge qui séchait, et tout à coup un homme a surgi de la maison et m'a demandé ce que je faisais là à regarder sa maison. J'étais plongée dans le passé !"
"Quand Mari m'a demandé de dessiner pour ce projet, je suis donc allé à Rome, pour faire des repérages et j'ai aussi beaucoup potassé pour pas me faire gronder par Mari", s'amuse Tori Miki ! "Quand je les ai vus, les bras m'en sont tombés", répond Mari Yamazaki, et ses amis italiens lui demandent s'il était vraiment "giapponese".
" A l'époque on expliquait les phénomènes naturels par la colère des Dieux. Pline est l'un des premiers à avoir cherché le pourquoi des phénomènes qu'il observe autour de lui, sans avoir recours à des explications irrationnelles. Et parfois il s'approchait de la vérité", explique Tori Miki. "Il était curieux de tout. C'était un personnage solitaire, qui avait du mal avec les relations humaines. Ce qui le caractérise avant tout, c'est cette soif de connaissances, le reste il n'en avait rien à faire", imagine Tori Miki.
Le manga fait également une interprétation inattendue de la personnalité de Néron. "C'est vrai qu'on a l'image d'un Néron despote, fou, psychopathe, mais moi j'ai toujours trouvé ce personnage fascinant, j'ai toujours eu le sentiment que derrière cette image il y avait autre chose et je trouvais ça intéressant de chercher les raisons qui l'ont conduit à faire ce qu'il a fait, et montrer un Néron en proie au doute, avec une sensibilité exacerbée", conclut Mari Yamazaki.
"Pline", tomes 1 et 2, Mari Yamakazi et tori Miki (Casterman - 200 pages - 8,45 €)
Pour dessiner ce nouveau manga, pré-publié au Japon dans le magazine culturel Shinchô 45 de Shinchôsha, et paru en France chez Casterman en janvier, Tori Mari s'est offert les services d'un autre dessinateur, Tori Miki (auteur d'"Intermezzo" et de "Charivari"), notamment pour tracer les décors de cette passionnante épopée. "Pline" est à la fois une mise en scène des observations et découvertes de Pline, insatiable curieux de tout ce qui l'entoure, astronomie, géographie, zoologie, botanique, art pictural, sculpture ou phénomènes surnaturels, mais aussi une plongée quasi documentaire dans une Rome, les palais mais aussi bas fonds, ruelles obscures et lupanars, avec en bonus un portrait inattendu de Néron.
"Pline" est servi par un graphisme éblouissant, exécuté à quatre mains, dessins des villes, phénomènes naturels, décors, botanique, le tout magistralement mis en lumière par Tori Miki comme un film hollywoodien. On en regrette presque le petit format du manga, tellement certaines pages sont magnifiques. Invités d'honneur au Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême, ils ont exprimé leur intérêt pour cette période de l'histoire, et les points qui relient la Rome Antique et le Japon.
Bain, nudité, sexe
"Il y a de nombreux points communs entre le Japon contemporain et la Rome antique", souligne Mari Yamazaki. "Le premier est l'amour du bain, la culture du bain, qui a complètement disparu dans l'Italie d'aujourd'hui, alors qu'elle est toujours très présente au Japon, où l'on prend un bain pas seulement pour se laver, mais aussi pour se relaxer. Il y a donc un rapport au corps, à la nudité, qui était libre dans l'Antiquité. L'empereur se mettait tout nu devant tout le monde sans que cela n'inspire aucune honte à personne. C'est la même chose au Japon, malgré l'influence américaine qui a imposé des interdits après la guerre", explique Mari Yamazaki. "En Italie le christianisme est passé par là…", ajoute-t-elle."Un autre point de rencontre entre Rome et le Japon", poursuit la dessinatrice, "c'est un rapport plus ouvert à la sexualité. Pour les Européens aujourd'hui, avec leurs valeurs chrétiennes, catholiques, la découverte lorsqu'ils voyagent au Japon dans certains quartiers interlopes a de quoi surprendre. On n'est pas loin des lupanars romains", sourit la dessinatrice.
Polythéisme et surnaturel
"Il y avait dans la Rome Antique des talismans en forme de sexes masculins, pour honorer Priape (le Dieu de la fertilité). On me demande pourquoi je dessine ça, mais à l'époque cela faisait partie de la vie quotidienne, et cela n'inspirait aucune honte. Au Japon il y avait aussi des rites du même type, et de nombreux talismans pour se protéger dans la vie quotidienne", poursuit-elle. "Ce rapport à des croyances polythéistes est aussi un point de jonction entre la Rome antique et le Japon. A Rome autrefois comme au Japon aujourd'hui, on ne vénère un Dieu exclusif. Ce rapport au surnaturel, qui a complètement disparu en Europe aujourd'hui, est encore présent au Japon", note Mari Yamazaki. Pline ne faisait pas de distinction et appliquait sa curiosité à tous les phénomènes qu'il pouvait observer, et aussi tous ceux dont on pouvait lui parler, y compris des phénomènes "surnaturels". "On n'a pas voulu passer à côté de ça dans le manga", explique Tori Mori. "C'est vrai qu'au Japon nous avons cette tradition des films de monstres, donc pour dessiner ce monstre qui apparaît dans le manga, je me suis inspiré de ces films, mais aussi des dessins d'autres mangakas.Les volcans
"Pline" ouvre sur les images en couleur de l'éruption du Vésuve en 79 de notre ère. "Au Japon, dans nos mangas, on a droit à 6 pages en couleurs, on a choisi de consacrer ces premières pages à l'éruption du Vésuve, pour mettre en évidence le côté 'climax' de l'événement", explique Tori Miki. Née au Japon, une terre volcanique, et très jeune installée en Italie, une autre terre volcanique, Mari Yamazaki confie avoir développé une sensibilité particulière à cette "imminence de la catastrophe".Imprégné de la tragédie de Fukushima, le manga jette un pont entre ces deux terres soumises aux caprices de la nature, "même si en 2011 les effets de la catastrophe naturelle ont été aggravés par ce que l'homme a construit", précise la dessinatrice. "Ce qui m'intéressait, c'était de voir comment les gens réagissent à une catastrophe, comment cela se passait dans la Rome antique, et c'est une des raisons pour lesquelles j'ai eu envie de faire de Pline un personnage de manga. Pour observer les rapports des civilisations à la catastrophe, à la menace de destruction", explique la dessinatrice. "Et ce que l'on constate, c'est le même sentiment d'impuissance face à la catastrophe.
"Au Japon, on dit que pour être éduqué, il faut avoir lu Plutarque"
Les deux auteurs sont tombés sous le charme de la Rome antique, chacun à leur manière. Pour Mari Yamazaki, les premiers contacts se font dès l'adolescence. "Quand j'avais 14 ans, j'ai fait un voyage seule en Europe et je suis passée par le Louvre. J'ai été très impressionnée par les départements consacrés à l'Antiquité romaine. Au cours de ce voyage, je ne suis pas allée en Italie, et j'ai rencontré un homme dans le train qui m'a fortement recommandé de m'y rendre, ajoutant bien sûr que de toutes façons, tous les chemins mènent à Rome", se souvient-elle en souriant. La dessinatrice a suivi ses conseils et même plus, puisqu'elle s'est même installée en Italie."Quand j'étais enfant, on nous apprenait à lire les textes de l'Antiquité. Pour être éduqué, il fallait lire ces textes. Je me souviens que mon père me disait, 'il faut au moins que tu aies lu "Les villes parallèles", de Plutarque. "Quand j'étais enfant, j'aimais aussi beaucoup les Péplums hollywoodiens et c'est aussi comme ça que j'ai découvert l'Antiquité. C'était une image pas très réaliste, avec des décors très propres très jolis", confie Tori Miki.
"On ne voulait pas une image carte postale de Rome"
"Mais nous voulions donner vie à une série qui ne serait pas une carte postale de la Rome Antique. Nous voulions montrer la ville de manière réaliste, les quartiers malfamés, mal éclairés", souligne Mari Yamazaki, "et j'ai été conforté dans mon idée quand j'ai vu la série "Rome" diffusée sur HBO et que j'ai entendu le directeur artistique dire qu'il s'était inspiré des rues de Bombay pour construire son film !".La dessinatrice voyage notamment en Syrie pour visiter les sites antiques qui s'y trouvent. "J'ai fait 4 voyages en Syrie, et j'ai pu circuler dans des sites qui sont restés dans un état de conservation extraordinaires, mais qui faisaient partie du paysage normal des habitants. Un jour je me souviens que j'étais en train d'observer une habitation qui datait de l'Antiquité romaine et devant il y avait du linge qui séchait, et tout à coup un homme a surgi de la maison et m'a demandé ce que je faisais là à regarder sa maison. J'étais plongée dans le passé !"
"Quand Mari m'a demandé de dessiner pour ce projet, je suis donc allé à Rome, pour faire des repérages et j'ai aussi beaucoup potassé pour pas me faire gronder par Mari", s'amuse Tori Miki ! "Quand je les ai vus, les bras m'en sont tombés", répond Mari Yamazaki, et ses amis italiens lui demandent s'il était vraiment "giapponese".
Pline et Néron réinventés
Mais les deux dessinateurs se sont aussi largement émancipés de la réalité. "Par chance, il y a assez peu de documentation sur la vie de Pline. Nous avons donc pu nous engouffrer dans les interstices et imaginer tout un tas de choses", explique Mari Yamazaki." A l'époque on expliquait les phénomènes naturels par la colère des Dieux. Pline est l'un des premiers à avoir cherché le pourquoi des phénomènes qu'il observe autour de lui, sans avoir recours à des explications irrationnelles. Et parfois il s'approchait de la vérité", explique Tori Miki. "Il était curieux de tout. C'était un personnage solitaire, qui avait du mal avec les relations humaines. Ce qui le caractérise avant tout, c'est cette soif de connaissances, le reste il n'en avait rien à faire", imagine Tori Miki.
Le manga fait également une interprétation inattendue de la personnalité de Néron. "C'est vrai qu'on a l'image d'un Néron despote, fou, psychopathe, mais moi j'ai toujours trouvé ce personnage fascinant, j'ai toujours eu le sentiment que derrière cette image il y avait autre chose et je trouvais ça intéressant de chercher les raisons qui l'ont conduit à faire ce qu'il a fait, et montrer un Néron en proie au doute, avec une sensibilité exacerbée", conclut Mari Yamazaki.
"J'invite ceux qui veulent mieux connaître la Rome antique à venir au Japon !"
"Pline" est un manga exceptionnel, qui donne à voir une Rome antique de l'intérieur, tout à fait singulière et passionnante. Regard de Japonais sur une civilisation en apparence aux antipodes de la nôtre. Et pourtant, "je pense que les Japonais d'aujourd'hui sont plus à même de comprendre la Rome antique que les italiens d'aujourd'hui !", conclut Mari Yamazaki. "J'invite ceux qui veulent mieux connaître la Rome antique à venir au Japon !", s'amuse Mari Yamazaki."Pline", tomes 1 et 2, Mari Yamakazi et tori Miki (Casterman - 200 pages - 8,45 €)
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