L'affaire Clearstream en BD : Entretien avec Denis Robert
La génèse du projet
2007. Denis Robert se sent seul, désemparé. Voilà déjà six ans qu'il travaille sur l'affaire Clearstream. Les juges viennent de le mettre en examen, son appartement a été perquisitionné. La presse lui tourne le dos. Le journaliste n'a plus envie d'écrire, de faire des films sur cette "banque des banques" luxembourgeoise. La situation lui semble ubuesque, trop compliquée à expliquer encore une fois. Il faudrait décrire, d'une part, une affaire financière très grave, et dans le même temps définir ce qu'il considère comme étant une manipulation d'Etat.
L'écrivain journaliste a quelques amis dans le milieu de la bande dessinée, parmi lesquels Yan Lindingre ("Chez Francisque"). Ce média, par la distance qu'il créé implicitement, par le recul et l'humour, apparait alors comme le meilleur moyen de revenir sur l'ensemble de cette affaire. Les deux hommes discutent du projet, s'échangent mails, dessins, idées de scénario. Ils imaginent, dans un premier temps, un récit à la "Maus". Denis Robert voit une sorte de bestiaire, dans lequel les banquiers seraient des requins, et lui une chèvre, d'autres animaux caractériseraient le monde de la finance. Finalement, cette première idée avorte. Un dessin plus réaliste apparait plus facile à réaliser.
Récit autobiographique
Restait à trouver un point de départ, un fil de narration. Denis Robert décide de commencer par l'actualité d'alors, l'imbroglio politique, puis il repart rapidement en arrière. Il se revoit dans ses années de journaliste à Libération, pour ensuite dérouler toute l'affaire, ses recontres, de rebondissements en enquête, ponctuant le tout d'explications didactiques, et évoquant une vie privée chamboulée.
Dès les premières parutions, les retours des lecteurs donnent raison à cette vaste entreprise. Ils disent à Denis Robert mieux comprendre le monde de la finance, mieux saisir ce qu'a traversé le journaliste durant son combat pour la vérité, avec ce costume empesé de "héros malgré lui". Beaucoup de gens, dit-il, l'ont découvert par la BD, parce que les autres ouvrages étaient trop denses, trop complexes. Denis Robert ne boude pas l'effort de vulgarisation, de simplification, qui n'empêche pas l'exactitude et les révélations. Il imagine que certains de ceux qui achètent cette bande dessinée se dirigeront, un jour, vers les ouvrages d'enquête pour complèter ce qu'ils ont découvert.
Suite et fin
En septembre 2011, La Justice reconnait le droit à Denis Robert de porter les accusations et les constats qu'il formulait depuis onze ans contre Clearstream. Ses propos ne sont plus diffamatoires. Deux mois plus tard, elle lui accorde aussi le remboursement de ses frais de justice. Il est temps d'apposer le mot "fin" sur cette bande dessinée. C'est d'abord, dit-il, une joie importante, une grande fierté, du soulagement d'achever cette entreprise, et un regret que cette série de bande dessinée n'ait pas pour l'instant trouvé un public plus important en terme de ventes, surtout pour ce quatrième tome qui lui parait le plus abouti.
Changer les choses demande de la patience, et Clearstream, pour l'heure, continue ses activités, mais Denis Robert ne regrette rien. On commence à s'intéresser à ses travaux, à travers le monde. "La vérité prend du temps", dit l'écrivain journaliste.
Du temps, l'écrivain risque d'en manquer. Il prépare un roman, des documentaires, compte se remettre à peindre, et a pris goût à la BD. Il prépare chez Dargaud une série avec un nouveau super héros, Dunk, tiré d'un livre éponyme qu'il a écrit en 2009. L'illustration sera assurée par Francl Biancarelli. "Je serai grand père avant d'être venu à bout de tous mes projets !", dit malicieusement Denis Robert.
Journalisme (autobio)graphique
Cette oeuvre de bande dessinée constitue un ovni très intéressant, tant dans le neuvième art que dans l'exercice journalistique. Il s'agit d'un récit autobiographique qui fait aussi preuve d'une grande pédagogie. Il ouvre une nouvelle voie dans le roman graphique, grâce au travail scénaristique de Denis Robert et de son ami Yan Lindingre, à la fidélité des faits, et au talent dessinateur Laurent Astier qui parvient à rendre visible toutes les ramifications et les degrés de l'affaire.
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