Pourquoi je continue ? C’est une question d’épanouissement personnel. Quand j’ai quitté un temps le dessin, je m’étiolais psychologiquement, créativement, je le vivais mal…" Nephyla, auteure de 33 ans, vit pourtant avec seulement 10 000 euros par an et un enfant à charge. La jeune femme a signé son premier album chez un gros éditeur à 27 ans. C’était en 2010, au moment du frémissement de la BD "pour filles", avec les guillemets de rigueur. Ça s’appelait Geek & Girly, et les ventes n’ont pas été au rendez-vous. "Je ne comprenais pas pourquoi mon éditeur ne vendait pas mon livre, je me suis retrouvée à démarcher moi-même les libraires. En fait, avec ma scénariste, on a juste servi de chair à canon." Car un éditeur ne gagne pas de l’argent qu’en fabriquant des livres. Souvent, il possède sa propre structure de distribution. Amener un livre dans une librairie, le facturer au libraire qui ne peut le retourner que des semaines plus tard, puis le ramener éventuellement au pilon rapporte gros. D’où le paradoxe qu’une BD n’a pas besoin d’être vendue pour rapporter… au moins à l’éditeur. Pour les auteurs, c’est une autre histoire.
La série de Nephyla est remisée au placard, son auteure avec. "Pour les éditeurs, je n’étais pas légitime avec deux albums au compteur. Je me suis heurtée au plafond de verre…" Un ressenti illustré par l’exemple de Paul Cauuet, qui a continué à décrocher des contrats malgré des albums passés inaperçus avant de cartonner avec Les Vieux Fourneaux.
Reconvertie coloriste par dépit, Nephyla n’en a pas pour autant fini avec le sexisme ordinaire. "Quand je suis tombée enceinte, j’étais sous contrat pour un premier tome d’un auteur avec qui je m’entends bien. J’ai demandé un report de la deadline d’un mois." Pratique courante, les délais prévoyant de la marge en cas d'imprévu. Sauf cette fois. "Mon éditeur m’a dit que je mettais le projet en danger. Pour le tome 2, il m’a imposé de prendre une assistante, pour tenir les délais tout en élevant mon enfant. Mon congé maternité s’est résumé à deux mois. Un mois après l’accouchement, je reprenais mes pinceaux." Sur une planche déjà payée 80 euros brut d’un album qui en compte 46, Nephyla en reverse 15 à son assistante. "Ça me paraissait le minimum. Autant dire qu’il ne me restait plus grand-chose. Et quand le dessinateur a eu des soucis personnels et n’a rien rendu pendant deux ou trois mois, personne ne lui a tapé sur les doigts."
Pendant ces années de vaches maigres, Nephyla pouvait compter sur un filet de sécurité : son mari. Il l’a finalement quittée il y a deux ans. "Mais je ne lui en veux pas", confie-t-elle.
"Aujourd’hui, j’ai dix ans d’expérience, mais chez beaucoup d’éditeurs, je suis toujours payée comme une débutante”, souffle-t-elle. Elle parvient toutefois à se débrouiller, grâce à son entourage. "Ça va mieux qu’il y a quelques années, reconnaît-elle. J’ai connu des moments où je ne mangeais pas le midi pour garder assez de nourriture pour mon fils le soir." La jeune femme, qui sort l’album érotique La Déesse chez Tabou, un petit éditeur, a toujours "la rage au ventre". "Je m’arrêterai quand je serai morte."