Appel au boycott du festival BD d'Angoulême : "J'ai peur qu'on n'en soit qu'au début du décompte des auteurs qui vont arrêter le métier", alerte le scénariste Fabien Vehlmann
"Nos revendications dépassent très largement le cadre d’un festival", assure sur franceinfo le scénariste Fabien Vehlmann, signataire d'une tribune pour alerter l’État sur leur situation.
Le scénariste des séries Spirou et Fantasio et de Seuls, Fabien Vehlmann, fait partie des centaines de signataires d'une tribune appelant à boycotter le festival de la BD d'Angoulême, qui dévoile son palmarès vendredi 29 janvier. "J’ai peur malheureusement qu’on n’en soit qu’au début du décompte, un peu comme les faillites des petites entreprises, d’auteurs et d’autrices qui vont arrêter le métier", redoute l'auteur sur franceinfo.
franceinfo : Pourquoi boycottez-vous le festival de la BD d’Angoulême ? Est-il seul responsable de la situation dans laquelle se trouvent les auteurs et autrices de bandes dessinées ?
Fabien Vehlmann : Je ne prends pas du tout la citadelle d’Angoulême comme un grand Satan contre lequel on se bat mais c’est la grande vitrine du monde de la bande dessinée et c’est le seul endroit, le seul moment où les médias s’intéressent à la bande dessinée, c’est le seul endroit où on est écoutés pour évoquer des problèmes qui dépassent largement le festival. Après, j’ai envie de dire que le festival, comme les autres acteurs de la chaîne du livre, peut encore progresser en termes d’exemplarité, de rémunération des auteurs, mais nos revendications dépassent très largement le cadre d’un festival.
"L'idée est de poursuivre ce mouvement de boycott des festivals ou des événements qui n’auront pas une véritable oreille attentive à ce que les auteurs et autrices demandent."
Fabien Vehlmannà franceinfo
Bien sûr que des fois on a l’impression, très fataliste, que ça ne marche pas, mais le signal d’alarme qu’on veut tirer c’est de regarder à quel point l’écosystème va se dégrader. Il n’y aura pas forcément de retour de bâton. C’est juste qu’il y aura une dégradation du système, et j’ai peur que malheureusement même les éditeurs qui en bénéficient actuellement finissent pas payer les pots cassés d’ici quelques années. Il faudrait qu’ils le réalisent avant qu’il y ait cette casse.
Quelle est la solution, selon vous, pour améliorer les revenus et conditions de vie des auteurs et autrices ?
La solution à mes yeux – elle n’engage que moi – est qu’il y ait peut-être moins d’auteurs publiés mais qu’ils soient bien payés. C’est la façon dont on envisage le monde de l’édition qu’il faut revoir. Actuellement, l’impression que j’en ai c’est que les éditeurs s’en remettent au marché pour déterminer si une BD est bonne ou pas. Par exemple, Goscinny et Uderzo ont lancé Oumpah-Pah en 1958, une série qui était géniale, faite par des auteurs géniaux, qui n’a pas du tout marché. Si on s’en était remis aux chiffres, c’était un échec, ils auraient dégagé. Asterix, qu’ils ont fait plus tard en 1959 a été un carton, parce qu’il y a aussi une part de chance. C’est là que l’éditeur doit jouer un vrai rôle, il doit déterminer quels sont les auteurs et les autrices qu’il veut soutenir, bien les payer, les payer dignement, et ne pas faire une espèce de saupoudrage sur mille auteurs qu’on sous-paie en espérant que l’un d’eux fasse un carton et qu’à ce moment-là on se mettra à le payer. Ça ne marche pas.
Le nombre de bandes dessinées vendues en 2020 a progressé de 9%. Les chiffres sont très positifs. Comme expliquez-vous la situation des auteurs et autrices ?
C'est le grand paradoxe de cette situation. On l'a vu entre les deux confinements. Il y a une vitalité incroyable dans les librairies, c’est même un signe culturel de défense de la culture d’aller dans les librairies, donc on peut s'en réjouir. Mais là où c'est complètement kafkaïen, c’est que, alors que tout a l’air d’aller bien en termes de chiffres et de ventes, on se retrouve avec des auteurs et des autrices qui ont perdu une bonne partie de leurs revenus secondaires, mais qui sont parfois très importants pour beaucoup d’auteurs, comme des interventions dans les écoles, des ateliers, et surtout dont les sorties des livres ont été repoussées à l'année prochaine dans le meilleur des cas, à plus loin si ce sont des petits titres. Quand je sors un titre comme Seuls par exemple, on va trouver de la place parce que ça va se vendre, mais quand c'est un titre qui n’est pas assez connu, il va être dégagé et on va se retrouver dans des embouteillages littéraires l’année prochaine, et donc c’est évident qu’il y a toute une génération d’auteurs et d’autrices qui vont sévèrement le payer.
"J’ai peur malheureusement qu'on n'en soit qu'au début du décompte, un peu comme les faillites des petites entreprises, d'auteurs et d'autrices qui vont arrêter le métier."
Fabien Vehlmannà franceinfo
Déjà avant la pandémie, on commençait à entendre des amis dire qu’ils ne pouvaient plus joindre les deux bouts et donc voulaient arrêter cette profession, qu’ils adorent.
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