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Au Théâtre du Rond-Point, Philippe Caubère met un point final à son "Roman d’un acteur"

Philippe Caubère conclut son impressionnante saga du "Roman d’un acteur" avec trois derniers spectacles qui se jouent en alternance : fin de l’histoire de Ferdinand Faure, son alter ego, son double.

Article rédigé par franceinfo Culture - Bertrand Renard
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le comédien Philippe Caubère dans "Casino de Namur I", premier volet de "Adieu, Ferdinand ! Suite et Fin", Théâtre du Rond-Point novembre 2019. (Michèle Laurent)

On doit en être à une trentaine de numéros, on n’est même pas sûr que Caubère les ait dénombrés, lui, comme on le voit dans l’hilarant Casino de Namur 2, qui est si fâché avec les chiffres. Autobiographie revisitée d’un homme qui aurait pu se contenter de rester, avec cet accent marseillais qu’il retrouve aisément, un jeune acteur brillant du Théâtre du Soleil, dans l’ombre d’Ariane (Ariane Mnouchkine, mère et prêtresse, égérie, professeur, formatrice, inspiratrice : l’autre femme, face à la légitime, Clémence). Dans l’ombre, ou au soleil, puisqu’Ariane lui confia le rôle de Molière, au théâtre et au cinéma. Cinéma que Caubère a toujours négligé, malgré sa composition du père de Pagnol dans La gloire de mon père et Le château de ma mère d’Yves Robert.

Le théâtre seul

Le théâtre donc. Et le théâtre seul. On devrait dire : le théâtre seul, et seul. Cela fait près de quarante ans que Caubère fait du "seul en scène", c’est presque lui qui l’a inventé. Et voici que, se repenchant avec nostalgie sur quelques épisodes de (toujours) sa jeunesse et en y traçant de la plume et du corps le mot "fin", il nous rappelle qu’il approche de la septantaine et que nous avons vieilli avec lui.


Autobiographie revisitée : à ceux qui le découvriraient, qui l’idolâtreraient, à ceux qui l’auraient suivi de loin en loin, ou de près en près mais avec des éclipses, Faure-Caubère ou Ferdinand-Philippe ne raconte jamais, de sa vie, les moments les plus fastueux, les plus spectaculaires. Non, ce sont des éclaboussures de mémoire, de courts fils de laine brut logés, allez savoir pourquoi, dans un recoin de son cerveau et dont il compose, en les tordant, en les broyant, en les teintant de rouge, de noir et de suie, une tapisserie éblouissante, là, devant nous, avec un art de la gestuelle, du changement à vue de visage et d’accent qui s’apparenterait presque au transformisme, de l’appropriation d’une scène nue (une simple chaise, que souvent il abandonne) qu’il semble habiter comme peu d’acteurs le font.

Le comédien Philippe Caubère dans "Casino de Namur I", premier volet de "Adieu, Ferdinand ! Suite et Fin", Théâtre du Rond-Point novembre 2019. (MICHELE LAURENT)

Et Caubère n’est jamais meilleur que quand un petit fait, un petit détail, se mettent à prendre des proportions monstrueuses qui ne rappellent pas tant l’énormité des histoires marseillaises (quoique…) que l’imagination si délirante qu’elle en devient profondément poétique d’un Terry Gilliam ou d’un Fellini, ou, pour en rester au théâtre, des grands maîtres italiens, de Strehler à Pippo Delbono.

Cru (appelons un chat un chat)

C’est ainsi que dans le premier volet de la trilogie, La baleine et le camp naturiste, une actrice d’Ariane, Samira, qui réussit le thé et rate le couscous, provoque en Ferdinand un violent désir érotique quand il la voit dans sa doudoune blanche en séance d’improvisation, semblable à une jolie baleine blanche ("ou se lançant vers le ciel comme un grand saumon") dont il serait le capitaine Achab. C’est le temps de la libération sexuelle, qui est toujours plus libérée pour les hommes que pour les femmes, Ferdinand décide donc de tromper Clémence, "mais tu vas passer toute la nuit chez elle ? – Ben oui, sinon c’est pas poli" mais évidemment c’est compter sans les chats de Samira (et Caubère fait aussi les chats !) et le fait qu’elle a enlevé sa doudoune alors le désir se réduit à peu. Et Clémence, au moment de passer à l’acte, qui hante l’esprit de Ferdinand comme un reproche vivant…


Cela n’hésite pas à être cru, à appeler un chat un chat et un cul un cul, encore davantage dans Le camp de naturistes, vacances délirantes passées dans les Landes au milieu de gens tout nus, comme ça, pour voir. Et évidemment l’énorme gêne de Ferdinand, la galerie de portraits, l’excitation du frère de Clémence ("Y a de la bidoche. Y a de la touffe") et la réaction des naturistes ("Avec vous, ça sent le maillot de bains") jusqu’à une très inquiétante rencontre qui relie le camp en question à l’occupation nazie et c’est dans cette évolution vers une folie qui peut être parfois troublante parfois burlesque, et parfois en mode "le rire (car on rit beaucoup) s’étrangle" que Caubère, sans jamais sombrer dans la vulgarité, trouve sa propre écriture.

Pas de recul

On a cependant moins aimé la première partie du Casino de Namur : encore un petit fil tiré, qui commence par l’odyssée en voiture de Ferdinand et Bruno (Bruno Raffaëlli, le copain du Conservatoire, aujourd’hui un des piliers de la Comédie-Française), deux Provençaux vers la Belgique lointaine où ils vont jouer… à Louvain-la-Neuve. Mais d’abord un arrêt chez les Pétrieux, betteraviers dont le fils Jean-Marie veut devenir comédien… à quarante ans passés.

Sauf qu’au-delà de la description délirante de la maison (une maison tout plastique, coussins en forme de teckels, heurtoir en forme de betterave et tableaux, façon portraits d’Holbein, d’une betterave sucrière et d’une betterave fourragère), les parents de Jean-Marie se révèlent d’abominables bourreaux d’enfant, leur grand dadais de quarante ans qui "suinte le sang par les oreilles" (à force d’avoir bu des biberons de lait et de bière, puis de vin rouge) avant de montrer à Ferdinand sa bibliothèque de comédien, la rose, la verte (Le club des 5, Le clan des 7, Le groupe des 9), et celle des adultes, la rouge et or, avec "Tom Savière et Uclebéri Finne". Comme si Caubère, face à ces monstres, n’avait pas su trouver lui non plus le recul qui manque si cruellement à Ferdinand.

Cauchermars 

On ne sait pas ce que les Belges ont fait à Caubère, qui se rattrape dans l’(un peu long) Casino de Namur 2, où nos trois amis (sans les parents) découvrent le jeu. Pas Jean-Marie qui est connu comme "le plus grand perdant de la région" à force de miser le 7 rouge qui ne sort jamais. Mais le novice Ferdinand, qui n’est jamais entré dans un casino, qui ne comprend rien à tous ces "impairs, noirs, passes, latéraux, un à trente-six" et bien sûr gagne des sommes faramineuses, les sommes de l’innocent aux mains pleines. Il y a cependant mieux, dans la veine de l’énorme bouffonnerie dont Caubère est capable, la description de ces croupiers belges (que Ferdinand persiste à appeler greffiers, groupiers, crêpiers, ce qui les met en fureur, accent belge compris) qui finissent par ressembler à de terribles ogres tortionnaires (répondant pourtant aux doux prénoms de Fortuné et Balthazar) battant à coups violents de leurs raclettes les joueurs obtus tels Ferdinand.

Ainsi les casinos du plat pays se transforment-ils en d’immenses cauchemars dignes des rêves noirs du romantisme (et l’on vous évoquera à peine ce jeu-attrape-couillon du Sabot de Namur ou le Lifting de Namur digne de celui de Brazil, de Terry Gilliam justement). Dans la nuit humide et brumeuse un Ferdinand épuisé et Bruno, qui a découvert au casino de la capitale wallonne la volupté de tout perdre et l’ennui de tout gagner qui est le quotidien des vrais joueurs, essaient, menacés par la panne d’essence, de rejoindre Louvain-la-Neuve, ville fantôme elle aussi (on la connaît) Abandonnant Caubère dans un no man’s land de comédien, sur une route où lui seul sait (ou pas encore) où elle le conduira désormais, et nous avec lui.


Adieu, Ferdinand ! Suite et fin. Texte, mise en scène et interprétation de Philippe Caubère. Théâtre du Rond-Point, Paris (spectacles en alternance) jusqu'au 5 janvier

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