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"Vous n'irez plus danser" : l'histoire des bals clandestins racontée au musée de la Résistance nationale de Champigny-sur-Marne

De 1940 à 1945, les bals populaires étaient interdits sur le territoire français mais la jeunesse n'a pas renoncé à danser malgré la répression et l'austérité. Le musée de la Résistance nationale de Champigny-sur-Marne revient sur l'histoire de ces bals clandestins dans une exposition fascinante à découvrir jusqu'au 2 avril.
Article rédigé par Marianne Leroux
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Bal dans une cour de ferme à Gosné (Ille-et-Vilaine) à l'été 1944. (MUSEE DE LA RESISTANCE)

Du bal musette paysan aux "dancings" des nouvelles classes moyennes urbaines, les bals populaires, dans les années 1930, étaient des lieux rassemblant toutes les catégories de la société et mélangeaient toutes sortes de danse, de la valse, de la java en passant par le jazz, le tango ou encore le paso doble. Mais en 1940, au début de la guerre, avec l'offensive allemande, une mesure de portée nationale a été prise par le régime de Vichy : les bals sont devenus interdits.

Une interdiction qui n'a pas empêché la transgression. Au contraire, malgré la saisie des instruments et les amendes, les bals clandestins ont progressé entre 1940 et 1943. Cette histoire passionnante mais trop peu connue est racontée dans une exposition au musée de la Résistance nationale de Champigny-sur-Marne jusqu'au 2 avril. 

Une du "Miroir du monde" du 6 juin 1936 représentant des grévistes improvisant un bal dans une usine occupée. (MUSEE DE LA RESISTANCE)

Entre sécurité et morale 

Grèves, repos du dimanche, fêtes familiales ou patronales, départs pour le service du travail obligatoire : tout est prétexte pour faire chanter les corps. Mais tout se complique avec l'interdiction des bals, annoncée dans la presse, le 20 mai 1940. 

Annonce de la fermeture des dancings dans le Figaro, le 20 mai 1940. (MUSEE DE LA RESISTANCE)

Cette répression des corps dansants arrange évidemment les Allemands qui pensent à leur sécurité en évitant les rassemblements de résistants par exemple. Mais ce que montre notamment l'exposition de Champigny-sur-Marne, est que cette interdiction est également une "victoire" pour les personnes atteintes de "dansophobie", qui n'acceptaient pas la liberté de ton de la danse sociale : pour eux, le bal était contraire à la tranquillité publique, aux bonnes mœurs et à la vertu des femmes à marier. 

Antichambre de l’enfer. (MUCEM)

Selon le Maréchal Pétain, ce ne sont pas les erreurs de stratégie qui ont causé la défaite de la France en 1940 mais plutôt "l'esprit de jouissance" qui a corrompu la société, en particulier les jeunes, et qui l'a menée à la catastrophe. Les bals et ses danses virevoltantes en sont les symboles.

Affiche "Message à la jeunesse" du Maréchal Pétain, le 29 décembre 1940. (MUSEE DE LA RESISTANCE)

C'est à partir du message du Maréchal Pétain à la jeunesse française, le 29 décembre 1940, que les procès-verbaux constatant des bals clandestins augmentent fortement. Cela traduit une envie des jeunes de vivre pleinement après quelques mois de restriction. 

Soucieux de maintenir un enseignement jugé important pour l'éducation de la jeunesse et de préserver les emplois des professeurs, le régime de Vichy autorise les cours de danse mais les encadre strictement, par une demande précise à la Préfecture, car le risque de bals clandestins est élevé. Malgré de telles dispositions, de nombreux cours de danse sont des bals déguisés et les dénonciations d'anonymes affluent. 

Ernest Roussel, un musicien de bals clandestins

L'interdiction des bals amène certains musiciens à se produire lors de bals clandestins. L'exposition du musée de la Résistance nationale convoque certains itinéraires comme celui d'Ernest Roussel, accordéoniste breton. En novembre 1943, il se fait dénoncer par un concurrent jaloux et est interpellé par les gendarmes de Belle-Isle-en-Terre auxquels il déclare malicieusement : "Je n'ignorais pas qu'il était défendu d'organiser des bals et c'est pour cette raison qu'on les fait en général dans les coins perdus des campagnes". 

Accordéon d'Ernest Roussel saisi par la Gendarmerie, le 3 décembre 1943. (MUSEE DE LA RESISTANCE)

Son accordéon, qui lui a coûté 15 000 francs (une somme), est alors saisi par la gendarmerie le 3 décembre 1943. Malin, le musicien prétexte la perte de sa dextérité, s'il ne pratique pas, pour jouer dans les locaux de la gendarmerie. Sensibles à ses arguments, les gendarmes le laissent venir une fois par semaine faire quelques gammes.

Un enjeu pour les maquis en zone sud

Parmi les informations que l'on glane à l'exposition, l'une des plus frappantes est sans doute celle de la participation de ces bals clandestins à l'insertion des maquis dans leur environnement local. Car les "dancings" sont censés échapper à la connaissance des forces de l'ordre et se tiennent dans des lieux proches des camps : c'est donc un endroit très stratégique pour établir des liens avec les villageois. Certains bals peuvent même donner lieu à des collectes pour venir en aide aux maquisards, les plus démunis. L'exposition permet donc d'explorer la force, le sens et les enjeux de cette pratique de la danse qui résiste à la répression malgré l'ambiance morose et les dangers de l'époque. 

Maquis "Faïta" de la Haute-Corrèze, posant avec leurs armes et leurs instruments, durant la période insurrectionnelle. (MUSEE DE LA RESISTANCE)

Les fêtes de la Libération 

Avec les débarquements de Normandie et de Provence et la capitulation allemande, les Français se remettent à danser au grand jour. Des photographies prises sur le vif dévoilent les pas de danse entre les Américains et des jeunes femmes, des passants, tous âges confondus, devant des visages ébahis. Mais le retour des bals et de la "liberté de danser" seront acquis seulement le 30 avril 1945, juste avant les fêtes du 1er et 8 mai et évidemment les bals du 14 juillet.  

Bal de la Libération de Saint Briac, le 15 août 1944. (AKG-IMAGES / TONY VACCARO)

Exposition "Vous n'irez plus danser" jusqu'au 2 avril au Musée de la Résistance nationale de Champigny-sur-Marne. 

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