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Le club les Bains Douches transformé en galerie d'art éphémère

Depuis janvier, il s'en passe des choses folles dans les décombres du bâtiment qui abrita longtemps Les Bains Douches, club mythique de la capitale. A l'invitation du propriétaire des lieux, une quarantaine de street-artistes ont investi l'immeuble. Résultat : une galerie impensable en plein Paris, d'une richesse inouïe, pourtant fermée au public pour raisons de sécurité. Nous l'avons visitée.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
C215 et Space Invader vous acueillent au bas des marches, au seuil de ce qui fut le club Les Bains Douches.
 (Photo Stéphane Bisseuil - Courtesy Magda Danysz)

Un enterrement de première classe. C’est sans doute ce qu’avait en tête Jean-Pierre Marois, le propriétaire du bâtiment qui abrita durant trente ans Les Bains Douches en livrant le lieu à la créativité débridée des artistes urbains. Le résultat est au-delà des espérances. Déambuler ces jours-ci dans cette galerie éphémère vouée à la démolition sous peu est absolument bouleversant. 

Comme une poignée d’autres, nous avons eu le privilège de pénétrer les entrailles de ce vaisseau fantôme transformé en monumentale œuvre collective. Pour des raisons de sécurité, qui sautent aux yeux une fois sur place, l’immeuble de 6 étages et 3.000 m2 (l’ex-club Bains Douches en sous-sol, le restaurant au premier, fermés tous deux sur ordre préfectoral pour fissures dangereuses depuis 2010, mais aussi les bureaux et des appartements) restera fermé au grand public durant cette résidence d’artistes exceptionnelle. Un crève coeur. D'autant qu'au 30 avril, tout (ou presque) disparaîtra sous les secousses d'un grand chantier de rénovation.

Reportage Marie Berrurier/A.Delcourt/N.Aibar

Sur les traces de Futura 2000 et Basquiat
Il règne ici un froid glacial, humide, plus prégnant qu’au dehors. La lumière, même en plein jour, même en étages, est crépusculaire. La faute à la poussière et à la moisissure, qui a commencé son œuvre et taquine gentiment les narines.
 
Le bâtiment est dans un état transitoire : à moitié détruit, en friche, carrelages et fils électriques arrachés, pans de murs éventrés, il sera bientôt livré aux masses et aux marteaux piqueurs. Mais avant sa renaissance en hôtel-restaurant en 2014, il est investit depuis janvier par une myriade d’artistes.
 
Tous ont été contactés par la galeriste Magda Danysz, activiste de l'art urbain depuis 20 ans, à qui le propriétaire Jean-Pierre Marois, amateur d’art, avait donné carte blanche. L’idée d’une résidence d’artistes orientée street-art s’est imposée d’elle-même pour cette boîte de nuit fréquentée en son temps par des figures comme Jean-Michel Basquiat, Keith Haring, Andy Warhol ou Futura 2000. 

Un trésor signé de ce pionnier du graffiti lié aux débuts du hip-hop, daté 1985, a d’ailleurs été mis au jour sur place côté club : sa pièce, magnifique, orne un pan de mur caché longtemps derrière une fausse cloison. Accompagnée du logo de la Zulu Nation, organisation de Afrika Bambaataa fondatrice du mouvement hip-hop, il s'agit d'un Graal et d'un véritable aimant pour tous les artistes présents. 
Toutes les générations et les techniques sont représentées 
La commissaire d’exposition, car ç'en est une, a tenu à réunir différentes générations d’artistes. On a ainsi le bonheur et la surprise d’y trouver le travail de figures comme Gérard Zlotykamien, l’un des iniateurs de l’art urbain en France, né en 1940, dont les silhouettes fantômatiques ornent l’un des appartements en étage. Ou encore celui de Jacques Villeglé, plasticien vétéran du graffiti et de la lacération d’affiche, qui, a 87 ans a effectué en mars une petite visite surprise aux Bains et a laissé sa signature sur un mur.
 
Ces deux maîtres côtoient le travail de la nouvelle génération, comme le Portugais VHILS, 26 ans, qui s’est fait connaître pour ses pochoirs gravés et sa technique innovante au marteau piqueur, à l’explosif et à l’acide.

L’éventail des techniques est d’ailleurs un autre axe fort de cette résidence. Les maîtres du graffiti, Jay One, SKKI, Psy, Nasty, Legz et Sowat, côtoient ainsi des princes du pochoir tels que Ash, des as du collage et de la peinture tels que Stew, Sten Lex, 9e Concept et Ludo, et des artistes contemporains pluridisciplinaires tels que Thomas Canto, Sambre ou Cedric Bernadotte.

Regardez notre Diaporama de la résidence aux Bains Douches 
Une caverne d'Ali Baba comme échappée d'un songe
Tous se sont donnés sans compter sur ce projet. La générosité de la démarche générale, alliée à leur créativité débridée et à leur abnégation, font de ce lieu un joyau comme il n’est pas souvent donné d’en voir.

Un truc magique, une caverne d’Ali Baba à chialer de bonheur. L’impression d’entrer dans une autre dimension, de respirer un air plus dense, de vivre une séquence irréelle, onirique et un poil menaçante,  comme dans un film de Miyazaki.

Chacun a travaillé en phase avec l’âme du bâtiment. Certains y avaient des souvenirs, comme SKKI, présent au concert mythique de Joy Division aux Bains Douches le 18 décembre 1979. D’autres ne connaissaient le lieu que de réputation. Son architecture haussmanienne, ses espaces et la variété des supports proposés ont alors servi d’inspiration.
 
Le travail tout en reliefs de Vhils, réalisée au marteau piqueur là où se trouvait la piste de danse des Bains Douches.
 (Photo Stéphane Bisseuil - Courtesy Magda Danysz)
Un goût commun pour les lieux abandonnés
Beaucoup des artistes présents sur ce projet se connaissaient déjà. « On ne vient pas là par hasard », souligne Sowat, croisé lors d’une pause. Surtout, comme nous l’apprendra Sambre, beaucoup partagent une affection particulière pour les lieux en transition, voués à la destruction. Le geste généreux qui n’attend pas de retour, ils connaissent. L’éphémère, aussi.

Pourtant, l’investissement et l'implication manifeste de tous ici nous laisse sans voix. Comment peut-on se donner à ce point, investir autant d'énergie, de temps et d’amour, pour une œuvre vouée à une destruction prochaine et certaine ? Certes, une œuvre documentée (photos, vidéos, site internet et livre en préparation) mais qui n’est pas rémunérée et ne sera vue que d’une poignée de gens ? C’est sans doute aussi ce qui fait la magie de cette résidence.
Sambre, ici en work in progress, a d'abord creusé un trou entre deux étages avant de construire sa sphère en lattes de parquet.
 (Photo Stéphane Bisseuil - Courtesy Magda Danysz)
Des conditions de travail rares pour les artistes
Mais les artistes y trouvent aussi leur compte. Ceux à qui nous avons parlé ont évoqué d’abord l’honneur d’être invité sur ce terrain de jeu rare et la grande liberté d’expression qu’il offrait. Mais aussi les conditions de confort optimales proposées pour travailler. Avec du temps. Des outils. Sur des supports de rêve et avec le choix de l’emplacement. Sans compter le vaste appartement doté d’une cuisine qui abrite certains artistes en résidence sur plusieurs semaines, voire mois, à l’instar de Sambre (interview à lire ici).
 
Ce dernier signe l’une des œuvres les plus spectaculaires de ce projet.  Il a construit une large sphère, constituée de lattes de parquet récupérées et démontées sur place, suspendue entre deux étages. Un très gros œuvre, qui a nécessité de faire un vaste trou dans le plancher, et qui s’avère un clin d’œil visionnaire, plus subliminal que volontaire, à la boule à facettes. 
 
Du brouhaha fêtard de la piste de danse des Bains Douches, ce club parisien de légende dont les riches heures se confondent avec celles du Palace, il ne reste plus grand-chose aujourd’hui. Tout juste si l’on parvient à retrouver ses marques dans ce labyrinthe crépusculaire autrefois si familier.
La grammaire des espaces a changé.
 
Les artistes, en y insufflant leur sève, auront offert aux Bains Douches une sépulture poétique et un dernier tour de piste du côté de la vie. C'est à ce pouvoir de faire danser les murs de ruines en silence qu'on reconnaît les vrais trompe la mort.
Magnifique Miles Davis signé Thomas Canto.
 (Photo Jérome Coton - Courtesy Magda Danysz)
Découvrez tous les artistes (un par jour) sur la galerie en ligne Lesbains-Paris.com

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