A Bogota, le street art fleurit sur les murs en signe de paix
Des décennies de violence, et maintenant la perspective d'un accord entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), principale guérilla du pays, inspirent les créateurs.
Un "message qui ouvre les esprits"
Ainsi, outre ses fresques aux tonalités comme délavées, DjLu sème sur les murs des pictogrammes en noir et blanc : soldats casqués et bottés dont les mitraillettes crachent des coeurs ou des fleurs, guêpe aux antennes en forme de carabine, pied de maïs dont les épis sont des grenades, etc. "Je veux transmettre un message qui ouvre les esprits", a expliqué à l'AFP, sous son nom d'artiste, ce professeur d'arts plastiques de l'Université catholique de Colombie."Je préfère une paix tordue qu'une guerre parfaite", ajoute DjLu, qui se veut "serviteur de la paix" et a commencé à centrer ses oeuvres sur des thèmes politiques dès 2006, en pleine période à la fois de désarmement des paramilitaires et de vague d'enlèvements par les guérillas. Muni de ses pochoirs et de peinture noire, il parcourt le centre de Bogota et répand de-ci de-là ses dessins stylisés car pour lui il n'y a pas de meilleure vitrine que la rue. "Je suis un être humain et, en tant qu'être humain, je pense que tout conflit est absurde, tant celui qu'il y a dans mon pays, qu'ailleurs dans le monde."
L'esprit de DjLu reflète l'espoir de la majorité des Colombiens de voir enfin leur pays sortir de cette guerre complexe, qui a fait au moins 220.000 morts, six millions de déplacés et des dizaines de milliers de disparus. Depuis le début des négociations de paix, délocalisées à Cuba, le soutien de la population au processus est allé en s'accroissant et a atteint 69% en novembre dernier, selon un sondage de l'institut Gallup.
"Revendiquer la rue comme un lieu d'action libre"
Mais tous les artistes urbains de Bogota ne sont pas pour autant centrés sur le thème de la paix ou du conflit armé qui, depuis plus d'un demi-siècle, a vu s'affronter guérillas d'extrême gauche, paramilitaires d'extrême droite et forces armées, sur fond de violences dues au trafic de drogue. "Le but est (...) de revendiquer la rue comme un lieu d'action libre", pense ainsi Stinkfish, auteur d'immenses portraits qui illustrent la diversité de la population colombienne. Il ironise un peu, estimant que "la paix est à la mode (...) sur la scène touristique qu'est en train de devenir la Colombie"."Le seul fait de peindre dans la rue est un acte politique", argue Toxicómano, connu pour ses visages aux lignes torturées, dont plusieurs de l'écrivain Gabriel Garcia Marquez. Persuadé que la société a besoin que "l'on aborde les thèmes importants", il bombe aussi des slogans engagés, tels "No somos falsos, somos positivos" en référence aux "falsos positivos" (faux positifs), victimes civiles déclarées par des militaires comme guérilleros tués au combat, afin de bénéficier de primes ou de permissions.
Circuits thématiques et touristiques
Le street art connaît un boom depuis déjà plusieurs années en Colombie. Il a même été promu dans certains lieux dédiés de la capitale par Gustavo Petro, l'ancien maire de gauche (2012-2015) et ex guérillero du M-19, dissout en 1990.Des circuits thématiques permettent en outre de parcourir la ville pour découvrir les gigantesques fresques colorées qui longent certaines de ses avenues.
Les thèmes des fresques qui ornent les murs de brique de Bogota sont très variés et s'étendent sur des kilomètres dans divers quartiers de la ville, au point que Christian Petersen y a vu la possibilité de développer une activité touristique. Depuis 2011, ce street artist australien organise des visites dans le centre historique, où il montre des oeuvres exprimant "des opinions qui n'apparaissent pas dans les médias traditionnels". "Les visiteurs, dit-il, aiment cet aspect du tour. Ils apprennent beaucoup sur l'histoire sociopolitique et sur la situation actuelle de la Colombie", dont le président Juan Manuel Santos entend signer la paix avec les Farc d'ici au 23 mars.
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