Les figures étranges du sculpteur américain Charles Ray pour la première fois à Paris, au Centre Pompidou et à la Bourse de Commerce
Charles Ray réalise des figures humaines, jouant avec l'échelle et les matières. Ses sculptures qu'il présente comme "philosophiques" sont à découvrir à Paris, au Centre Pompidou et à la Bourse de Commerce.
L'américain Charles Ray, figure marquante et troublante de la sculpture contemporaine, peu connu du grand public en France, fait l'objet d'une première exposition à Paris, sur deux lieux, le Centre Pompidou et la Bourse de Commerce de François Pinault, où un tiers de sa production est présentée, de ses premières photos de performances dans les années 1970 à ses toutes dernières sculptures de figures à l'aspect hyperréaliste en papier ou en acier peint.
La double exposition a été imaginée en dialogue avec Charles Ray : sur 123 œuvres seulement en presque 50 ans de création, l'artiste né en 1953 à Chicago en présente 38 à Paris, soit presque un tiers de ses sculptures. Elle n'est pas rétrospective, chacun des deux lieux apportant un éclairage particulier.
Cinquante ans de création au Centre Pompidou
Le Centre Pompidou embrasse une période plus longue, on peut y voir des œuvres anciennes, depuis les années 1970, et aussi des sculptures récentes. Les œuvres sont très diverses et l'ensemble nous laisse un peu froid. On est accueilli par une voiture complètement enfoncée, réalisée en fibre de verre peinte de gris d'après une vraie Pontiac accidentée (Unpainted Sculpture, 1997), à côté de deux photos de performance imaginées par Charles Ray quand il avait 20 ans : son corps paraissant inanimé est tenu contre un mur, en hauteur et dans deux postures différentes, par une planche de bois.
Son image et son corps sont un motif fréquent de l'œuvre de Charles Ray. On le verra encore dans un autoportrait photographique convexe, Yes, fait sous LSD en 1990, et dans son pendant, No (1992), plus troublant car quand on s'approche, on s'aperçoit que c'est l'image d'un moulage de son corps.
Ruines industrielles et naturelles
Un de ses mannequins démesurés (agrandi de 30%) un peu kitsch (Fall '91) domine l'ensemble de sa haute stature. Celui-ci est habillé de rose. On en verra un autre à la Bourse de Commerce. Ray a été fasciné par ces mannequins quand il travaillait dans des grands magasins. Quatre petits personnages de taille identique se tiennent par la main, c'est la représentation légèrement dérangeante d'une famille modèle, père, mère, fils et fille (Family Romance, 1993).
Une sorte de "ruine naturelle" fait pendant à la "ruine industrielle" du début (la Pontiac accidentée) : un monumental tronc couché (Hinoki, 2007). Charles Ray avait repéré un chêne mort dans un champ de Californie, raconte le commissaire du Centre Pompidou, Jean-Pierre Criqui. Il a décidé d'en faire une représentation, mais en cyprès japonais. "C'est une image, que vous regardez, ce n'est pas un arbre." Le transport relève de l'exploit, la sculpture a dû être montée dans la salle du Centre Pompidou avec une grue tellement elle est grande.
Sculptures récentes à la Bourse de Commerce
L'ensemble exposé à la Bourse de Commerce est plus cohérent et un peu moins désincarné, essentiellement des figures humaines, sur lesquelles l'artiste s'est concentré ces dernières années. Son souci de faire participer l'espace qui entoure l'œuvre à l'œuvre elle-même, est peut-être aussi mieux mise en valeur. "Tout le propos de Charles Ray, c'est que dans l'espace où il installe la sculpture, la sculpture et l'espace sont une même chose, la sculpture n'est pas un objet, c'est un rapport au temps et à l'autre où chacun peut s'approprier les œuvres", explique Caroline Bourgeois, la commissaire de l'exposition Bourse du Commerce.
Dans la grande rotonde sont installées trois œuvres. Une camionnette qui avait été compressée et qu'il a décompressée à coups de marteau (Unbaled Truck, 2021), un travail qui a duré cinq ans, "une sorte de résurrection" qui exprime "un rapport à la mort, au temps", explique la commissaire. Charles Ray décrit d'ailleurs ses œuvres comme des "sculptures philosophiques". Assis au sol, un petit garçon en acier inoxydable peint en blanc, joue avec une petite voiture (The New Beetle, 2006. En face, un autoportrait de l'artiste (Return to the One, 2020) est assis. Il a été réalisé en papier.
Diversité des matières
Car Charles Ray utilise des matières très diverses. Du papier donc, dans lequel il a fait également un étrange Christ en croix sans croix, qui semble flotter dans la lumière, à l'étage. En fibre de verre peinte, en aluminium ou en acier poli ou peint, comme cette Sleeping Woman massive au sourire serein, d'après une sans-abri dormant sur un banc qui l'a fasciné lors d'une de ses marches urbaines. Et puis le marbre pour Jeff, un SDF assis, les mains sur les genoux, accablé par la vie.
Caroline Bourgeois décrit un travail très long, constitué de multiples étapes : Charles Ray travaille avec des modèles, qu'il scanne avant de travailler à l'argile, puis de faire un modèle en mousse. "Là, il peut passer un an à décider quels aspects il va rendre plus réalistes et quelle est l'intention de la sculpture." Ici, ce sera l'attention de l'enfant à sa petite voiture, là le regard d'un homme pour le burger qu'il est en train de manger. Il peut décider d'agrandir, de réduire, d'alourdir la figure. Et puis, finalement, il choisit la matière.
François Pinault suit son travail depuis vingt ans et le considère comme "un des artistes les plus importants de notre temps". Sa collection comprend 21 œuvres de l'artiste. En 2009, il lui avait commandé une sculpture, Boy With Frog, installée à la proue de la Punta della Dogana, où le milliardaire amateur d'art contemporain a son musée italien. Elle n'a pas plu aux Vénitiens, qui trouvaient qu'elle détonait dans le paysage. Elle a été retirée en 2013 à la demande de la mairie. La figure de 2,30 mètres de haut, un jeune garçon qui regarde une grenouille qu'il tient à bout de bras, est exposée à la Bourse de Commerce.
Charles Ray, une carte blanche en deux expositions
Bourse de Commerce-Pinault Collection
2, rue de Viarmes, 75001 Paris
Tous les jours sauf le mardi, 11h-19h, nocturne jusqu'à 21 le vendredi et les premiers samedis du mois.
14 € / 10 €
Du 16 février au 6 juin 2022
Centre Pompidou
Paris 4e
Tous les jours sauf le mardi, 11h-21h, nocturne le jeudi jusqu'à 23h.
14 € / 11 €
Du 16 février au 20 juin 2022
Les visiteurs qui ont pris un billet pour l'une des expositions peuvent visiter l'autre à tarif réduit.
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