Le jardin rêvé de Dali et Giacometti, histoire d'une collaboration, à la Fondation Giacometti à Paris
Pendant six mois, entre 1931 et 1932, Salvador Dali et Alberto Giacometti ont eu des échanges intenses autour d'un projet de jardin, un projet plus ou moins sérieux qui n'a jamais abouti. La Fondation Giacometti à Paris a mené une enquête sur ce moment où les deux figures du surréalisme ont collaboré et nous en livre le résultat dans une jolie petite exposition.
L'histoire des relations entre Alberto Giacometti (1901-1966) et Charles et Marie-Laure de Noailles est au centre de l'histoire. L'artiste a rencontré le couple de mécènes et amis des surréalistes en 1929, ils lui ont commandé une œuvre pour le jardin de leur Villa d'Hyères. A ce moment-là, Giacometti travaille aussi à un autre projet, qu'il appelle Projet pour une place et dont des éléments vont être repris dans son projet commun avec Salvador Dali (1904-1989).
Pour Dalí, Giacometti est le grand sculpteur surréaliste
Au centre de l'exposition est installée une reconstitution de ce Projet pour une place de Giacometti. Tous les éléments de l'œuvre ont aujourd'hui disparu sauf le cône, qui est exposé à l'entrée, dans l'atelier. On connaît les autres par des maquettes disparues également mais immortalisées par Brassaï, et par une maquette en bois présentée dans l'exposition. Le serpent stylisé, la stèle, le creux, la demi-sphère penchée ont été recréés en polystyrène couvert d'une résine à base de plâtre. Le tout installé sur un socle en bois.
C'est là que Dali entre en jeu. Lui aussi a rencontré les Noailles, qui lui ont acheté plusieurs œuvres. Il découvre vraiment Giacometti quand il voit sa Boule suspendue, une sculpture qui le fascine. "Pour Dali, Giacometti devient le grand sculpteur surréaliste, celui qui est capable de faire ces œuvres très ambivalentes, dans lesquelles il y a une sorte de conglomérat de pulsions", explique Emilie Bouvard, directrice des collections de la Fondation Giacometti et commissaire de l'exposition. "On le voit pour la Boule suspendue, une sorte de rapport sexuel qui ne se fait jamais. Un agglomérat de désirs et aussi de violences qui intéressent beaucoup Dali et qui lui permettent de penser, d'écrire son grand texte sur la sculpture surréaliste."
Une sculpture praticable
Les deux artistes se croisent dans les cercles surréalistes, et à ce moment-là, en 1931, naît un projet commun de jardin, "un jardin qui s'appuie sur les rêves et apte peut-être à susciter des rêves", dit la commissaire. On en a connaissance par une lettre du frère de Giacometti et par deux dessins de Dali (l'un est reproduit agrandi sur un mur de l'exposition) et des croquis dans les carnets de Giacometti. Le projet reprend les éléments du Projet pour une place de Giacometti.
"Dali parlai d'un parc d'attractions pour l'expression des désirs, à prendre au sens très large", raconte Emilie Bouvard. "On peut le penser au sens sexuel, adulte, mais surtout comme des pulsions archaïques, penser à des enfants qui jouent, qui montent sur des toboggans", qui caressent, expérimentent. Les deux artistes envisagent "une sculpture praticable, qui se confond avec la vie". Il y a quelque chose de "révolutionnaire" dans leur projet.
Pendant plusieurs mois, les deux artistes échangent intensément. Les carnets de Giacometti entre 1931 et 1933 témoignent de nombreux rendez-vous. Plus que d'une "amitié", leur relation relève de "l'estime mutuelle", note la commissaire qui parle d'"un rapport intellectuel de stimulation réciproque".
Des images doubles
Deux autres salles "tirent les fils de ce qui relie les deux artistes au moment où ils collaborent au projet de jardin", avec des tableaux de Dali et des sculptures de Giacometti. Perception et dualité ou transformation d'une image selon les points de vue qu'on adopte sont des notions qui les intéressent tous les deux. Caresse de Giacometti est à la fois un ventre caressé par une main et une architecture. Pointe à l'œil, selon la position d'où on la regarde, évoque rapport sexuel violent ou quelque chose de plus rond, plus féminin. Dormeuse, cheval lion invisibles ou La mémoire de la femme enfant de Dali sont pleins d'images qui se métamorphosent, une patte d'animal devient un bras ou une jambe humaine, une crinière évoque une longue chevelure.
Tous deux travaillent autour de la transparence qui ouvre et libère la maison comme l'âme, brise les faux-semblants et accentue la dimension métamorphique des sujets. Le motif du mannequin, récurrent chez les surréalistes, les réunit aussi. Une reconstitution d'un mannequin filiforme à tête de contrebasse et aux mains en fleur et en plume de Giacometti fait écho à un tableau de Dali, Femme à tête de roses, avec ses figures allongées étranges.
Un projet envolé
Le projet de jardin ne s'est finalement jamais réalisé. "On ne sait pas ce qui s'est passé", dit Emilie Bouvard : "Je pense que les Noailles n'avaient pas officiellement commandé le jardin." Il s'agissait peut-être d'un projet en l'air. Et puis entre-temps, les surréalistes se déchirent autour du soutien ou non au Parti communiste. Dali se brouille avec André Breton et refuse en 1932 de se rendre à un festival de musique chez les Noailles où il devait créer une girafe surprise avec Luis Buñuel et Giacometti. Cela pourrait avoir refroidi les Noailles.
Giacometti ne se fâche pas, lui, avec Dali. Il le défend au contraire auprès du groupe surréaliste, au nom de la liberté de création, quand en 1933 il caricature Lénine (L'énigme de Guillaume Tell). Mais à partir de 1935, il y aurait plus eu de rapports entre les deux artistes et ces quelques mois de 1931-1932 auront été une parenthèse.
Alberto Giacometti / Salvador Dalí, Jardins de rêves
Fondation Giacometti, 5 rue Victor Schoelcher, 75014 Paris
Du mardi au dimanche 10h-18h. Le 24 et 31 décembre jusqu'à 16h. Fermé les lundis, le 1er janvier, le 1er mai et le 25 décembre
8,50 € / 3 €
Du 13 décembre 2022 au 9 avril 2023
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.