Kiefer-Rodin : deux géants de l'art dialoguent autour des cathédrales
Après la grande exposition du Centre Pompidou et celle de ses livres à la BNF, Anselm Kiefer est encore à l'honneur à Paris avec cet échange au musée Rodin, pour lequel il a créé des œuvres spécialement en hommage au grand sculpteur, dont il admire la "façon de fragmenter, de reconsidérer ses œuvres, de les réutiliser et le rythme qu'il parvient à créer". Comme d'habitude, les œuvres d'Anselm Kiefer peuvent sembler difficiles à appréhender, parce que pleines de références religieuses, philosophiques, mythologiques, historiques. On peut se laisser aller aussi, tout simplement, à la force et à la beauté des formes et des matières.
Les cathédrales accompagnent toute la vie de Rodin
La rencontre entre Rodin et Anselm Kiefer est née autour d'un projet de réédition d'un livre que Rodin a publié en 1914, "Les Cathédrales de France", raconte la commissaire de l'exposition, Véronique Mattiussi. Cet ouvrage, édité trois ans avant sa mort, est comme un testament artistique. Beaucoup traduit et souvent réédité, il est pourtant méconnu et très peu lu car "très difficile à appréhender, difficile à comprendre parce que Rodin y met des choses très personnelles et il faut très bien connaître sa vie" pour pouvoir le déchiffrer. Ce livre "compte énormément pour Rodin : on sent qu'il a envie de s'imposer en tant qu'intellectuel" et pas seulement en tant qu'artiste."Les cathédrales accompagnent toute la vie et toute la carrière de Rodin. Quand il a besoin de se ressourcer, de se renouveler, il va voir des cathédrales et dessine des architectures", raconte Véronique Mattiussi.
Dans le cadre du centenaire de la mort de Rodin, "l'idée était de faire se rencontrer Rodin avec un autre géant, de notre époque", explique la commissaire. Et Anselm Kiefer s'est imposé : "Ils ont un processus créatif très proche, qui passe par un goût de la recherche, de l'expérimentation. Ils manipulent toutes les matières. Ils sont fascinés par l'accident, ils sont disponibles au hasard, ils ont ce sens de la récupération."
Les moules et abattis en plâtre ont fasciné Anselm Kiefer
Anselm Kiefer a lu "Les Cathédrales de France" et il est allé se plonger dans l'univers de Rodin, à Meudon, où il a découvert les moules en plâtre, ainsi que les abattis, fragments de corps en plâtre qui sont conservés par milliers.L'exposition, "comme un fil à l'envers" selon les mots de Véronique Mattiussi, commence avec les œuvres d'Anselm Kiefer, toutes créées pour l'occasion, dans les salles d'exposition temporaire. À l'envers aussi car on voit d'abord les tableaux monumentaux et puissants que l'artiste allemand installé en France a réalisés en dernier et baptisés "Auguste Rodin : les cathédrales de France" : les grands cadres sont couverts de matière sombre et épaisse, striée par les lignes verticales d'édifices qui évoquent des cathédrales et rappellent les fameuses tours de Kiefer. La peinture est couverte par endroits de plaques de plomb (son matériau de prédilection) qu'il a retournées sur les bords, accentuant le relief.
À côté, il a posé sur des étagères métalliques des moules en plâtre semblables à ceux qui l'ont tant fasciné à Meudon : fermés, laissant imaginer toutes les formes possibles, numérotés, salis, ils sont parfois fêlés, cassés.
Des vitrines qui mélangent les matériaux
Dans la deuxième salle seulement sont exposés ses livres, grandes pièces uniques étalées dans des vitrines, qu'il a créés en premier et dont on avait vu quelques exemplaires à la BNF l'an dernier. D'abord des aquarelles qui associent nu féminin et architecture, sur du carton enduit de plâtre. L'architecture s'efface par la suite, sur des pages à l'aspect marbré (hommage au marbre de Rodin), ne restent que les corps féminins, qui répondent aux aquarelles érotiques de Rodin qu'on verra dans la deuxième partie de l'exposition, à l'étage de l'hôtel Biron.Autre élément récurrent dans l'œuvre d'Anselm Kiefer avec les livres, les vitrines qui mélangent les matériaux. Le plâtre est omniprésent dans celles qu'il a imaginées pour l'exposition : de moules de sculpture semblent jaillir une feuille de plomb ou des végétaux, eux-mêmes couverts de plâtre. Mais ailleurs, c'est depuis une épaisse couche de terre que s'élèvent une étroite échelle métallique et un buisson sec. En dessous reposent des membres en plâtre, comme des ossements. "Un univers très poétique dans lequel Kiefer invite le visiteur à le suivre", pour Véronique Mattiussi.
Dans l'hôtel Biron, "Rodin fait une réponse à Anselm Kiefer", en tout cas à sa fascination et son intérêt. D'étonnants alignements d'abattis montrent comment il a inlassablement façonné des mains, des bras, des jambes, des têtes. Des petits sujets dans des attitudes et des matières différentes (cire, terre, plâtre) montrent comment le père de la sculpture moderne a travaillé toute sa vie sur des séries de figures et leurs variations. Une façon de travailler qui parle à Anselm Kiefer, adepte lui aussi de la série et de la variation.
"Absolution", une œuvre unique et inédite
Au centre, un inédit de Rodin, "Absolution", a été restauré pour l'exposition. Il s'agit d'un assemblage unique de trois figures agrandies par le sculpteur, le Torse d'Ugolin, la Tête de la Martyre et la Terre, unies dans un baiser et couvertes d'un grand tissu. "Une œuvre sans précédent et sans équivalent dans la carrière de Rodin, qu'il n'a jamais exposée", commente Véronique Mattiussi. Le sculpteur a souvent revisité son œuvre en assemblant des pièces, en les fragmentant. Dans cette œuvre "mystérieuse", "dont on ne sait rien", il le fait par le biais de l'agrandissement, précise-t-elle.C'est seulement à la fin du parcours, à l'étage, dans le cabinet d'art graphique, qu'on découvrira "Les cathédrales de France" dans son édition originale. À côté des dessins de Rodin où les architectures se mêlent aux figures féminines, et aussi à celle de son Balzac, qu'il a conçu "comme la cathédrale qui s'impose dans la ville", selon la commissaire.
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