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Germaine Richier ou l'intensité de la sculpture : une grande artiste à redécouvrir au Centre Pompidou

Première femme à exposer de son vivant au Musée national d'art moderne en 1956 et célébrée de son temps dans le monde entier, Germaine Richier n'avait pas eu de grande exposition à Paris depuis des décennies. Ses sculptures sont au Centre Pompidou jusqu'au 12 juin 2023.
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 9min
Les "Sauterelle" de Germaine Richier, exposées au Centre Pompidou dans la rétrospective consacrée à la sculptrice française (3 mars 2023) (VALERIE DUBOIS / HANS LUCAS VIA AFP)

Le Centre Pompidou consacre une rétrospective attendue à Germaine Richier, sculptrice un peu oubliée alors qu'elle était pourtant très reconnue à son époque, en France comme à l'étranger. L'exposition traverse toute son œuvre, intense et extrêmement variée, riche de nombreuses expérimentations, depuis ses premiers bustes jusqu'à ses dernières sculptures colorées. Centrée sur l'humain, elle conviera aussi le monde animal et végétal, créant de fantastiques figures hybrides.

Bien campé sur ses pieds, un bras en avant comme s'il allait s'avancer vers nous, le Loretto de Germaine Richier (1902-1959) nous accueille dans l'exposition. Ce bronze figurant un délicat jeune homme nu est une œuvre de jeunesse de la sculptrice. Remarqué lors de sa première exposition personnelle à Paris en 1936, il est acheté en 1937 par l'Etat français. La reconnaissance va se confirmer dans les années qui suivent. Et pourtant, Germaine Richier reste une artiste un peu confidentielle.

"Cette exposition a l'ambition de replacer Germaine Richier sous la lumière qu'elle mérite. C'est une artiste majeure de l'histoire de la sculpture", souligne Ariane Coulondre, conservatrice au Musée national d'art moderne et commissaire de l'exposition, organisée par le Centre Pompidou en collaboration avec le Musée Fabre de Montpellier où elle sera présentée du 12 juillet au 5 novembre. L'œuvre de Germaine Richier est courte, 25 ans à peine, "mais fulgurante", commente la commissaire. "Elle a été considérée de son vivant comme la plus grande sculptrice de son temps."

Michel Sima, Germaine Richier dans son atelier derrière "L’Ouragane", Paris, vers 1954 Epreuve gelatino-argentique Collection particulière (© Adagp, Paris 2023 © Michel Sima/Bridgeman Images)

La figure humaine au centre

Germaine Richier naît en 1902 à Grans (Bouches-du-Rhône) dans une famille de viticulteurs et de minotiers, et grandit près de Montpellier. Rien ne la destine à l'art. C'est quand elle découvre à 12 ans les sculptures romanes du cloître Saint-Trophime à Arles qu'elle décide qu'elle sera sculptrice. Elle étudie à l'Ecole des Beaux-Arts de Montpellier avant de monter en 1926 à Paris où elle devient l'élève d'Antoine Bourdelle.

Grâce à sa formation académique, "elle maîtrise parfaitement l'anatomie et le visage humain". Dans les premières années, elle fait de nombreux portraits, travaillant toujours d'après des modèles vivants, cherchant toujours à en saisir l'intensité, mettant beaucoup d'expressivité dans son modelage. Elle multiplie bustes, nus, têtes d'amis. La figure humaine va rester au centre de son travail mais elle sera gagnée par un expressionnisme puissant.

Quand la guerre éclate, elle reste à Zurich où elle vit six ans en exil avec son mari, le sculpteur suisse Otto Bänninger. La guerre opère une rupture dans son art. L'humain, qui était au centre de son travail, prend une autre dimension. "Elle va progressivement s'affranchir d'un réalisme très puissant pour aller dépasser les apparences." Les visages se creusent, disparaissent parfois, des trous béants apparaissent dans les crânes, les corps sont écorchés, les yeux hallucinés, les bras filiformes, les surfaces des corps nus torturées, son Homme qui marche de 1945 semble groggy.

La "Mante" de Germaine Richier, exposée au Centre Pompidou dans le cadre de la rétrospective de la sculptrice. (VALERIE DUBOIS / HANS LUCAS VIA AFP)

Figures hybrides

Alors que l'artiste est revenue à Paris, elle imagine L'Orage (1947-1948), une figure masculine massive qui semble ravagée par l'époque. La peau est  rongée, les mains crispées par on ne sait quoi, le visage n'est que béance et le nombril un gouffre. Le photographe Brassaï, qui le découvre dans son atelier avec son pendant féminin, L'Ouragane, créé en 1948-1949, parlera de "deux écorchés vifs, échappés par miracle à on ne sait quelle catastrophe". L'Orage, exposé à la galerie Maeght, fait sensation, et l'Etat l'achète, tout comme un peu plus tard L'Ouragane.

Dans les années 1940, Germaine Richier commence à créer des figures hybrides, nées de son amour de la nature, un sentiment remontant à l'enfance, quand elle faisait l'école buissonnière, courant dans la garrigue, fascinée par les insectes. Elle mêle formes humaines et animales et aussi les matières, utilisant dans ses modelages des morceaux de bois. Sous le torse en bois de L'Homme-forêt, dont on peut voir un rare modelage original, les jambes en terre sont noueuses comme des troncs et ornées de gravures qui rappellent le végétal.

Des femmes-sauterelles (1944-1956) aux étranges jambes fines, surmontées d'une toute petite tête, accroupies et penchées en avant, allongent leurs bras vers nous. Mais la figure la plus fascinante est sa grande Mante (1946) filiforme, dont on ne sait si elle se dresse en position d'attaque ou si elle nous implore.

Pour évoquer la méthode de travail de l'artiste, un ensemble d'objets qui peuplaient l'atelier de Germaine Richier sont présentés dans l'exposition, un bric à brac d'outils, de branches, coquillages, pierres, squelette de chauve-souris, pattes de poulet.

Germaine Richier, "Le Cheval à six têtes, grand", 1955 (© Adagp, Paris 2023 © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Audrey Laurans/Dist. RMN-GP)

Créatures fantastiques

Germaine Richier "rattache l'humain aux forces qui le dépassent", souligne Ariane Coulondre, "son œuvre est toute empreinte d'une relation à la mythologie et aux contes, d'un sentiment des origines". Au-delà donc de la simple hybridation, elle va imaginer des créatures fantastiques, énigmatiques, comme un Cheval à six têtes, une étrange Montagne qui confronte deux figures de plus en plus loin de l'humain.

Le Christ d'Assy, commandé à l'artiste en 1950 pour l'église du Plateau d'Assy en Haute-Savoie, a été prêté exceptionnellement pour l'exposition. La figure du Christ, extrêmement dépouillée et fusionnant avec le bois de la Croix, fit scandale et fut retiré de l'église pour n'y retourner qu'en 1969.

Dans les années 1950, Germaine Richier se met à tendre des fils qui s'ajoutent à ses sculptures, comme cette géniale Fourmi de 1953 assise qui semble tisser une toile. Des fils qui évoquent le fil à plomb qu'elle utilise pour vérifier la verticalité de ses sculptures et qui en prolongent le volume. Le Griffu (1952), figure fantastique inspirée d'un personnage du folklore provençal, accroché au plafond et tendu de fils, flotte étrangement au plafond et projette son ombre sur le mur, se démultipliant ainsi dans l'espace.

Germaine Richier, "L’Echiquier, grand", Plâtre original peint, 1959 (© Adagp, Paris 2023 Photo © Tate, Londres, Dist. RMN-Grand Palais/Tate photography)

La joie de la couleur

Les travaux des dernières années avant sa disparition prématurée à 56 ans montrent l'extrême diversité de ses expérimentations. Germaine Richier se met à travailler le plomb, qu'elle fond elle-même dans son atelier, y ajoutant des verres colorés. "La couleur devient essentielle pour elle dans les années 1950. Elle lui permet d'apporter de la joie et de la fantaisie à ses œuvres. Il y a chez Richier à la fois du mystère, de l'ombre, mais aussi une joie, un plaisir à travailler", explique Ariane Coulondre. Dans un dernier entretien, un mois avant sa mort, l'artiste déclare : "Le but de la sculpture, c'est d'abord la joie de celui qui la fait. On doit y sentir sa main, sa passion. La sculpture est grave, la couleur est gaie. J'ai envie que mes statues soient gaies, actives."

Ses amis peintres, Zao Wou-Ki ou Maria Elena Vieira da Silva, réalisent pour elle de très beaux décors colorés. A partir de 1956, alors qu'elle est gravement malade, elle ajoute elle-même de la peinture ou de l'émail sur de petites figures en bronze. La Tate de Londres a prêté pour l'exposition sa dernière grande œuvre, les cinq pièces de son Echiquier, figures fantastiques en plâtre peint, perchées sur de hauts socles.

Germaine Richier n'avait pas de marchand. Aimé Maeght, l'a exposée en 1948, mais quand il propose à Giacometti de signer un contrat, celui-ci lui pose une condition : ce sera lui ou Richier. Et Maeght choisit Giacometti. Ses œuvres sont présentes dans les collections "mais c'est comme si elle était là sans qu'on la regarde", remarque Ariane Coulondre.

Elle a connu le succès en Suisse, en Suède, en Italie, en Allemagne, au Royaume-Uni notamment. Elle a participé à deux expositions au MoMA de New York en 1955 et en 1959. Elle a été la première femme exposée de son vivant au Musée national d'art moderne, en 1956, la même année que Matisse. Elle n'avait pas eu de grande exposition à Paris depuis.  "Le fait qu'elle soit difficile à classer fait qu'on ne lui a pas toujours donné sa place dans l'histoire de l'art," tente d'expliquer la commissaire. Une bonne raison d'aller voir cette rétrospective bienvenue.

Germaine Richier
Centre Pompidou, Paris 4e
Tous les jours sauf le mardi et le 1er mai, 11h-21h, nocturne le jeudi jusqu'à 23h
Tarifs : 17 € / 14 €
Du 1er mars au 12 juin 2023

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