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États-Unis : un Napoléon signé Rodin sort de l'oubli

Un buste de Napoléon 1er sculpté par Auguste Rodin a sombré dans l'oubli d'une bourgade américaine de l'Est des États-Unis, avant d'être retrouvé par hasard. Une longue enquête a permis d'éclaircir l'odyssée de l'œuvre.
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
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Le Napoléon de Rodin à Madison, en octobre 2017
 (Bob Karp / AP / Sipa)

Paradoxalement, la statue de marbre blanc était bien visible, dans un coin de la salle du conseil municipal de Madison, faubourg de 16.000 âmes de l'État du New Jersey. C'est ainsi que pendant 80 ans, l'œuvre posée sur un piédestal s'est fondue dans la décoration intérieure de ce bâtiment de banlieue. Dans l'affluence des grosses séances de conseil, des auditeurs s'appuyaient négligemment dessus...

"A. Rodin"

En 2014, une étudiante de 22 ans est recrutée pour dresser l'inventaire des objets de l'édifice, dont cette statue d'un homme drapé d'une cape évoquant un imperator romain. Mallory Mortillaro remarque une signature peu apparente à l'arrière de l'ouvrage: "A. Rodin". Obsédée par cette trouvaille, elle enquête plusieurs mois, sondant experts et archives.

En fin de compte, on l'aiguille vers le Comité Auguste Rodin, l'organisme parisien qui fait autorité sur le père de la sculpture moderne. Et là, grosse surprise... Dans le fonds de documents, une photographie montre Rodin posant avec ce buste de Napoléon, que l'on croyait perdu.

Tous les éléments d'expertise confirment l'authenticité du buste

En septembre 2015, l'expert Jérôme Le Blay, auteur du catalogue raisonné de Rodin, fait donc le voyage à Madison. Quelques secondes lui suffisent pour être convaincu de l'authenticité de la pièce. En plus de la photo centenaire, tous les éléments d'expertise le confirment: "La pierre correspond exactement aux pierres qu'utilisait Rodin à l'époque", constate Jérôme Le Blay.

Le spécialiste est conforté par des traces de pantographe, l'outil qui permettait au sculpteur de reporter sur le marbre des repères pris sur l'étude en plâtre.

Cependant, l'identification de la statue, d'une valeur comprise entre 4 et 12 millions de dollars, plonge dans l'inquiétude la Fondation Hartley Dodge, qui gère l'édifice. "Il n'y avait pas un seul document mentionnant son entrée dans le bâtiment", souligne à CBS Nicolas Platt, le président de l'institution. Pour des raisons d'assurance et de sécurité, la direction cache donc pendant deux ans la paternité de l'œuvre, avant d'annoncer la semaine dernière son transfert vers le prestigieux Philadelphia Museum of Art.

À l'origine, une commande d'un couple de mécènes

Ce délai a permis d'éclaircir l'odyssée du buste. Le marbre est commandé à l'origine en 1904 par la femme de John Woodruff Simpson, un éminent avocat de New York. Le couple compte parmi les premiers mécènes à avoir exposé Rodin aux États-Unis. Mais Mme Simpson ne donne pas suite. "Les marbres mettaient en général deux/trois ans à être terminés dans l'atelier de Rodin, donc il est possible qu'entre la commande et 1907/1908 cette dame se soit un peu découragée", avance Jérôme Le Blay.

C'est finalement Thomas Fortune Ryan, un riche ami de la collectionneuse, qui achète l'œuvre lors d'un passage à Meudon en 1909. Ryan décédé, on perd trace du buste après une vente aux enchères liquidant sa succession en 1933. En fait, un marchand acquiert la statue pour le compte de Geraldine Rockefeller Dodge, héritière issue de la célèbre famille d'industriels et de banquiers.

Cette héritière Rockfeller fait construire le Hartley Dodge Memorial, l'actuel édifice municipal, en hommage à son fils décédé en 1930 dans un accident de la route en France. Elle agrémente l'intérieur d'œuvres puisées dans sa collection. "Geraldine Rockefeller venait régulièrement apporter des pièces, un peu comme vous décoreriez votre maison de campagne avec des pièces de votre maison principale", relate Jérôme Le Blay. L'absence de registre favorise ensuite l'oubli...

Rodin se serait inspiré d'un masque mortuaire de l'empereur

Sur le plan artistique, on pense que Rodin a réalisé ce buste en s'inspirant d'un masque mortuaire de Napoléon qu'il avait acquis, et en travaillant avec un sosie de l'empereur, comme il l'a fait pour représenter Balzac. Dans les études en plâtre conservées au musée Rodin, Napoléon a "un visage un peu plus guerrier", constate l'auteur du catalogue. "Dans le marbre final, il a un côté beaucoup plus interrogateur, beaucoup plus évasif".

"Ce n'est plus Bonaparte le jeune général victorieux en pleine ascension et ce n'est pas encore l'empereur des Français qui va à la conquête de l'Europe en écrasant tout sur son passage. Il est entre les deux", note-t-il. La statue est d'ailleurs gravée de l'inscription suivante : "Enveloppé dans son rêve."

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