"La Collaboration" : coup de projecteur sur les années noires aux Archives Nationales
Patiemment, les lettres ont été découpées dans des journaux et collées sur un rectangle de papier. Le tampon rouge des renseignements généraux indique que la pièce a dûment été enregistrée le 27 octobre 1942. "Madame Lancelet gaulliste proche parent de juifs éberge (sic) depuis plus d'un an deux Nippons sans déclaration alors que les commerçants ont tant d'impôts. 17, rue Louis David".
Une lettre de dénonciation, comme des milliers d'autres, sinistre, imbibée de jalousie et de cruauté. Ces années-là, on a beaucoup écrit. Des lettres comme celle-ci, on en trouve quelques-unes dans la remarquable exposition proposée par les Archives Nationales. Des menaces, aussi, comme celles ci-dessous, adressées la même année avec régularité à Georges Koiranski.
Peut-on encore surprendre, ou tout simplement apprendre sur un sujet aussi largement étudié ? "Il y a encore énormément d'archives à découvrir, indique Thomas Fontaine, l'un des deux commissaires de l'exposition. Sur beaucoup d'événements, nous avons trouvé des documents que l'on ne connaissait pas".
"Tous collabos, les Français ? Non, certainement pas !" s'exclame Denis Peschanski, directeur de recherche au CNRS et co-commissaire de l'exposition. "Beaucoup de Français rejetaient la Collaboration… mais elle fut un phénomène social d'une ampleur importante".
Pour rendre cette exposition la plus accessible et cohérente possible, les Archives Nationales l'ont déclinée autour des trois principaux groupes de protagonistes de la Collaboration : le régime de Vichy, les Allemands et les collaborationnistes parisiens, les plus extrémistes, qui militaient pour un régime fasciste.
C'est la force de cette exposition : elle aborde des aspects très différents. Les plus spectaculaires, les plus violents : les dénonciations, le zèle de l'administration de Vichy, les consignes de Bousquet à ses Préfets, les spoliations…
… mais aussi la vie quotidienne, les aspects économiques, comme l'énorme business développé par certaines entreprises avec l'occupant. Les profiteurs, les opportunistes, dont Joseph Joinici fut la parfaite incarnation. Les Nazis voulaient arrêter le "juif Joinici". Le reste de l'armée allemande choisit de le protéger et de profiter des talents de ce chiffonnier-ferrailleur, capable de fournir 500 tonnes de métaux chaque mois.
Côté culture, une partie non négligeable du monde des lettres s'est largement ralliée aux thèses allemandes. Dans ce courrier, Louis-Ferdinand Céline félicite chaleureusement son confrère Lucien Rebatet, qui vient de publier "Les Décombres", dans lequel il apporte son soutien fervent au national socialisme et laisse libre-court à sa haine des Juifs "bêtes malfaisantes et impures". "Je me suis jeté sur votre vitriolique petit livre" s'enflamme Céline.
Au total, ces 300 documents sélectionnés parmi des centaines de milliers, issus d'institutions françaises et européennes ou de collections privées, éclairent avec acuité et brutalité l'une des pages les plus sombres de l'histoire de ce pays. Passionnant et glaçant, à la fois.
"La Collaboration (1940-1945)" aux Archives Nationales
Hôtel de Soubise 60 rue des Francs-Bourgeois 75003 Paris
Du 26 novembre 2014 au 2 mars 2015
Du lundi au vendredi de 10h à 17h30
Samedi et dimanche de 14h à 17h30
Fermé le mardi et jours fériés.
Tarifs : entrée 6€, tarif réduit 4€.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.