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"1 et millions", individualité et universalité par Karine Saporta

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"1 et millions", individualité et universalité par Karine Saporta
 (Culturebox)

Karine Saporta est chorégraphe. Elle fait partie des plus brillants artistes contemporains français de sa discipline. Installée avec sa compagnie à Saint-Denis, elle est allée au printemps rencontrer les habitants de la Goutte d'or dans le XVIIIème arrondissement de la capitale avec son oeil d'artiste, et son autre passion, la photographie. Le fruit de sa réflexion est exposé à la   Cité de l'Immigration jusqu'au 6 septembre 2009.

Etrange pays que le nôtre, brassé de cultures, et pourtant réticent à en reconnaitre la richesse et l'histoire. La Cité nationale de l'histoire de l'immigration a mis une vingtaine d'années à ouvrir ses portes, freinée par des politiques craintives et par des non-dits, quand tant d'autres pays possédaient déjà de tels centres d'histoire ( Ellis Island aux Etats-Unis). Quand elle a ouvert ses portes, en 2007, c'est presque en catimini, sans inauguration officielle. Qu'importe, le lieu désormais existe, et présente trois volets en exposition permanente : l'immigré, la France en tant que terre d'immigration, et l'identité française telle qu'elle est façonnée par la diversité. Nombre d'artistes français on évoqué ces thèmes avec bien plus de simplicité et de profondeurs que certains politiques. Ainsi Jacques Prévert dans les années 50, avec son poème Etranges étrangers :

Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
hommes de pays loin
cobayes des colonies
doux petits musiciens
soleils adolescents de la porte d'Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d'Aubervilliers
brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
embauchés débauchés
manoeuvres désoeuvrés
Polaks du Marais du Temple des Rosiers
Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone
pêcheurs des Baléares ou du cap Finistère
rescapés de Franco
et déportés de France et de Navarre
pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
la liberté des autres
Esclaves noirs de Fréjus
tiraillés et parqués
au bord d'une petite mer
où peu vous vous baignez
Esclaves noirs de Fréjus
qui évoquez chaque soir
dans les locaux disciplinaires
avec une vieille boite de cigares
et quelques bouts de fil de fer
tous les échos de vos villages
tous les oiseaux de vos forêts
et ne venez dans la capitale
que pour fêter au pas cadencé
la prise de la Bastille le quatorze juillet
Enfants du Sénégal
dépatriés expatriés et naturalisés
Enfants indochinois
jongleurs aux innocents couteaux
qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
de jolis dragons d'or faits de papier plié
Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
qui dormez aujourd'hui de retour au pays
le visage dans la terre
et des hommes incendiaires labourant vos rizières
On vous a renvoyé
la monnaie de vos papiers dorés
on vous a retourné
vos petits couteaux dans le dos
étranges étrangers
Vous êtes de la ville
vous êtes de sa vie
même si mal en vivez
même si vous en mourez.

Jacques Prévert

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