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Sabine Weiss, photographe de l'humain, au Château de Tours

D'une curiosité infatigable, pendant 70 ans, Sabine Weiss a arpenté Paris, New York et le monde avec ses appareils photo, plaçant toujours l'humain au centre de son travail. Les gens de la rue, les gitans, les enfants reviennent souvent dans ses travaux personnels. Le Jeu de Paume lui rend hommage avec une exposition au château de Tours (jusqu'au 30 octobre, catalogue publié chez La Martinière).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Sabine Weiss - A gauche, Jeune mineur, Lens, 1955 - A droite, Enfant perdu dans un grand magasin, New York, 1955
 (Sabine Weiss)

Agée aujourd'hui de 91 ans, Sabine Weiss a raccroché ses appareils photo et se consacre aux archives qu'elle a accumulées pendant sa longue carrière, dans son atelier près de la porte d'Auteuil, où elle s'est installée avec son mari le peintre américain Hugh Weiss en 1949 et où elle vit toujours.
 
Née Sabine Weber en Suisse en 1924, elle prend ses première photos à onze ans, des images de ses proches et du jardin familial qu'elle tire elle-même et qu'elle colle dans un album. A 17 ans, elle décide qu'elle sera photographe et se forme pendant quatre ans dans le studio de Paul Boissonas à Genève. Elle y apprend tous les détails du métier avant de s'installer à son compte.
 
Arrivée à Paris en 1946 pour oublier une peine de cœur, elle est d'abord l'assistante de Willy Mayward, un photographe de mode et de portrait, avant de se lancer comme photographe indépendante. A partir de là elle va travailler abondamment pour une quantité de magazines : elle arrive au bon moment, celui où la presse illustrée est en plein développement.

Sabine Weiss, Enfants prenant de l'eau à la fontaine, rue des Terres-au-Curé, Paris, 1954
 (Sabine Weiss)


Une vie faite de "hasards heureux"

Celle qui dit que sa vie est "faite de rencontres et de hasards heureux" fait la connaissance de Robert Doisneau chez Vogue un jour où elle y a rendez-vous. Séduit par ses photos, il la soutient auprès du magazine de mode. Et juste après, elle reçoit une lettre de l'agence Rapho qui souhaite voir ses images, sur la recommandation du même Doisneau. Elle intègre la célèbre agence de Brassaï, Willy Ronis, Edouard Boubat.
 
Rapho travaille notamment pour des titres de la presse catholique et de la presse communiste, qui s'intéressent à la vie des gens ordinaires. Sabine Weiss se préoccupe des autres, elle est donc en phase avec ces milieux qui valorisent l'humain.
 
Pour cette raison, on l'a classée dans le courant de la photographie humaniste de l'après-guerre, ce qui ne lui plait pas car elle se considère comme une photographe "complète". En effet, à côté des reportages, elle fait, avec enthousiasme, beaucoup de publicité, des portraits de célébrités, de la mode.
Sabine Weiss, Françoise Sagan chez elles, lors de la sortie de son premier roman, "Bonjour Tristesse", Paris, 1954
 (Sabine Weiss)

Peu importe la netteté, c'est l'expression du sentiment qui compte

En marge des commandes, elle se rend sur un terrain vague près de chez elle, porte de Saint-Cloud, ou dans les rues de Paris, où elle photographie les enfants qui jouent, les gens aux fenêtres, les clochards. Elle parcourt la capitale de nuit, avec son mari, en captant les lumières et les ambiances.
 
"Il y a des gens qui ne vous voient pas, ils sont tellement malheureux", dit-elle dans un petit film sur le site du Jeu de Paume. Mais bien souvent elle saisit des sourires et des regards. Comme celui d'une très jolie petite gitane aux Saintes-Maries-de-la-Mer ou ceux des  hommes dans un café à Athènes. Ceux-là, elle a l'impression de les faire exister, de leur faire du bien.
 
Dans ses travaux personnels, elle ne se soucie pas de la netteté : "Une photo floue, si elle dit vraiment le sentiment de la personne que j'ai photographiée, c'est le plus important", dit-elle.
Sabine Weiss, Village moderne de pêcheurs, Olhão, Algarve, Portugal, 1954
 (Sabine Weiss)


Un regard amusé sur New York

On connaît bien ses photos de Paris, moins celles de New York. Car la rue, Sabine Weiss l'y a aussi photographiée, portant sur la grande ville américaine un regard amusé. Elle nous en montre des ouvriers assis par terre qui regardent passer une fille, une gréviste ou une femme en fourrure, les enfants qui jouent, toujours, ou des situations rigolotes : un homme qui tire des portants pleins de robes, une toute petite fille perdue qui retrouve sa mère au guichet des objets trouvés ("lost and found") d'un grand magasin.
 
D'ailleurs, dès les années 1950 elle est reconnue aux Etats-Unis : elle est choisie par Edward Steichen, le directeur du département de la photographie du MoMA de New York, pour figurer avec sept de ses photos dans l'exposition Post-War European Photography à côté de Robert Frank, Brassaï ou Bill Brandt. Elle a aussi trois photos dans l'exposition historique "The Family of Man".
 
Si le courant humaniste n'est plus en vogue à partir des années 1960, Sabine Weiss continue à travailler, en couleur désormais, pour la mode, la publicité ou diverses institutions. Elle met un peu de côté son œuvre antérieure : "Je ne montrais mes photos en noir et blanc des années 1950 à personne. Elles étaient mon domaine secret, mon bas de laine spirituel que je gardais en réserve, ma mémoire intime."
Sabine Weiss, Anna Karina pour la marque Korrigan, 1958
 (Sabine Weiss)


De Dunkerque à l'Inde

Bénéficiant d'un regain d'intérêt à la fin des années 1970, elle se penche alors sur ses archives et en expose une sélection à plusieurs reprises. Ca l'encourage à reprendre son travail en noir et blanc, elle voyage à travers le monde, du carnaval de Dunkerque à l'Inde, s'intéressant toujours aux gens, de la gardienne de toilettes à Roissy aux moines du monastère des chats sauteurs en Birmanie ou aux pèlerins de Fatima (Portugal).
 
C'est un aperçu de près de 70 ans de travail de cette femme modeste (elle refuse d'être qualifiée d'artiste) et positive, toujours indépendante, que présentent le Jeu de Paume au château de Tours et les éditions de La Martinière. Une centaine d'images et documents, depuis ses premières photos de famille en 1935 et ses portraits joyeux des années 1950 qui traduisent l'enthousiasme de l'après-guerre jusqu'à ceux, plus récents et plus tristes, où on peut imaginer les effets des années de crise.
 
Sabine Weiss, Textes de Virginie Chardin et préface de Marta Gili, éditions La Martinière (192 pages, 35€)
Sabine Weiss, le catalogue de l'exposition
 (Sabine Weiss - Editions La Martinière)

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