Rencontres d'Arles : avec les collections de la Croix-Rouge, la photographie au secours d'un monde blessé
Parmi les 40 expositions photographiques et les 60 artistes que présentent les Rencontres de la photographies d'Arles, tout l'été, une exposition provoque un choc. Dans les salles de l'Archeveché sont dévoilées 160 ans de photographies issues des collections de la Croix-Rouge. Des images qui nous racontent le monde blessé et ceux qui lui portent secours.
600 photographies : des femmes et des hommes en danger. Des blessés, des réfugiés, des enfants anéantis par le conflit armé qui brise leurs existences. Ces clichés sont accrochés aux cimaises des salles de l'Archevêché dans le cadre des Rencontres de la photographie d'Arles. L'exposition est un portrait d'un siècle et demi de guerres et d'atrocités, mais aussi la marque d'une lueur d'espoir : d'autres femmes et hommes tentent de porter secours à ces personnes en détresse. C'est Un monde à guérir.
Porter secours au risque de sa vie
Une photographie dans le coin droit de la deuxième salle d'exposition : une croix rouge peinte sur une tôle, on imagine une ambulance. La carrosserie est criblée de trous de balles, sûrement suite à une attaque armée. Cette image résume l'exposition Un monde à guérir. Le danger, les risques pris par ceux qui ont décidé en toute neutralité de porter secours aux victimes de guerre sautent aux yeux du visiteur. Une image, une illustration.
La Croix-Rouge et le Croissant-Rouge possèdent un million de clichés de ce type. Car depuis leurs créations, des hommes d'image ont suivi les hommes de soin. Pour témoigner, pour "montrer et mobiliser", comme dit le sous-titre de l'exposition.
L'humanitaire est né d'un traumatisme. Henry Dunant à Castiglione delle Stiviere, en Italie, découvre le champ de guerre de Solferino en 1859. De cette vision d'horreur, il inventera la Croix-Rouge. Nous datons à vingt ans plus tôt, précisément, la naissance de la photographie, le 18 août 1839. Les deux évènements vont changer la face de l'Histoire. Depuis, les conflits armés se sont répétés et à chaque fois humanitaire et photographie sont partis, non pas au combat, mais au secours.
La photo humanitaire n'est pas la photo de guerre
Si chaque jour nos télévisions et nos médias nous abreuvent d'images de guerre, la photo humanitaire apporte un autre regard sur les conflits armés. Pas de sensationnalisme, mais des messages et une éthique. La photographie humanitaire se caractérise par les mêmes mots que l'action humanitaire : neutralité, respect des victimes et consentement des photographiés. Et cela change du tout au tout, à l'émotion que provoquent ces images.
Pascal Hufschmid, commissaire de l'expositon, nous explique ce que nous pourrions nommer le label photo humanitaire : "Pour une photo de qualité, il faut être très clair, il faut que l'on puisse tout de suite identifier l'action d'aide, le geste de soin. Il y a une caractéristique dans le million de photos de nos collections, la caméra ne regarde pas la cause, ce n'est pas une posture photo-journalistique. C'est au contraire", ajoute t-il, "observer la situation dans un souci de neutralité, d'impartialité, et surtout garantir la dignité des personnes représentées, il s'agit de respecter le principe d'humanité qui est au centre de ces actions."
Les enfants, outil de communication
Si l'humanitaire a tenu à montrer, c'est pour alerter et collecter des dons. L'aspect publicitaire n'est pas indigne de ce travail. Dès les débuts du 19e siècle, l'intention de communication est présente pour susciter l'émotion qui entraînera l'empathie et le chèque qui suivra. L'exposition est aussi l'histoire de ce rapport à l'image et au pathos.
Les images du 19e sont plus tragiques, plus frontales. Celles d’aujourd’hui sont plus policées. Le droit à l’image et le consentement n’ont pas toujours été déterminants dans la prise de vue. Les codes de communication aussi ont changé et ils évoluent avec le temps. Par exemple, la place de l'enfant. Pascal Hufschmid a fouillé les archives pour comprendre cette évolution. Pour lui, elle date d'un siècle lors de la grande famine en Russie : "On commence à isoler l’enfant dans l’image, alors qu’auparavant ils étaient montrés en famille. Ainsi on leur fait porter le rôle de martyr, de symbole ultime de l’innocence et c’est une manière très efficace de rallier les donateurs." Aujourd'hui encore, l'émotion du regard perdu de l'enfance sert de message. Il est plus tendre que dramatique.
Des amateurs et des pros
Sur les terrains de guerre, les humanitaires réalisent leurs images. La proximité et la bienveillance sont les qualités des yeux de l'amateur. Mais, depuis un siècle et demi, des grands noms de la photographie ont accompagné les missions. Ils ont imposé un regard. Les Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, Lee Miller, Sebastião Salgado et James Nachtwey signent les plus grands clichés de cette exposition. La force de leurs regards, leurs choix des angles et du cadrage, la simplicité du message touchent droit au but.
Elisa Ruska, conservatrice au Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge écrit dans l'imposant catalogue de l'exposition que "le style humanitaire est bien sûr lié au style documentaire". Un exemple, celui de Jean Mohr, photographe suisse. En 1967, il est à Ramallah sur le conflit israélo-arabe, quelques jours après la guerre de Six Jours. Et il immortalise un officier israélien consultant une proposition du CICR, sous l’œil d'un garçon palestinien. En un cliché et avec ces deux regards interrogatifs et inquiets sont résumés le conflit et l'aide apportée par la Croix-Rouge.
De l'album de famille à l'"insta" en Syrie
Continuons le cours de l'Histoire. Dans la dernière salle de l'expositon, un mur d'images. Rien de spectaculaire. Ce sont des photos intimes. Elles n'ont pas été réalisés par des professionnels, mais elles appartiennent à des exilés. Ils s'appellent Majd Abazidn, Ibrahim Al Fawal ou Amir Idriss. Ce sont des femmes et des hommes qui ont fui la Syrie en guerre en 1990 et 2019. Des images quotidiennes, banales comme celles que nous postons sur Instagram dans nos téléphones ou nos albums de famille. Des images qu'ils ont sauvées de la tragédie.
Le sourire d'une fiancée. Des fêtes entre copains. Le petit frère ou la cousine en vacances. Des images confiées à Alexis Cordesse, photographe, qui a mené ce projet. Pendant 3 ans, en France, en Allemagne, à la frontière syrienne, il est allé à la rencontre de ces réfugiés. Alexis Cordesse nous confie le sens de sa démarche. Lui, le photographe professionnel, pensait que face aux flots d'images d'information des bâtiments détruits, des villes dévastées et en ruine, une autre proposition était possible. Complémentaire. "Ce sont des événements du quotidien, des anniversaires, des mariages. C’est la vie qui a disparu que l’on a pu préserver (…) Il n’y a aucune trace de la guerre et si un sentiment de tristesse et de nostalgie ressort à leur vision, c’est l’effet de hors champs. Quand on sait d’où elles viennent, elles prennent une charge émotionnelle"
Les Rencontres de la photographie d'Arles, jusqu'au 25 septembre 2022
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