Paul Strand et Cartier-Bresson : deux visions du Mexique exposées à Paris
Paul Strand (1890-1976) est considéré comme un des pionniers de la photographie moderne : il est un des premiers à avoir abandonné les effets esthétisants du pictorialisme pour pratiquer ce qu’il considérait comme une photographie directe et objective (« straight photography »). Il a étudié avec Lewis Hine et été l’ami d’Alfred Stieglitz.
Il a allié préoccupation sociale et documentaire et souci graphique dans des images d’une grande force.
Paul Strand et Henri Cartier-Bresson se sont succédé au Mexique
A l’automne 1932, Paul Strand quittait les Etats-Unis pour le Mexique, un pays qu’il imaginait « comme quelque chose de mystérieux, sombre et dangereux, inhospitalier ». Fasciné par le pays, il y reste deux ans, enquêtant sur l’art et l’artisanat. Impressionné par la piété des Mexicains, il photographie les gens et les sculptures religieuses.
Au moment où Paul Strand rentre à New York, Henri Cartier-Bresson, qui est un jeune photographe français de 27 ans, débarque au Mexique. Pendant plus d’un an il traîne à Mexico dans le quartier des brigands, puis à Juchitan, petite ville à la frontière du Chiapas, photographiant les enfants, les femmes, les cimetières.
La fondation dédiée à Henri Cartier-Bresson, devenu depuis un des photographes les plus célèbres du XXe siècle, a décidé de confronter les images mexicaines des deux artistes. C’est un regard très différent qu’ils ont porté sur le pays. On se demande même parfois s’ils ont vu le même.
L'"instant décisif" contre "une autre sorte de moment"
Tous deux sont séduits par le pays et la violence de ses paysages, tous deux sont touchés par la situation sociale et la pauvreté de ses habitants.
Pourtant les images de Cartier-Bresson sont saisies dans la fluidité : ses enfants sont misérables mais ils jouent, ils rient, ses jeunes filles sourient, les yeux pétillent, jusqu’aux prostituées du quartier chaud de Mexico.
Au contraire, les Mexicains de Paul Strand semblent figés, saisis par la fatalité : leurs visages sont sombres, voire durs, même ceux des enfants.
Les deux photographes, qui se sont sans doute croisés à New York après leurs séjours mexicains, ont une vision différente de l’»instant photographique ». Henri Cartier-Bresson est le photographe de « l’instant décisif ». Paul Strand envisage la photo dans un mouvement plus lent : « Beaucoup d’images de Cartier-Bresson sont vraiment des captures de moments exceptionnels (…). Mais chez moi, c’est une autre sorte de moment ». Ce moment, pour Strand, c’est « le moment où j’ai vu cette scène et où j’ai décidé de la photographier ».
Les deux photographes occupent chacun un étage de la fondation. Les images de Cartier-Bresson, on les voit ou revoit avec plaisir mais elles n'ont rien de rare. Elles ont fait l’objet d’un livre il y a quelques années ("Les Carnets mexicains d’Henri Cartier-Bresson", éditions Hazan).
Le portfolio "Photographs of Mexico" exposé dans sa totalité
L’intérêt majeur de cette exposition est de voir les photos de Paul Strand. Le photographe, fuyant le maccarthysme, s’est installé en France dans les années 1950 et y a vécu jusqu’à sa mort. Pourtant, il est peu exposé.
D’une grande rigueur formelle, ses images du Mexique jouent avec les ombres et la lumière violente qui les baigne. Un enfant mi-ombre mi-lumière, est immortalisé devant un âne. La célèbre « femme d’Alvarado » est un jeu d’ombres provoqué par un foulard. Les paysages aux ciels épais sont aussi d’une grande force.
En 1940, Paul Strand publiait « Photographs of Mexico », en 250 exemplaires. La fondation Cartier-Bresson a pu se faire prêter les tirages de la totalité de ces 20 images, ceux de la collection de l’IVAM à Valencia. Mélange de paysages et d’églises au crépuscule, de portraits graves et de sculptures religieuses baroques, cet ensemble résume bien le travail de Paul Strand au Mexique. Il est exposé au cœur d’une cinquantaine de photos de l’artiste américain.
Henri Cartier-Bresson, Paul Strand / Mexique 1932-1934, Fondation Henri Cartier-Bresson, 2 impasse Lebouis, 75014 Paris
tous les jours sauf lundi et jours fériés du 11 janvier au 22 avril 2012
du mardi au dimanche de 13h à 18h30 - nocturne le mercredi jusqu'à 20h30
tarifs: 6€ / 4€, gratuit le mercredi de 18h30 à 20h30
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