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La guerre, les femmes et l'Iran : rencontre avec la photographe Shadi Ghadirian

La bibliothèque municipale de Lyon présente jusqu’au 9 janvier 2016, l’œuvre de la photographe iranienne Shadi Ghadirian. Huit séries de photos saisissantes qui parlent des femmes, de la guerre, de la censure, de l’Iran et de la liberté. A l’occasion de cette première rétrospective en France nous avons pu rencontrer cette artiste de renommée internationale.
Article rédigé par Odile Morain
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Rétrospective Shadi Ghadirian à la bibliothèque municipale de Lyon, ici la série Nil, Nil en 2008
 (Shadi Ghadirian / courtesy Silk Road Gallery)

Lorsqu’elle prend la parole devant les très nombreux visiteurs venus contempler son œuvre à la bibliothèque de la Part-Dieu (Lyon), Shadi Ghadirian ne dit que quelques phrases. « Je suis plus douée pour m’exprimer avec mes images qu’avec des mots », avoue-t-elle très modestement.

La série "Like everyday" de Shadi Ghadirian 
 (Odile Morain)
Connue dans le monde entier pour ses clichés représentant les femmes iraniennes, la photographe a accepté de nous commenter son travail lors du vernissage de la première rétrospective de ses œuvres en France.

Créer c’est résister ?

Lorsque que l’on découvre les œuvres de Shadi Ghadirian présentées dans le grand hall d’exposition de la bibliothèque de Lyon, l’émotion qui imprègne le parcours est croissante. Les huit séries exposées suivent chronologiquement le travail de l’artiste et plongent le public dans les codes de la société persane au fil des années 90. On découvre alors les thèmes qui mobilisent la photographe depuis son plus jeune âge. La guerre, les femmes, la liberté d’expression imprègnent son acte de création. La question qui s'impose alors est cette phrase du célèbre penseur Gilles Deleuze, "Créer c’est Résister ?".
Shadi Ghadirian : « Je sais avec certitude que lorsque je crée, il ne s’agit pas uniquement d’une œuvre qui aurait une beauté d’un point de vue esthétique, il faut absolument qu’elle ait un message important ».
En 2004, la série "West by East caricature la censure du pouvoir iranien qui couvrait d'encre les images de femmes dans les magazines venus de l'étranger
 (Shadi Ghadirian courtesy Silk Road Gallery)

L’art de montrer les choses avec humour

La majeure partie du travail de Shadi Ghadirian se concentre sur les femmes iraniennes. La série « Qajar » qui ouvre le parcours a été réalisée en 1998 et fait écho à la dynastie du même nom qui régna en Iran de 1785 à 1925. Les femmes qu’elle choisit de photographier (des amies ou de la famille) portent des vêtements traditionnels du XIXe siècle et posent avec des produits interdits à partir du XXe siècle, comme les canettes de Pepsi et des VTT. Les origines de ces portraits ressemblent à ceux trouvés dans les studios photographiques de cette période. Le travail de Shadi Ghadirian, traverse les époques et les frontières avec toujours cette pointe de dérision. L’occasion de demander à la photographe comment elle conjugue l’humour et les thèmes douloureux.
Shadi Ghadirian : « J’adore le contraste et le paradoxe, c’est probablement lié à mon expérience personnelle mais d’un autre côté je n’aime pas porter un regard amer sur les réalités du monde, je pense que l’homme moderne est déjà suffisamment confronté à l’amertume de son quotidien et si l’on doit aborder un thème difficile il faut le faire avec subtilité ».
"Qajar" 1998
 (Shadi Ghadirian / courtesy Silk Road Gallery)

Féministe et utile aux femmes

Cachées, captives fictives, voilées ou se dévoilant en forme d’icônes sur le bureau d’un ordinateur, la figure féminine domine l’œuvre de Shadi Ghadirian. Son travail est intimement lié à son identité en tant que femme musulmane vivant en Iran en 2015. Elle interroge le rôle des femmes dans la société, explore la censure, la religion et la modernité en Iran mais son art traite également des questions concernant les femmes vivant dans d'autres parties du monde.

La série « Like every day », très remarquée et controversée lors de sa sortie en 2000, présente des portraits de femmes entièrement voilées, le visage caché derrière des ustensiles de cuisine. A la fois terrible et risible.
"Like everyday", 2000
 (Shadi Ghadirian / courtesy Silk Road Gallery)
Contrainte ou jeu, chez Shadi Ghadirian la limite est toujours ténue. Comme dans la série « Be Colorful » où elle montre à quel point les femmes iraniennes savent détourner le voile traditionnel et en faire un accessoire de mode, de séduction ou de résistance. Photographe de la condition féminine, nous avons souhaité aborder sa position aujourd’hui sur le féminisme. 
Shadi Ghadirian : « Il est vrai qu’à une époque j’ai beaucoup travaillé pour la cause féminine mais je pense qu’aujourd’hui, ayant perdu ce qualificatif je suis encore plus utile aux femmes ».
"Be Colorful", 2002
 (Shadi Ghadirian / courtesy Silk Road Gallery)

Les limites de la création en Iran

Shadi Ghadirian est née en 1974 à Téhéran, durant son enfance et son adolescence, elle a connu la guerre entre l’Iran et l’Irak de 1980 à 1988, les conflits politiques, les évolutions et les régressions du pays. Elle utilise la photographie pour explorer la vie contemporaine dans la société iranienne post-révolutionnaire. Profondément marquées par ces années sanglantes, les séries « White square »  ou « Nil Nil » évoquent les stigmates de la guerre.
"White square", 2008
 (Shadi Ghadirian / courtesy Silk Road Gallery)
Dans ces photos, d’apparence charmante, la photographe immisce un élément guerrier. Le traumatisme est encore prégnant dans un pays qui affirme fermement des restrictions de liberté d'expression. La question de la relation de l'individu à l'État et l'accomplissement de soi sont les thèmes récurrents de l’artiste. Mais comment en parler sans craindre la censure?

Shadi Ghadirian : « L’Iran d’aujourd’hui n’a jamais autant limité la créativité des artistes. Pour tout artiste qui a envie de travailler en Iran aujourd’hui il existe des lignes rouges mais nous les connaissons tous, et je m’efforce personnellement de ne jamais les dépasser, ce qui m’a permis de continuer de les exposer, toutes ces œuvres ont d’ailleurs été exposées en Iran ».
Ctrl+Alt+Del, 2006 - La femme icône de la modernité
 (Shadi Ghadirian / courtesy Silk Road Gallery)

L’espoir malgré tout ?

La dernière série de Shadi Ghadirian, réalisée en 2011 empreinte de solitude et de poésie laisse malgré tout planer une lueur d’espoir. Les clichés en noir et blanc de « Miss Butterfly » racontent encore des histoires de femmes qui tissent une toile pour se protéger. A l’époque, Shadi Ghadirian s’occupe de sa petite fille en bas âge et voit ses amis journalistes et photographes se faire arrêter. S’appuyant sur une histoire qu’elle lisait à son enfant, « Miss Butterfly raconte comment il faut lutter par tous les moyens pour préserver l’espoir, que ce soit en endurant l’oppression ou en luttant contre elle », explique la créatrice iranienne.  
"Miss Butterfly", 2011
 (Shadi Ghadirian / courtesy Silk Road Gallery)
La déambulation se referme sur la dernière oeuvre de la photographe. Le documentaire « Too Loud a Solitude : Une trop bruyante solitude » raconte l’histoire des hommes que l’on côtoie sans savoir d’où ils viennent et où ils vont. Ils marchent tout simplement.

Internationalement connue, Shadi Ghadirian est certainement l'une des figures de proue de la photographie contemporaine au Moyen-Orient et dans le monde entier. Son œuvre exposée dans des musées et galeries à travers l'Europe et les Etats-Unis est présentée cette année à la Biennale de Venise. Actuellement, Shadi Ghadirian vit en Iran et travaille au Musée de la Photographie à Téhéran.

Rétrospective Shadi Ghadirian dans le cadre de l’événement « Créer c’est résister » à la Bibliothèque municipale de Lyon Part-Dieu
Jusqu’au 9 janvier 2016 – Entrée gratuite



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