L'"Insoutenable légèreté" des années 1980 au Centre Pompidou
Les années 1980 sont un moment charnière, veut montrer cette exposition. Divers types de photographie se développent alors qui vont annoncer la photographie d'aujourd'hui.
L'espace de la galerie du Centre Pompidou n'est pas très grand et il ne s'agissait pas de faire un panorama de l'époque : "J'ai décidé de me concentrer sur la scène occidentale parce que c'est un moment assez curieux, les années 1980, pour la photographie : elle reflète la division politique et économique du monde," explique Karolina Ziebinska-Lewandowska, conservatrice au Centre Pompidou et commissaire de l'exposition.
En Occident, avant même le développement du numérique, il y a "un développement des techniques qui permet de réaliser de grands tirages en couleur et le marché commence vraiment à se développer. En France en particulier, il y a une institutionnalisation de la photographie", qui prend sa place sur la scène de l'art.
Sous le décor une inquiétude
Dans d'autres régions, la photographie est forte aussi, comme l'Afrique du Sud, l'Europe de l'Est et l'Amérique Latine, mais elle y reste en noir et blanc et très différente. L'école de Dusseldorf, dont on a beaucoup parlé, est également absente car l'idée de l'exposition était plutôt de réexposer "des courants auxquels on prête un peu moins d'attention".Dans la photographie occidentale des années 1980, donc, il y a une dimension décorative, mais ce décor a un envers, pas toujours explicite, lié à la crise (ce sont les années du sida, de Thatcher au Royaume-Uni, de la hausse du chômage), il reflète une certaine inquiétude de la société. "D'où le titre de l'exposition, 'L'Insoutenable légèreté', qui se réfère à cette contradiction entre ce qui est léger et ce qui pèse", explique la commissaire.
Sous le décor, il y a souvent une critique de la société : derrière un tirage Cibachrome, beau comme un tableau, représentant un intérieur chargé, le duo BazileBustamante (Bernard Bazile et Jean-Marc Bustamante) épingle "l'idée de l'empire colonial et la société bourgeoise qui attache énormément d'attention aux apparences", souligne Karolina Ziebinska-Lewandowska.
Les intérieurs de Présence Panchounette
Le collectif Présence Panchounette, à l'inverse de cette esthétique sophistiquée, photographie des intérieurs pour "repérer des détails de la culture" de ces années. Des clichés noir et blanc à l'aspect amateur pour critiquer, aussi, le décor bourgeois ou petit-bourgeois. Ce sont des décors urbains, que l'Américaine Elisabeth Lennard peint, elle, sur des photos noir et blanc, pour nous éloigner de la réalité.La vidéo est aussi présente, avec "Calling the Shots", du Britannique Mark Wilcox, qui fait rejouer une scène d'un film de Douglas Sirk, réactivant l'univers hollywoodien. En imitant "Imitation of Life" (1959), lui-même un remake d'un film de John Stahl de 1934 tiré d'une nouvelle du même nom de Fannie Hurst, "il déconstruit les artifices narratifs", selon Jonathan Pouthier, attaché de conservation qui s'est occupé de la partie vidéo de l'exposition.
Martin Parr et Agnès Bonnot : l'habit fait le moine
Un peu plus explicite mais toujours distancié, le constat (la dénonciation a vécu) que plus de dix ans après 1968, la société de classes est là, toujours, pour ne pas dire plus que jamais. Il y a, bien sûr, l'ironie de Martin Parr, avec des images de sa série "The Cost of Living", sorte de portrait social de l'Angleterre des années Thatcher : une jeune fille toute en noir avec une grande crête rousse, à côté de sa mère, exemple de l'Anglaise moyenne d'âge moyen.Et, à côté, une série de portraits faits à Paris, dans la rue ou dans le métro, par Agnès Bonnot, qui a cadré serré sur les vêtements et les accessoires, convaincue que l'appartenance à une époque, un milieu, un lieu, se traduit dans l'habillement. "Je pense que cette série a très bien vieilli, qu'elle gagne avec le temps", commente la commissaire.
Photo, sculpture, installation : les frontières se brouillent
Documentaire ou pas ? Un grand tirage de Florence Paradeis reconstitue une scène familiale de petit-déjeuner. On dirait un instantané du réel. C'est une mise en scène totale, tout est arrangé, avec des acteurs. Même ambiguïté chez Karen Knorr, qui s'est intéressée aux "gentlemen's clubs" de Londres, où se réunissent les hommes de la haute société londonienne. On ne sait jamais quand ce sont de vrais membres du club ou des modèles qu'elle met en scène, avec des légendes en forme de maximes, le plus souvent imaginaires.La photographie des années 1980 est pleine d'artifice et mêle image, sculpture et installation, à une époque où "les frontières entre la photographie et les autres médias se brouillent", souligne la commissaire.
Pour une angoissante scène où une trentaine de chats envahit un intérieur ("Radioactive Cats", 1980), l'Américaine Sandy Skoglund a passé des mois à réaliser des moulages de plâtre, avant d'inviter ses voisins à poser pour la photo au milieu de ces créatures fluo.
Paraître : des représentations tout sauf naturelles
Enfin, les années 1980, c'est les années du paraître, où il faut être plus branché que les plus branchés.Dans le portrait ou l'autoportrait, on est toujours dans l'artifice. "Il y a plusieurs types de représentations de soi mais elles sont tout sauf naturelles, tout sauf documentaires", explique Karolina Ziebinska-Lewandowska. Jean-Paul Goude "crée" le personnage de Grace Jones, partant du dessin pour finir avec des photos. Ellen Carey fait des autoportraits androgynes et futuristes avec des Polaroid géants, mêlant couleurs psychédéliques et motifs géométriques.
L'artifice, encore, dans "Radio-serpent" (1980), le film d'Unglee, artiste naviguant entre glamour et cinéma expérimental qui a été remarqué à Cannes deux ans plus tôt. Il photographiera ensuite des tulipes de façon obsessionnelle, avant d'annoncer sa disparition dans la presse. Son univers marqué par la pub est plein d'objets emblématiques des années 1980, des vêtements aux motifs graphiques, un canapé blanc. Mais sous un aspect superficiel, le film, qui vient d'entrer dans les collections du Centre Pompidou, préfigure, selon Jonathan Pouthier, "le mal-être des années 1980".
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