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Ken Domon, un maître méconnu de la photographie nippone, à découvrir à la Maison de la culture du Japon à Paris

Témoin de l'ouverture du Japon et des dégâts de Hiroshima, amoureux des enfants et de la beauté des temples, Ken Domon a photographié son pays pendant 40 ans. La Maison de la culture du Japon a Paris lui consacre sa première rétrospective française (jusqu'au 13 juillet).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6min
Ken Domon, à gauche : "Enfants faisant tourner des parapluies, Ogôchimura", photographie de la série "Enfants", vers 1937 - à droite : "Femmes se promenant, Sendai", 1950 (© Ken Domon Museum of Photography)

Maître du réalisme japonais, Ken Domon (1909-1990) a travaillé du milieu des années 1930 à la fin des années 1970, c'est-à-dire avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Il a été le témoin des grands changements de l'après-guerre. Il a photographié la société et surtout les enfants, les dégâts de Hiroshima, les artistes et aussi les temples. La Maison de la culture du Japon à Paris lui consacre une rétrospective qui permet de faire une belle découverte.

Connaissez-vous Ken Domon ? "Au Japon, son nom est peut-être plus connu que celui de n'importe quel photographe", raconte Rossella Menegazzo, professeure d'histoire de l'art de l'Asie orientale à l'université de Milan et commissaire de l'exposition. Pourtant, après une petite exposition en Allemagne en 1990, la première monographie d'envergure hors de son pays a été organisée à Rome en 2016, et c'est la première fois qu'on peut découvrir son travail en France.

Ken Domon, "Soeurs sans leur mère",
photographie de la série Les enfants de Chikuhô, 1959 (Ken Domon Museum of Photography)

Un Japonais qui photographie le Japon

Ken Domon n'a pas voyagé, hormis un séjour en Chine. "Je suis un Japonais qui photographie le Japon", disait-il. Il commence par travailler pour l'agence Nippon Kôbô et pour la revue Nippon, qui promeut la culture japonaise à l'étranger. Un de ses premiers reportages raconte la beauté de la presqu'île d'Izu, ses enfants qui plongent et pêchent. Mais à l'approche de la guerre, la propagande prend le pas sur l'information : Ken Domon photographie les cadets de la marine en rangs serrés, ou bien à l'entraînement, parfaitement alignés, et aussi leur pendant féminin, les infirmières de la Croix-Rouge.

Il est obligé de faire ces photographies de propagande pour nourrir sa famille, mais il s'en échappe déjà, commençant dès 1939 à photographier des temples ou des amis artistes.

Ken Domon, "Carrefour à Ginza 4-chôme", Tokyo, 1946 (© Ken Domon Museum of Photography)

Après guerre, un pays qui s'ouvre

A la fin des années 1940 il est témoin de l'évolution de la société japonaise après la défaite. D'un côté, il y a l'humiliation de l'occupation américaine : un soldat américain fait la circulation à Tokyo, devant un immeuble transformé en PX (magasin réservé aux soldats américains), un autre se fait cirer les chaussures dans la rue. En même temps, le Japon s'ouvre. Ken Domon saisit trois filles de dos dans la rue, vêtues de robes blanches, épaules nues, grandes lunettes de soleil et cheveux attachés : "C'est une image emblématique, elle nous raconte comment le Japon se transforme selon la mode américaine", souligne Rossella Menegazzo.

Même si elles sont d'une grande beauté, "les photos de Ken Domon ne sont pas des photos d'art, elles sont fortement liées à ce qui se passe réellement dans la société à ce moment-là", commente la commissaire. Il veut faire une photographie "qui exprime la vérité", selon ses propres mots. S'il ne peut pas dire sa sensibilité socialiste (il ne l'exprimera ouvertement que plus tard), il va chercher la vérité de la situation sociale, de la pauvreté qui frappe le Japon de l'après-guerre. Souvent à travers les yeux des enfants, dont il aime suivre les jeux.

Sa série Les Enfants de Shikuhô montre la misère dans une ancienne région minière frappée par le chômage. Son livre Le père de la petite Rumie est mort, où on voit deux petites filles se débrouiller toutes seules pendant que leurs parents sont partis chercher du travail, est un grand succès.

Ken Domon, "Enfant aveugle", photographie de la série Hiroshima, 1957 (© Ken Domon Museum of Photography)

Hiroshima, un choc

Et puis il y a son reportage sur Hiroshima, réalisé en 1957, 12 ans après le largage de la bombe. "C'est l'œuvre la plus importante de Ken Domon et peut-être l'œuvre photographique la plus significative de l'après-guerre", estime Rossella Menegazzo. Secoué par ce qu'il découvre sur place, il y retournera à maintes reprises. La publication en 1958 du recueil Hiroshima, qui présente 180 images accompagnées de textes, est un choc pour les Japonais qui ignorent tout des conséquences de l'explosion atomique.

Il montre les objets fondus, une enfant née aveugle, des victimes qui subissent encore des opérations chirurgicales des années après le drame. Et aussi l'espoir, la vie qui continue, comme cet homme et cette femme atteints par les radiations, qui se sont connus à l'hôpital et ont eu deux enfants en parfaite santé.

Une série de portraits témoignent de l'effervescence culturelle et artistique dans les années 1950 et des liens étroits entre Ken Domon et tous ces artistes. Du réalisateur Yasujirô Ozu en tournage à l'écrivain Yukio Mishima ou à l'acteur Toshirô Mifune, célèbre pour ses rôles dans les films de samouraïs de Kurosawa.

Ken Domon, "Pierres dans l’étang Kongôchi du jardin du temple
Saihô-ji", Kyoto, 1963 (© Ken Domon Museum of Photography)

Les temples et la beauté du Japon

Enfin, pendant 40 ans, Ken Domon a fait des images des temples du Japon. Il commence en 1939, dans le temple Muroji, dans les montagnes de Nara, un peu par hasard, lors d'une promenade avec un ami, raconte la commissaire. A l'époque, c'est sa façon de fuir la propagande. Il y retournera tous les ans jusqu'en 1978, et il photographiera 40 temples à travers le Japon, les pierres et la mousse de leurs jardins, parfois sous la neige, leurs sculptures, leurs toits, les détails architecturaux qui se répètent. "Ça lui permet de respirer, il exprime ainsi la beauté du Japon."

Alors que ses reportages sont généralement en noir et blanc, pour ces images, il expérimente la couleur et utilise des plaques de verre. Il les a publiées dans un ouvrage en cinq volumes, Pèlerinage aux temples anciens. Alors qu'il a été frappé par deux hémorragies cérébrales et qu'il se déplace en chaise roulante, il continue à photographier les temples, avec des assistants. Une troisième hémorragie, en 1979, le plonge dans le coma jusqu'à sa mort, en 1990.

Ken Domon ne cherchait pas à exposer ses photographies, c'est la publication qui l'intéressait. Il a réalisé de nombreux livres, y compris des ouvrages théoriques.

Ken Domon, le maître du réalisme japonais
Maison de la culture du Japon à Paris
101 bis, quai Jacques Chirac, 75015 Paris
Tous les jours sauf dimanches, lundis et jours fériés, de 11h à 19h
Entrée libre
Du 26 avril au 13 juillet 2023

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