Kati Horna, entre dénonciation politique et surréalisme, au Jeu de Paume
Kati Horna est née en 1912 en Hongrie, dans une famille de banquiers juifs. Elle y fait ses premières photos : des natures mortes, des enfants vus de haut, un portrait de celui qui n'est pas encore Robert Capa. Elle finira sa vie au Mexique, son pays d'adoption, en 2000. L'exposition aborde toute son œuvre à travers 150 photos, depuis ses débuts à Budapest, Berlin et Paris, en Espagne où elle couvre la Guerre civile pour des journaux républicains, de nouveau à Paris, puis au Mexique. Les tirages, pour la plupart d'époque, sont tous de sa main.
Kati Horna fait partie de la génération des photographes hongrois comme André Kertesz, Robert Capa, Eva Besnyö, Brassaï, qui se sont exilés au gré des évènements politiques des années 1930.
Une vie d'exils
"J'ai fui la Hongrie, j'ai fui Berlin, j'ai fui Paris, j'ai tout laissé à Barcelone… quand Barcelone est tombée, je n'ai pas pu revenir chercher mes affaires, j'ai de nouveau tout perdu. Je suis arrivée dans un cinquième pays, au Mexique, avec mon Rolleiflex en bandoulière, je n'ai rien pu emporter d'autre." C'est ainsi que, dans un documentaire mexicain de 1993, sept ans avant sa mort, Kati Horna résumait une vie d'exils.
Sa formation artistique se fait dans le contexte du constructivisme, du Bauhaus, du surréalisme, de la Nouvelle objectivité allemande. En 1930 elle arrive à Berlin où elle rencontre Bertolt Brecht et Laszlo Moholy-Nagy. Elle y passe trois ans.
"Dès le début, on peut remarquer deux traits essentiels de la personnalité de Kati Horna : elle est très individualiste et très méfiante par rapport aux identités nationales, aux religions et aux idéologies", fait remarquer Angeles Alonso Espinosa, conservatrice au Museo Amparo de Puebla (Mexique) et co-commissaire de l'exposition.
La photographie, un instrument de transformation sociale
Par ailleurs, elle ne se considère pas comme une artiste mais comme une ouvrière de la photographie. Elle conçoit son travail en solidarité avec les plus déshérités, la photo est pour elle un moyen de transformation sociale et sa finalité est l'émancipation.
Kati Horna fuit l'Allemagne nazie en 1933 et se retrouve finalement à Paris où elle fait ses premiers photo-reportages, "Le Marché aux puces" et "Les Cafés de Paris", où on remarque déjà sa fascination pour les objets, en particulier les poupées et les masques, qui "pour elle symbolisent la déshumanisation de la société", selon Angeles Alonso Espinosa.
Dans ses images, elle fait référence à sa vie, montrant par exemple un document du Crédit municipal de Paris (elle y a laissé en gage son Rolleiflex) à côté d'un petit masque qui pleure et de son porte-monnaie vide, racontant la précarité de sa situation matérielle.
La satire visuelle au service de la critique politique
Sa série des "œufs", intitulée "Hitlerei" est d'une force incroyable. Un œuf sur lequel est dessiné un visage aux traits empruntés au dictateur allemand, installé dans un coquetier, harangue une foule d'œufs, gesticulant et vociférant. Il finira la tête coupé par un couteau de table. La série est réalisée en collaboration avec le peintre allemand Wolfgang Burger. "Il s'agit du commencement de ses contes visuels", fait remarquer Angeles Alonso Espinosa. "Cette satire est énorme, parce qu'elle paraît en Allemagne en 1937, alors que Hitler est déjà au pouvoir."
En 1937, Kati Horna gagne l'Espagne pour couvrir la Guerre civile, du côté des Républicains. Elle y retrouve Capa et Chiki Weisz, un autre ami d'enfance. Elle ne photographie pas les combats mais plutôt les souffrances des civils, ne produit pas des images réalistes mais des surimpressions de femmes ou d'enfants fantomatiques sur les ruines d'une maison. Comme cette image fantastique où le visage d'une femme flotte sur un mur ("Montée à la cathédrale", 1938), son œil enfermé derrière les barreaux d'une fenêtre.
Une façon très personnelle de dénoncer la violence
"Pour Robert Capa, si la photo n'était pas bonne, c'est qu'on n'était pas assez proche de l'action. Pour Kati Horna, pas du tout. Elle a une façon très différente de dénoncer la violence. Jamais de façon directe", explique Angeles Alonso Espinosa. Pour elle, "la surexposition à la violence la banalisait. Elle avait une façon complètement différente de la symboliser, très en relation avec sa démarche personnelle. Avec une vraie méfiance par rapport aux vérités uniques et aux pensées totalitaires." Même quand elle photographie les soldats, c'est loin des combats : ils sont en train de se raser ou au repos, ils évacuent un camarade.
Proche des anarchistes, elle ne travaille pas pour les grands magazines mais pour les journaux engagés espagnols (Tierra y Libertad, Mujeres libres, Umbral…). Elle rencontre en Espagne son mari, José Horna, artiste anarchiste andalou, avec qui elle va collaborer.
Surimpressions et montages pour dire la défaite des idées
Kati Horna joue avec ses négatifs, les manipule, les découpe, les surimprime, les retourne, les assemble, les utilisant parfois plusieurs fois dans des contextes différents. Comme ce petit garçon de Vicièn, en Espagne. Sur l'original, il est assis sur le seuil d'une maison. Dans des montages réalisés avec des dessins de son mari pour symboliser les dégâts de la guerre, elle l'a installé sur un petit nuage, au milieu du ciel, au-dessus de ruines ou sur une barque perdue d'où s'échappe la colombe de la paix ("Enfance", 1939).
Pendant les quelques mois qu'elle passe de nouveau à Paris après l'Espagne, ses œuvres sont sombres. Des poupées fêlées se serrent les unes contre les autres, les yeux aveugles, terrifiantes. Une colombe en papier, un livre intitulé "Idéal", ramassés par un balai "vont à la poubelle" ("Lo que se va al cesto"), représentant la déroute des idées et de la justice.
Kati Horna fuit avec son mari, une fois de plus, pour le Mexique, où elle va rester le reste de sa vie. Elle s'entoure de nombreux artistes de tous les pays qu'elle met en scène dans ses photos, toujours hantées par des masques et des poupées, désormais décapitées. Elle photographie le théâtre, notamment les pièces d'Alejandro Jodorowski.
Le Mexique, une nouvelle patrie
"Elle est arrivée, elle s'est posée dans une petite maison de la rue de Tabasco et cet endroit est devenu sa patrie. Elle a construit une petite fontaine au milieu parce que pour elle, dans une ville où il n'y avait pas de rivière, il n'y avait pas de vie. Elle avait toujours cette nostalgie du Danube", raconte la commissaire.
Pour gagner sa vie, elle fait des reportages à caractère social pour des magazines, sur un hôpital psychiatrique par exemple. C'est au Mexique qu'elle développe ses "contes visuels", pour un magazine déjanté et provocateur, qui s'appelle S.nob et qui ne verra que sept numéros, en 1962. Elle y publie trois séries, "Ode à la nécrophilie", "Impromptu à la harpe" et "Paradis artificiels".
"S.nob, c'était mon bonheur. (…) Je ne sais pas pourquoi je me suis autant amusée, mais avec la facilité que me donnait (l'équipe de la revue), une grande créativité est sortie de moi", disait la photographe. Après 1970, Kati Horna se consacrera essentiellement à la pédagogie.
La photographe a été beaucoup montrée au Mexique. En Europe, l'Espagne l'a exposée, s'intéressant plus particulièrement à ses photos de la Guerre civile. Le Jeu de Paume nous offre une occasion unique de découvrir son œuvre, sensible et libre, dans son ensemble.
Kati Horna, Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, 75008 Paris
mardi : 11h-21h
mercredi à dimanche : 11h-19h.
fermé le lundi
tarifs : 10€ / 7,5€
Du 3 juin au 21 septembre 2014
Le Jeu de Paume fête ses dix ans dédiés à l'image. L'entrée sera gratuite samedi 7 et dimanche 8 juin, de 11h à 19h
A voir également au Jeu de Paume, l'exposition d'Oscar Muñoz, artiste colombien qui travaille depuis 40 ans sur la capacité des images à retenir la mémoire, sur leur dissolution et leur décomposition, utilisant la photo, la gravure, le dessin, l'installation, la vidéo, la sculpture.
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