Jacques-André Boiffard à la nouvelle galerie de photographies du Centre Pompidou
"Cette galerie est un vœu du président du Centre Pompidou Alain Seban", raconte Clément Chéroux, le directeur du cabinet de la photographie au Musée national d'art moderne. "Lors d'une visite aux Rencontres d'Arles, il s'est dit qu'il fallait un espace dédié à la photographie au Centre Pompidou."
Le Centre Pompidou veut montrer ses collections de photographie
L'idée est de donner plus de place à la présentation de la photographie et de montrer davantage la collection du Centre. Avec 40.000 épreuves et 60.000 négatifs, "elle est une des grandes collections mondiales" de photographie, souligne Clément Chéroux : "Jusque-là, on montrait 300 à 400 photos par an, mais on avait envie de donner plus d'espace à cette collection extraordinaire."
La nouvelle galerie est en accès libre. Elle s'étend sur une surface de 200 m2 au sous-sol du forum, où se trouvaient auparavant des bureaux. Elle va permettre de faire trois expositions par an : une historique, une contemporaine et une thématique, transversale, explique-t-il.
La première exposition, donc, est consacrée à Jacques-André Boiffard (1902-1961), qui ne fut photographe que pendant quelques années mais très engagé dans le mouvement surréaliste.
La première rétrospective de Jacques-André Boiffard
Assistant de Man Ray, il a illustré "Nadja" d'André Breton et des textes de Georges Bataille. Il a été beaucoup plus proche des membres du groupe surréaliste et plus impliqué dans leurs activités que les photographes surréalistes les plus connus, comme Brassaï, Hans Bellmer, Raoul Ubac, Claude Cahun, Henri Cartier-Bresson ou Man Ray lui-même.
"Il n'y avait jamais eu de rétrospective Jacques-André Boiffard", fait remarquer Clément Chéroux. Or le Centre Pompidou possède la plus importante collection institutionnelle de ses œuvres, ajoute-t-il. Sur les 70 photos présentées dans l'exposition, 90% viennent de la collection du Centre, un ensemble complété par quelques emprunts.
Le Centre possédait 25 photos de Boiffard, une collection augmentée de 50 œuvres grâce à l'acquisition de celle de Christian Bouqueret en 2011. "Ca nous intéressait de montrer cette figure méconnue", explique Clément Chéroux, "un personnage qui intrigue, qu'on n'arrive pas à cerner" autour de laquelle "il y a une vraie attente".
Assistant de Man Ray
L'exposition commence avec un portrait de jeune homme sage, Jacques-André Boiffard, au moment où il rejoint le groupe surréaliste. La photo, toute petite, a été agrandie en "wall paper", comme un certain nombre d'œuvres exposées.
Par exemple cette célèbre photo de Man Ray qui montre le danseur de flamenco Vicente Escudero. L'image connue était recadrée. Sur l'original qu'on découvre figure, dans un coin, Jacques-André Boiffard qui tient le décor. Car il a été l'assistant du célèbre photographe de 1926 à 1929.
Quand il le quitte, il ouvre à son compte un studio avec Eli Lotar, entreprise qui n'est pas un grand succès commercial. Il y fait les portraits de ses amis, des portraits assez classiques, même s'il effectue quelques solarisations et surimpressions.
Le goût de l'anonymat
La carrière photographique de Jacques-André Boiffard, qui est retourné en 1935 à ses études de médecine, est brève (dix petites années) mais très variée. A côté des portraits, il fait des vues de Paris à la chambre, influencé par Eugène Atget, photographe admiré des surréalistes. Onze de ces photos illustrent "Nadja" d'André Breton. Et pourtant, il n'a jamais été crédité de ce travail, jusqu'en 1963, soit après sa mort. "Nous avons dans les collections quatre tirages originaux exceptionnels qui ont permis de vérifier l'attribution de ces photos à Jacques-André Boiffard", raconte Damarice Amao, commissaire de l'exposition avec Clément Chéroux. Il semblerait qu'il ait cultivé un certain goût pour l'anonymat.
A côté de ces paysages urbains documentaires, un peu froids, il en fait d'autres plus vivants, avec des passants, des pêcheurs à la ligne.
Exclu du groupe surréaliste, Boiffard se met à travailler avec Georges Bataille et l'équipe de la revue Documents pour lequel il fait des photos de masques. Il explore le nu, autre grand thème surréaliste, multipliant les points de vue et les cadrages avec sa compagne Renée Jacobi. Les épreuves du Centre Pompidou sont complétées par plusieurs prêts privés qui permettent de présenter un ensemble important, faisant "apparaître un corps désirable mais toujours avec un aspect inquiétant", selon Damarice Amao.
Des orteils en gros plan
Les photos les plus frappantes sont peut-être celles qui tournent autour des pieds. Elles correspondent à une "obsession" de Bataille, selon Clément Chéroux pour qui, "quand on pense à Bataille, les images qui viennent en tête sont celles de Jacques-André Boiffard". Celui-ci a "constitué une iconographie bataillenne", en particulier ces "images dégoûtantes" de doigts de pieds isolés en gros plans, dit-il.
Dans la même veine, les papiers à mouches ou la bouche grande ouverte en gros plan, tirée en très grand format pour l'exposition.
Boiffard s'est encore essayé au photogramme, produisant des images abstraites qui évoquent des algues ou des coraux, avec du liquide posé sur la surface sensible. Et quand il abandonne la photographie pour devenir médecin, comme en clin d'œil à sa carrière artistique, il se spécialise en radiologie.
Jacques-André Boiffard, La parenthèse surréaliste, Galerie de photographies, Centre Pompidou 75004 Paris, forum, niveau -1
Tous les jours sauf le mardi, 11h-21h
Entrée libre
Du 5 novembre 2014 au 2 février 2015
La deuxième exposition de la galerie, "Qu'est ce que la photographie", rassemblera des photographes de la collection qui se sont particulièrement posé la question (du 4 mars au 1er juin 2015)
La troisième sera consacrée à Anna et Bernhard Blume, couple d'artistes allemands fascinés par les phénomènes paranormaux (du 1er juillet au 28 septembre 2015).
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