Cet article date de plus d'onze ans.

Guerre d’Espagne : la "valise mexicaine" de Robert Capa revient à Paris

Le Musée d’art et d’histoire du judaïsme à Paris expose la fameuse "valise mexicaine" de négatifs de la Guerre d’Espagne de Robert Capa, David Seymour dit Chim, et Gerda Taro. Ces films ont disparu pendant 70 ans et ont été retrouvées au Mexique il y a 5 ans, bien après le décès de leurs auteurs, tous les trois morts sur des champs de bataille.
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Robert Capa, Exilés républicains emmenés vers un camp d'internement, Le Barcarès, 1939
 (International Center of Photography / Magnum Photos)

La "valise mexicaine", ce sont en réalité trois boîtes remplies de négatifs : 126 au total soit 4500 images. Il est émouvant de voir ces boîtes divisée en cases, chacune renfermant un film roulé, avec des indications inscrites dans le couvercle. Des carnets de contacts prêtés par les Archives nationales sont exposés à leur côté : ils ont permis d’attribuer les pellicules à l’un ou l’autre des trois photographes.
 
Chim, Capa et sa compagne Gerda Taro se sont connus à Paris au début des années 1930. Dès 1936, ils partent pour l’Espagne. Leur travail est complètement engagé et partisan : ils documentent la guerre civile espagnole du côté du gouvernement républicain, attaqué par Franco.

Boîte rouge de la valise
 (International Center of Photography / Magnum Photos)
 
L’histoire incroyable de la "valise mexicaine" est « longue et compliquée », résume la commissaire de l’exposition, Cynthia Young, de l’ICP de New York (International Center of Photography) qui a recueilli les boîtes en provenance du Mexique en 2008. Les films qu’elles contenaient et que personne n’avait vus depuis sept décennies, étaient en parfait état de conservation.
 
Après la défaite des républicains espagnols en 1939, Capa quitte la France pour les Etats-Unis et laisse dans son studio parisien, rue Froidevaux, des boîtes contenant des négatifs de la Guerre d’Espagne. Son ami Imre Csiki Weisz les emporte à Bordeaux d’où il espère gagner le Mexique. Il confie les précieuses boîtes à un Chilien à qui il demande de les déposer à son consulat. On perd alors leur trace jusqu’à leur réapparition au Mexique en 2007.
 
A un certain moment, on ne sait dans quelles circonstances, le général Francisco Aguilar Gonzàlez, l’ambassadeur mexicain auprès du gouvernement de Vichy en 1941-42, a récupéré les boîtes. On ignore s’il en connaissait la valeur. Toujours est-il qu’il les emporte dans ses bagages quand il rentre à Mexico. L’homme meurt en 1971.
Chim (David Seymour), Femme avec un bébé écoutant un discours politique près de Badajoz, mai 1936
 (Estate of David Seymour / Magnum Photos)
 
C’est Benjamin Tarver, un cinéaste mexicain, qui en hérite au décès de sa tante, elle-même parente du général. Il les livres à l’ICP après négociation en 2008. « Quand on a ouvert les boîtes, on s’est aperçus qu’il n’y avait pas que les photos de Capa mais aussi celles de Taro et celles de Chim. On ne pouvait alors plus penser le travail de Capa » sur la Guerre d’Espagne « sans les deux autres. C’était vraiment une équipe », raconte Cynthia Young.
 
On ignore pourquoi ces négatifs ont été réunis. Y avait-t-il un projet de livre ou d’exposition ? Toujours est-il que tous les négatifs des trois photographes faits en Espagne ne se trouvent pas dans les fameuses boîtes, il s’agit d’une sélection. Certaines images étaient connues, avaient été montrées dans les magazines à l’époque. D’autre sont complètement inédites.
 
Il s’agit de documents essentiels pour l’histoire de la Guerre d’Espagne et aussi pour celle du photojournalisme, naissant à l’époque. Les planches-contact permettent de voir comment les trois photographes travaillaient, élaborant des séquences qui racontent une histoire.
Gerda Taro, Spectateurs de la procession funéraire du général Lukacs, Valence, 16 juin 1937
 (International Center of Photography )
 
L’exposition mêle trois types de documents : les planches contact, légèrement agrandies (elles pourraient l’être un peu plus, la lecture en serait plus aisée). Des tirages d’époque d’images qui étaient donc connues et des tirages récents d’images inédites. Et aussi des pages de magazines où les photos ont été publiées.
 
Les photos faites par Chim en 1936, au début de la guerre montrent l’enthousiasme de tout un peuple qui s’engage pour défendre la république. C’est dans la ferveur aussi que le peuple républicain écoute un meeting pour la réforme agraire, dont on connaît la célèbre femme qui allaite. Le photographe polonais travaille peu au front. Il montre le soutien de l’église basque aux républicains, la vie quotidienne des soldats, les marchands de sardines sur un port basque.
 
Gerda Taro est la première femme photographe morte à la guerre, écrasée accidentellement par un char républicain à 27 ans près de Madrid. Son travail a longtemps été ignoré, resté dans l’ombre ou même confondu avec celui de Capa. L’exposition de la "valise mexicaine" montre la force de son travail. Elle photographie les moissons près de Cordoue et aussi les soldats tués sur le front de Ségovie, ou la bataille de Brunete, où elle perd la vie, le 25 juillet 1937.
Robert Capa, Le général Enrique Líster et André Malraux (à droite), front catalan,
fin décembre 1938 – début janvier 1939
 (International Center of Photography / Magnum Photos – Coll. International Center of Photography)
 
En mai 1937, Valence a été bombardée et de nombreux civils sont tués et blessés. Les images de Taro sont particulièrement dramatiques. A la morgue, elle montre un enfant allongé, le visage ensanglanté, un carton sur le ventre. La foule se presse à la grille d’entrée pour identifier des proches.
 
Robert Capa et Gerda Taro travaillent souvent ensemble, dans les tranchées de Madrid, aux funérailles grandioses de Pavol Lukacs, général hongrois engagé dans les Brigades internationales et tué dans un attentat en juin 1937.
 
Capa surprend sa compagne en costume de milicienne, faisant la sieste dans le soleil, appuyée sur une borne. Après sa mort, le photographe se fait un nom en publiant ses reportages du front dans les magazines du monde, de Match à Life : les soldats courent avec leurs fusils, les civils fuient.
Couverture de Regards, 6 août 1936
 (International Center of Photography)
 
A la fin de la guerre, qui voit la défaite des républicains face à l’armée franquiste en 1939, Capa suit les milliers de réfugiés espagnols dans le sud de la France, une colonne impressionnante sur le sable de la plage du Barcarès, les camps d’internement où ils dorment sur la paille, les tentes de fortune.
 
Il sautera sur une mine en Indochine en 1954, tandis que son ami Chim sera tué par des tirs à Suez, deux ans plus tard.
 
La « valise mexicaine » a déjà été exposée à l’ICP de New York, à Arles, à Bilbao, à Madrid et à Barcelone.
 
La Valise mexicaine, Capa, Taro, Chim, Musée d’art et d’histoire du judaïsme, Hôtel de Saint-Aignan, 71 rue du Temple, Paris 3e
Ouvert du lundi au vendredi de 11h à 18h et le dimanche de 10h à 18h (le mercredi jusqu’à 21h)
Tarifs : 7 € / 4,5 €

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.