"Genesis", Sebastião Salgado expose la terre des origines : derniers jours
Les projets de Sebastião Salgado sont toujours démesurés. Plus tôt, il s’est intéressé au travail dans le monde (" La Main de l’homme") ou aux mouvements de populations ("Migrations").
Son dernier travail, "Genesis", est sans doute le plus énorme. Il a décidé de se pencher sur ce que la planète comprend encore de terres intactes, pas encore gâchées par la frénésie de la modernité. Il a voyagé à pied, en traîneau, en ballon pour aller à la rencontre de ce monde vierge. C’est un autre projet un peu fou qui en est à l’origine.
Sebastião Salgado a grandi au fin fond du Minas Gerais, où son père avait une ferme. Cette terre était pour l’enfant qu’il fut comme un paradis, couvert de forêt. Quand il en a hérité, dans les années 1990, la déforestation l’avait desséchée. Il a décidé avec sa femme, Lelia, associée à tous ses projets et commissaire de l’exposition, d’y réintroduire la forêt primaire, dite forêt Atlantique, qui la couvrait autrefois et a été détruite à 90%. Ils ont planté plus de deux millions d’arbres et créé une pépinière de plantes endémiques pour encourager la reforestation.
Salgado a travaillé "par curiosité"
L’eau et la faune y sont revenues et, en même temps, ce projet a donné envie à Sebastião Salgado de partir à la recherche de la nature originelle. "Genesis" fait référence à ce qu’il y avait "au début de tout". "On au eu la belle surprise que la moitié était encore là", dit-il. Bien sûr, ce sont des terres trop sèches, trop froides ou trop isolées pour être très peuplées.
Il ne s’agit pas d’un projet de journaliste ou d’anthropologue, souligne le photographe, qui l’a entrepris "par curiosité, pour montrer" ce qu’il allait découvrir. Il voit son travail comme un cri d’alerte : "Ce qu’on voit ici, c’est la partie de la planète qu’on a l’obligation de préserver", dit-il en forme d’avertissement, estimant qu’"on est arrivé à une limite où on peut maintenir un équilibre".
Les merveilles de la nature, il nous les traduit donc dans un noir et blanc contrasté, dramatique, avec une lumière spectaculaire, parfois irréelle.
Le photographe intarissable devant ses images
L’exposition est divisée en cinq sections qui correspondent à des zones régionales. La première est celle de l’Amazonie et du Pantanal, peut-être celle qui lui tient le plus à cœur. Devant ses photos, il est intarissable quand il raconte un séjour de trois mois et demi chez les Indiens Kuikuro dans le Haut-Xingu, au sud de l’Amazonie.
De leur chef Afukaka, il dit que c’est "peut-être le meilleur homme qu’on ait jamais rencontré". Il nous le présentera un peu plus tard : il est à Paris pour la première fois. "Les indigènes nous trouvaient très sales, eux qui se lavent cinq ou six fois par jour", dit-il, racontant comment toute la tribu se retrouvait dans l’eau dès avant le jour.
Des paysages, des animaux et des hommes
Dans la nature intacte, il a photographié un groupe de chamans, des jeunes filles en cours d’initiation, à qui on fait des peintures rituelles ou qu’on présente à la lumière avant qu’elles se cherchent un fiancé. Des pirogues de pêcheurs à contrejour dans la brume.
De nombreux indigènes sont morts de tristesse, quand ils ont quitté leur région, mais certains sont retournés chez eux, raconte encore Salgado, qui évoque avec jubilation la vision d’un homme nu venu l’accuellir sur sa moto.
Chez les Zo’é, peuple isolé du nord de l’Amazonie (il y en a une centaine au Brésil), il a saisi des scènes de chasse et de pêche, de baignade ou de repos d’une sérénité absolue.
L’Amazonie, Salgado l’a aussi vue au Venezuela, avec ses paysages grandioses. Lui qui s’était principalement intéressé aux hommes, jusque-là, s’est mis à photographier des végétaux, des minéraux, des animaux.
Une baleine est devenue "une copine"
C’est avec passion qu’il évoque Adelita, une baleine des mers froides du sud, devenue une "copine" : "Elle s’approchait, on la caressait. C’était d’une tendresse, comme un chien". Il exprime sa tristesse de voir disparaître ces baleines franches, menacées.
Avec passion aussi, il explique la chance qu’il a eue de côtoyer des animaux dont l’homme n’est pas le prédateur et au milieu desquels il a pu évoluer tranquillement, montrant par exemple un grand albatros, qui est "passé à deux trois mètres de moi juste pour voir qui est ce mec".
Il a capté l’extrême grâce d’un oiseau qui pêche dans le fleuve, d’une aigrette en vol, du jaguar au bord de l’eau ou des caïmans dont les yeux brillent dans l’obscurité.
De l’Afrique, il nous montre les montagnes isolées d’Ethiopie, les "bancs de brume étrange" sur un paysage de Zambie, les dunes de Namibie ou d’Algérie, les dernières femmes à plateaux du monde, des danses de transe…
Une expérience "fantastique"
Les huit années de voyage autour de la planète n’ont pas été de tout repos. Sebastião Salgado a eu la malaria en Indonésie. Et son assistant Jacques Barthélémy a dû être rapatrié après une piqûre de guêpe qui s’était infectée. Salgado raconte le froid, lors d’un voyage avec les Nénetses de Sibérie en transhumance. Alors qu’il était parti avec les meilleurs vêtements techniques, il a dû emprunter des manteaux en peau de renne pour résister à des températures de -35 à -45°. Et il a dû passer 47 jours sans se laver.
Malgré ces désagréments, deux mots reviennent tout le temps dans le récit du photographe : "fantastique" et "phénoménal".
Salgado nous parle un peu photo, tout de même. Ses images sont toujours en noir et blanc, parce qu’il ne sait faire que ça. La couleur le déconcentrait et le détournait de ses sujets, dit-il.
Interview de Sebastião Salgado sur le plateau de Soir 3
Au cours de ses huit années à la recherche de la planète vierge, il s’est mis au moyen format, a dû s’adapter à un nouveau film, et puis il a adopté le numérique, même s’il n’était pas fanatique des ordinateurs. Les passages successifs à la sécurité des aéroports, qui abîment les pellicules, c’était l’enfer. Il partait avec des centaines de films et devait négocier à chaque fois de les emporter en cabine (en soute, les rayons X sont encore plus forts). Ca pesait des kilos.
En numérique, il a trouvé qu’il ne perdait pas en qualité et la prise de vue a été simplifiée pour certaines situations. Pour le grain, il refait un film à partir de ses images digitales. "Le digital a transformé ma vie", se réjouit-il.
245 images de Sebastião Salgado ont investi la Maison européenne de la photographie, du sous-sol au deuxième étage. Certains diront peut-être que Salgado est mégalo. Mais les images sont magnifiques. Alors pourquoi bouder son plaisir ?
Sebastião Salgado, Genesis, Maison européenne de la photographie, 5/7 rue de Fourcy, 75004 Paris
du mercredi au dimanche, 11h-20h, fermé lundi, mardi et jours fériés
tarifs : 8€ / 4,5€, gratuit le mercredi de 17h à 20h
du 25 septembre 2013 au 5 janvier 2014
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