Gaston Paris, un photographe redécouvert, au Centre Pompidou et à la galerie Roger-Viollet
Seul salarié de "Vu" pendant trois ans, passionné de cinéma et de spectacle populaire, Gaston Paris a exercé un oeil virtuose dans les magazines illustrés des années 1930. Après des années d'oubli, deux expositions à Paris le remettent sur le devant de la scène.
Gaston Paris, c'est un photographe d'une grande qualité et à la forte personnalité, très actif et abondamment publié dans la presse illustrée dans les années 1930, et tombé complètement dans l'oubli. On le découvre aujourd'hui grâce à une exposition du Centre Pompidou qui raconte son histoire, et la galerie Roger-Viollet, qui présente quelques dizaines de tirages de ses images.
"Gaston Paris, c'est une complète redécouverte, qui a commencé au début des années 1990", raconte l'historien de la photographie Michel Frizot, commissaire de l'exposition du Centre Pompidou. L'histoire est passionnante : elle débute quand Michel Frizot achète dans une foire de vieux papiers un ensemble de tirages anonymes qu'il trouve très intéressants et qu'il met dans une boite. Quelques années plus tard, il trouve aux puces une série d'une soixantaine de dossiers-contact thématiques (des tirages contact 6x6 collés sur des cartons) où apparaît le nom de Gaston Paris (1905-1964), qu'il ne connaît pas encore.
Ces contacts lui permettent d'identifier l'auteur des tirages acquis plus tôt : il y retrouve deux ou trois images qui en faisaient partie. Et puis quand il se lance dans une grande étude sur Vu il se rend compte de l'importance de Gaston Paris. "Ce Gaston Paris, je l'ai retrouvé par la suite dans le magazine Vu sur lequel j'ai fait une grande exposition à la Maison européenne de la photographie en 2006. Il se trouve que Gaston Paris avait publié beaucoup de photos dans ce magazine, plus de 1 300. On a découvert plus récemment qu'il était le seul reporter salarié de Vu, à partir de 1933."
Un fonds extrêmement volumineux
Au cours de ses recherches, Michel Frizot s'aperçoit que l'agence Roger-Viollet possède les négatifs de Gaston Paris, acquis auprès de la veuve du photographe après le décès de celui-ci en 1964, puis en 1983. Au total 15 000 négatifs, sans doute la plus grande part de la production de Gaston Paris.
"En partant d'un photographe qui était absolument inconnu, on a aujourd'hui un fonds extrêmement volumineux et un grand nombre de références dans les magazines. C'est ce qu'on a eu à cœur de montrer dans l'exposition", résume Michel Frizot.
On a peu de tirages d'époque du photographe. L'exposition s'ouvre sur une vingtaine de ceux trouvés par Michel Frizot au début des années 1990. Des images surréalisantes de Paris, une enseigne d'opticien ou de boucherie chevaline en contreplongée inquiétantes, des masques accrochés dans la rue on ne sait comment, des mannequins derrière des vitrines… On ignore la destination de ces tirages. Peut-être faisaient-ils partie d'une sélection faite pour un ouvrage sur Paris proposé à un éditeur en 1952 et jamais publié.
"On a essayé de montrer dans cette exposition les différentes étapes de la vie d'un fonds", explique Michel Frizot.
"Vu", ou l'art de la mise en page
Au centre de la grande salle du cabinet de la photographie du Centre Pompidou, on découvre, suspendus, une sélection des fameux dossiers-contact et, dans des vitrines, des tirages des années 1960-1970 de l'agence Roger-Viollet.
L'essentiel, accroché tout autour de la salle, est consacré à la publication dans les magazines. La Rampe pour lequel Gaston Paris réalise en 1932 des reportages chez des artistes. Et surtout Vu, pionnier du magazine illustré, pour lequel Gaston Paris a travaillé trois ans, de 1933 à 1936, et qui était "bourré de photographies", selon les mots de son créateur, Lucien Vogel, en 1928. Vu, ce ne sont pas seulement des illustrations, c'est aussi un art époustouflant de la mise en page et du photomontage, comme on le constate sur les articles exposés, auxquels s'ajoutent des tirages d'époque quand ils existent.
Comme cette page sur le cirque Médrano où, tout autour d'une image en cercle mêlant acrobates, chevaux et clowns, on voit les visages d'enfants fascinés. Le cirque, comme le spectacle en général et le music-hall en particulier, était un sujet de prédilection de Gaston Paris. Il lui donne l'occasion de prises de vue virtuoses en plongée et en contreplongée.
Un œil de cinéma
Mais les sujets sont divers. De la Tour Eiffel à Notre-Dame de Paris en passant par les cheminées d'usine, il exerce un même œil moderniste sur l'architecture. Il porte aussi son regard sur des sujets sociaux comme les enfants de la "zone".
On sait peu de choses de Gaston Paris mais on a découvert que dans les années 1920 il s'était beaucoup intéressé au cinéma et avait sans doute rêvé de devenir réalisateur. De cet intérêt lui vient une maîtrise exceptionnelle de l'éclairage. "Dans toutes ses photos, c'est quelqu'un qui domine l'éclairage en virtuose : toutes les intensités, toutes les situations y compris à contrejour", remarque Michel Frizot.
Une compétence qui lui sert particulièrement dans le milieu du spectacle.
A la fin des années 1930, puis dans les années 1940, Gaston Paris est de moins en moins publié. Il continue pourtant à faire des photos, qui sont projetées dans l'exposition. Un reportage sur les réfugiés de la Guerre d'Espagne, un autre sur Berlin détruite notamment.
Grands tirages à la galerie Roger-Viollet
Et puis dans les années 1950 Gaston Paris a réalisé des images destinées à des romans-photos, qu'on n'a retrouvées dans aucune publication, peut-être parce que les éditeurs de romans-photos ne créditaient pas les photographes. On découvre une sélection de ces images, dont de nombreuses scènes de meurtre, extrêmement cinématographiques, à la galerie Roger-Viollet, installée dans les locaux de l'agence, qui possède donc l'essentiel des négatifs de Gaston Paris.
"Nous avons voulu montrer des tirages en grand, qui sont des tirages contemporains", explique le directeur de Roger-Viollet, Gilles Taquet. "Il y a beaucoup de commandes mais ça ne l'empêchait pas d'être créatif, il y a une vraie personnalité dans son travail." Quatre-vingt tirages sont accrochés dans la galerie, qui montrent l'étendue de la palette du photographe et nous font apprécier un peu plus son talent pour le cadrage et l'éclairage.
Une vue aérienne de Paris, avec en coin l'hélice de l'avion, des vues en contreplongée de la Tour Eiffel et de cheminées d'usine, un ouvrier sur un chantier dont la silhouette se dessine à contrejour dans la nuit, un ring de boxe, vu de loin, et dominé par l'ombre d'un spectateur. Le monde du spectacle, bien sûr, avec des danseuses nues dans une fête foraine ou dans les loges des Folies Bergère. D'étranges mannequins de cire qui traduisent son goût pour l'étrange. Et puis des portraits, Josephine Baker, Brigitte Bardot, Edith Piaf, à côté de têtes sculptées ou moulées qui paraissent tout aussi vivantes.
Gaston Paris, la photographie en spectacle
Centre Pompidou, galerie de photographie, Paris 4e
Tous les jours sauf le mardi et le 1er mai, 11h-21h, le jeudi jusqu'à 23h
Entrée libre
Du 19 janvier au 18 avril 2022
Gaston Paris, l'œil fantastique
Galerie Roger-Viollet
6, rue de Seine, 75006 Paris
Du mardi au samedi, 11h-19h
Du 20 janvier au 23 avril 2022
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.