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Dans la rue des grandes villes africaines avec Guy Tillim, à la Fondation Henri Cartier-Bresson

Le photographe sud-africain Guy Tillim s'est rendu dans les capitales ou grandes villes de 13 pays d'Afrique, où il a posé son appareil dans la rue, pour tenter de capter les traces du passé colonial et des deux révolutions qu'elles ont traversées depuis une soixantaine d'années. Il expose ses grands tirages à la Fondation Henri Cartier-Bresson à Paris. Jusqu'au 2 juin.
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Guy Tillim, "Praça do Metical, Mozambique", 2017
 (Guy Tillim, Courtesy of Stevenson, Cape Town and Johannesburg)

Guy Tillim, un des grands noms de la photographie sud-africaine, a reçu il y a deux ans le prix Henri Cartier-Bresson qui lui a permis de mener à bien son projet "Musée de la Révolution", entrepris dans les grandes cités de l'Afrique post-coloniale et actuellement exposé dans les nouveaux locaux de la Fondation Henri Cartier-Bresson, dans le Marais.
 
"Pendant de longues années j'ai été photojournaliste et j'ai travaillé dans ces villes, où je photographiais des évènements politiques. A un certain moment, j'ai commencé à m'intéresser au paysage urbain lui-même et plus tant aux évènements. Et puis, il y a une douzaine d'années, j'ai eu envie de peupler ces paysages, de mettre des gens dedans. J'ai commencé à déambuler dans les villes pour y trouver un lieu, une scène dans laquelle les gens entreraient", explique Guy Tillim.
 
Ces villes, de Luanda (Angola) à Maputo (Mozambique), de Dar es-Salaam (Tanzanie) à Dakar ou Abidjan, ont traversé deux révolutions, dit-il, celle de l'accession à l'indépendance et de la décolonisation, puis celle du passage de régimes socialistes et nationalistes à un capitalisme mondialisé. Des traces de ces différentes périodes y coexistent.

Guy Tillim, "Azikiwe St, Dar es Salaam, Tanzanie", 2017
 (Guy Tillim, Courtesy of Stevenson, Cape Town and Johannesburg)

Laisser parler le paysage urbain

Ainsi, la typographie des panneaux d'indication à Abidjan rappelle celle de l'ancienne puissance coloniale. Les rues ont été régulièrement débaptisées pour porter les noms des nouveaux héros. Parfois, elles ont gardé leur nom.
 
A Accra, une vendeuse de seaux porte sa marchandise sur la tête, tandis que trois filles traversent la rue en courant, une bassine en aluminium sur la tête. Plus loin, près d'un marché, on vend des fripes sur le trottoir sous des panneaux de pub pour des banques.
 
Guy Tillim a posé son appareil photo pour laisser parler le paysage. Hommes en costume cravate au pied de grands buildings à Dar es-Salaam ou Harare, petites vendeuses de rue en pagne sur les trottoirs d'Accra, trottoirs défoncés et immeubles modernes coexistent. Ce qui frappe dans toutes ces images, c'est le mouvement. Les gens sont tous en marche, partout et dans tous les contextes.
 
Les passants en route, le pied levé, semblent s'inscrire, dessinent un ballet extrêmement vivant dans le paysage.
Guy Tillim, "Union Avenue, Harare, Zimbabwe", 2016
 (Guy Tillim, Courtesy of Stevenson, Cape Town and Johannesburg)


Des scènes multiples dans le même cadre

Guy Tillim réalise ses photographies en choisissant un cadre sur une place, à un coin d'avenue. Il y place son appareil sur un trépied et il attend que des gens passent devant son objectif, "que les éléments se mettent en place". Il tient à être bien visible car, dit-il, "une fois que les gens vous ont vu, ils vous laissent une place dans la scène, et ils continuent leur chemin".
 
"J'ai remarqué quelque chose de paradoxal : si je suis repéré dans la rue avec mon appareil, je deviens invisible." Et puis ça laisse la possibilité aux passants de vous éviter, s'amuse-t-il. Les images volées, pour lui, ça ne fonctionne pas.
 
Ses grandes images sont parfois d'un tenant mais elles se présentent souvent sous la forme de deux, trois, quatre panneaux juxtaposés. Au premier abord, on pense qu'il s'agit d'une image découpée en plusieurs parties, on croit "à la continuité de la scène", comme il dit. Et puis à la limite entre deux panneaux du polyptique, on remarque un bras coupé. En réalité, Guy Tillim a réalisé plusieurs prises de vues à différents moments et a juxtaposé les photographies, ce qui confère une légère étrangeté à la scène. Il s'agissait pour lui de se libérer de la "tyrannie" du cadre unique.
 
Il conçoit son cadre comme une espèce de fenêtre neutre sur le monde où la réalité vient s'inscrire, avec les signes de son passé et du présent, et toutes ses ambigüités. Ces beaux tableaux en couleur sont pleins de l'énergie d'une Afrique moderne loin des clichés.
 
Guy Tillim, né en 1962 à Johannesburg, avait déjà exposé à la Fondation Cartier-Bresson en 2009 son travail sur des tours squattées dans sa ville natale et son travail sur les traces laissées par les puissances coloniales dans plusieurs grandes villes d'Afrique ("Avenue Patrice Lumumba").

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