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À Ajaccio, la vision de quatre artistes sur la violence mafieuse dans "Les îles du Milieu"

Cette exposition proposée à l’Espace Diamant à Ajaccio livre le regard de trois photographes et une artiste sur le crime organisé en Corse et en Sicile. Des clichés parfois crus qui parlent d’une criminalité banalisée mais honnie par la société civile.
Article rédigé par Chrystel Chabert
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Christian Buffa, commissaire de l'exposition "Les îles du milieu" devant cette photo de Franco Zecchin qui avait créé la polémique. Dans la flaque de sang, on aperçoit le reflet du visage d'une femme. "Aujourd'hui, ce genre d'image serait censurée". (F. Rombaldi / France Télévisions)

Présentée à Bastia en 2021 et maintenant à Ajaccio jusqu’au 28 février, Les îles du Milieu est une exposition itinérante. Quand on découvre ces clichés, on espère qu’ils traverseront un jour la Méditerranée pour venir jusque sur le continent. Ces photos offrent un éclairage "artistique" sur une violence trop longtemps banalisée. Leur beauté, leur puissance est aussi un moyen de dénoncer ce pouvoir mafieux qui gangrène la Corse et la Sicile depuis des décennies. 

Ces photos donnent à voir une réalité qu'on ne décrit pas suffisamment ici".

Valérie Clément

Membre du Collectif "A Maffia Nò, a Vita Iè"

L’exposition propose quatre regards différents sur cette emprise mafieuse, ceux des photographes Franco Zecchin, Edouard Elias, Olivier Metzger et de la plasticienne Agnès Accorsi. 

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Expo les Iles du Milieu {} (FTR)

La Sicile de Franco Zecchin

Photoreporter à Palerme, Franco Zecchin a travaillé sur la Mafia, la corruption politique et les conditions sociales en Sicile. Il donne à voir la part la plus brutale de la Cosa Nostra avec son cortège de meurtres sanglants et les funérailles qui s’ensuivent. Entre la fin des années 1970 et le début des années 1990, cette violence fait de nombreuses victimes : une centaine dans la seule municipalité de Palerme en 1982, et plus de mille morts en Sicile, de 1975 jusqu’aux massacres des juges Falcone et Borsellino et de leurs escortes, en 1992.

Des drames qui font figure d’électrochocs. Pour Franco Zecchin, "quand des personnes que j’appréciais pour leur courage et leur engagement ont commencé à mourir tuées par la mafia, alors j’ai compris que mes photos pouvaient participer à la construction d’une conscience et d’une mémoire collectives, en opposition à la pratique de l’oubli et du silence, fonctionnelle au pouvoir de la mafia."  

Une photo de Franco Zecchin. En Sicile dans les années 80, le spectacle de la violence mafieuse et de la mort s'étale dans la rue, aux yeux de tous, dans une crudité qui a longtemps été banalisée.  (F. Rombaldi / France Télévisions)

À découvert avec Edouard Elias

Dans la société civile aussi, ces meurtres servent de détonateur. Des collectifs anti-mafia se créent avec des citoyens “lambdas” qui n’hésitent pas à se montrer à visage découvert. Un combat et un courage qui ont interpellé le photographe Edouard Elias. D’abord centré sur la couverture des grands conflits mondiaux pour les médias nationaux, celui qui fut otage de l’État Islamique pendant 11 mois en 2014 s’est tourné vers une pratique plus lente et immersive de la photo.

Ici, ses clichés mettent en lumière les membres de deux collectifs anti-mafia issus de la société civile, “A Maffia Nò, a Vita Iè” et “u Cullittivu Massimu Susini”. Des femmes et des hommes corses de tous les milieux qui posent à visage découvert.

Edouard Elias a saisi Jean-Toussaint Plasenzotti, le créateur du Collectif "Massimu Susini", du nom de son neveu assassiné. (F. Rombaldi / France Télévisions)

Pour Jean-Toussaint Plasenzotti, du Collectif Massimu Susini, “c’est important que l’art intervienne dans le champ de la réflexion pour qu’ensemble, on puisse commencer à nommer le mal et à trouver des solutions”. La violence mafieuse, il la connaît : en septembre 2019, son neveu, le jeune militant nationaliste Maxime Susini, était assassiné à Cargèse, en Corse-du-Sud. Le collectif créé par son oncle a alors reçu des centaines de soutiens.  

Les sorties de “tôle” d’Olivier Metzger 

Étrange sujet que celui choisi par ce photographe franco-suisse, exposé à la Fiac et à Paris Photo. Dans la banlieue de Naples : il a pisté les imposantes voitures blindées qui sont “ le marqueur de la Mafia”, commente dans le dossier de presse de l’exposition Jean-Marc Raffaelli, éditorialiste à Corse-Matin. " Partout où le virus de la criminalité se propage, le taux d’incidence des voitures blindées augmente", écrit-il Des véhicules de luxe ultra-sécurisés, capables de résister à des fusils d’assaut, et équipés de portières-boucliers lourdes de 250 kilos chacune.

Dans les clichés d’Olivier Metzger, leur présence semble surnaturelle, déconnectée de la réalité et au final inquiétante. À elles seules, ces voitures en disent long sur l’état d’esprit de ceux qui évoluent dans le milieu mafieux, sur la nécessité de se protéger et de se défendre. 

Au premier plan à droite, les Armes branches d'Agnès Acorsi et au fond, les voitures blindées d'Olivier Metzger. (F. Rombaldi / France Télévisions)

Les Armes branches d'Agnès Acorsi 

Autre symbole de la violence mafieuse : les armes. C’est l’artiste plasticienne originaire d’Ajaccio Agnès Acorsi qui s’est emparée du sujet, à sa façon, décalée et faussement ludique. Elle expose des mitraillettes dessinées puis sculptées dans le bois, parfois entourées d’arbouses et de bruyère venus du maquis corse. Ce maquis, “siège du combat clandestin où les hommes fabriquent, cachent et déposent les armes”. 

Exposition Les Îles du Milieu - jusqu'au 28 février 2023 à l’Espace Diamant, Bd Pascal Rossini à Ajaccio – ouverture du mardi au vendredi : 10h - 12h et 13h - 18h30 / le samedi : 9h30 – 12h30 - entrée libre – Infos : 04 95 50 40 80

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