Peter Doig s'invite au musée d'Orsay avec onze grandes toiles récentes, en compagnie de Courbet, Pissarro, Manet ou Gauguin
Les toiles colorées et un peu mystérieuses de Peter Doig n'avaient pas été montrées à Paris depuis l'exposition monographique du musée d'Art moderne de Paris en 2008. Le peintre britannique, un des plus cotés au monde, est le premier artiste contemporain invité à dialoguer avec les œuvres du musée d'Orsay. Il y expose onze toiles monumentales récentes et est allé puiser dans les collections une douzaine de tableaux qui éclairent ses relations avec les maîtres qui l'ont précédé.
Marqué par son enfance voyageuse, Peter Doig a la bougeotte. Né à Édimbourg en 1959, il a passé ses premières années sur l'île de Trinidad (Trinité-et-Tobago) aux Antilles, avant que sa famille parte pour le Canada. Il a fait ses études à Londres et à Montréal. En 2002, il retourne vivre à Trinidad où il passe plus de dix ans, et revient à Londres.
Un des artistes vivants les plus chers du monde
Depuis, il est devenu un des artistes vivants les plus chers du monde : en 2007, son White Canoe est vendu pour 8,53 millions d'euros chez Sotheby's à Londres. En 2017, Rosedale part pour 27 millions chez Phillips à New York et Swamped atteint 34,5 millions d'euros chez Christie's en 2021.
C'est de son long séjour à Trinidad que datent les œuvres qu'il expose au musée d'Orsay. Tout autour d'une salle carrée et voûtée du deuxième étage, ses grands tableaux sont accrochés serré. On plonge tout de suite fort dans son univers entre le réel et l'irréel. Le peintre s'inspire du monde qui l'entoure, mais les couleurs, les lumières nous éloignent très vite de la réalité. On ne sait jamais très bien s'il fait jour ou s'il fait nuit dans les scènes de Peter Doig, si elles sont éclairées par le soleil ou par la lune.
Deux grands baigneurs encadrent la porte d'entrée. À droite, ambiance nuit : le ciel est tout noir, ponctué d'un croissant de lune. Mais le sable est orange vif et le corps de la figure masculine au premier plan est éclairé d'un étrange rayon de lumière. Ses traits sont à moitié effacés et une femme nue est allongée plus loin, au bord de l'eau. À gauche, le baigneur, dans la même posture, debout, mains jointes, est plongé dans une atmosphère diurne toute blanche et tout aussi irréelle.
Ces œuvres sont donc celles inspirées de Trinidad, et de son quotidien sur l'île de son enfance qu'il a retrouvée. Trinidad, c'est la mer, et aussi la musique qu'il aime. Dans Music Shop (2023), il rend hommage à Mighty Shadow, star du calypso mort en 2018, dont la grande silhouette, guitare sur l'épaule, passe devant un magasin de musique fantôme. Des instruments semblent flotter sur la devanture qui laisse voir la mer à travers porte et fenêtres.
Un joueur de ping-pong affronte le néant, sans balle ni adversaire visible, au-dessus d'une table et d'un filet réduits à leur tranche. Peter Doig met en abyme sa peinture dans Night Studio, un autoportrait dans son atelier de Trinidad, devant des tableaux qu'il y a peints.
Entre deux arbres, l'Afrique
La plus énigmatique de ces toiles est sans doute Two Trees (2017). La scène est baignée par la lumière de la pleine lune. Deux arbres noueux aux couleurs étranges se dressent devant la mer. Trois hommes se tiennent devant. Celui de gauche est en tenue de hockey, sport que Doig a pratiqué au Canada. On ne comprend pas bien ce qui se passe entre les trois figures, sinon que le personnage de droite filme la scène.
En 2017, l'artiste expliquait au New Yorker qu'il s'agissait de la vue de sa maison, qu'au-delà de la mer, on regardait droit vers l'Afrique et que "cette peinture parle de la complicité avec quelque chose de terrible". Elle parle du colonialisme sans doute et de violence certainement. Car dans la deuxième partie de l'exposition, il a choisi d'accrocher La Guerre (1894) d'Henri Rousseau, où une enfant et une créature étrange en forme de cheval dominent un paysage couvert de corps attaqués par les corbeaux. Et il écrit que "cette œuvre a marqué ma propre peinture Two Trees, m'incitant à réfléchir à la manière dont certains paysages peuvent être le reflet de la capacité des hommes à se montrer cruels les uns envers les autres".
On pourrait aussi rapprocher Two Trees d'une œuvre de Jean-Léon Gérôme sélectionnée par Doig. Dans un paysage méditerranéen idyllique, un jeune homme et une jeune femme aux corps nus sublimes regardent un combat de coqs qui s'annonce sanglant (Jeunes Grecs faisant battre des coqs, 1846).
Nature et couleurs
"Avoir étudié les peintures réalisées au cours des 150 dernières années, dont certaines sont conservées au musée d'Orsay, a été fondamental pour le développement de ma propre pratique artistique", dit Peter Doig. "À travers cette exposition, je ne cherche pas à entrer dans le passé, mais plutôt à étudier ce qui se produit lorsqu'on laisse quelque chose ouvert, dans toute sa vulnérabilité, aux façons que le passé a d'y pénétrer."
La force de la nature, que ce soit sous les tropiques ou dans l'hiver du nord, est un des thèmes qu'il a choisis : des Chasseurs dans la neige, une toile méconnue de Gustave Courbet, comme du Cheval blanc de Paul Gauguin, émane un silence qui résonne avec les tableaux de Peter Doig. Et les couleurs de Gauguin, oranges, verts, bleus, ont certainement imprégné le Britannique.
Dans deux salles qui surplombent la Seine, il s'interroge aussi sur la figure humaine et sur "les mystères du sujet peint", avec une galerie de cinq portraits. Berthe Morisot se cache derrière un éventail, sous le pinceau d'Edouard Manet la Jeune femme à la voilette d'Auguste Renoir détourne le regard, les traits de Félix Vallotton peint par Edouard Vuillard sont flous. Seul l'autoportrait de Camille Pissarro nous regarde droit dans les yeux. "Finalement, nous n'apprenons pas grand-chose à propos d'eux", remarque l'artiste.
Peter Doig, Reflets du siècle
Musée d'Orsay
Esplanade Valéry Giscard d'Estaing, 75007 Paris
16 euros / 13 euros / 12 euros, gratuit pour tous les premiers dimanches du mois (réservation obligatoire dans ce cas).
Du 17 octobre 2023 au 21 janvier 2024
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